La question des fake news est devenue un enjeu crucial pour nos démocraties et donc pour tous les acteurs qui peuvent concourir à créer ou entretenir un esprit de discernement auprès des citoyens. Le succès même du terme nous indique que nous avons tous conscience que prolifèrent les tentatives de manipulation de l’information à des fins de déstabilisation, en profitant de l’écosystème des réseaux socionumériques pour décupler leur force.
Et il ne s’agit pas de manipulations politiques comme il y en a eu tant dans le passé, même le plus lointain. Nous ne sommes pas dans une sourde lutte d’influence où un pays ou un groupe politique, tenteraient d’imposer leur point de vue, leur idéologie, par des voies détournées.
Il s’agit plutôt d’un retournement des armes de la démocratie contre la démocratie elle-même, en mélangeant l’information, le savoir, le débat, la parole citoyenne, l’esprit critique, en laissant croire à certains internautes qu’ils sont maîtres de leurs propos alors qu’ils relaient des opérations d’influence.
Autant de valeurs au fondement du pacte démocratique mais qui sont convoquées et instrumentalisées au service d’opérations visant à fracturer nos sociétés, à insinuer un soupçon permanent, à nous faire entrer dans l’ère du doute généralisé, en donnant aux crédules de quoi entretenir leurs incertitudes et alimenter leurs suspicions.
Dans ce travail pour tresser un cordon sanitaire entre les informations vraies ou mensongères, les bibliothèques universitaires et de recherche ont un rôle décisif à jouer qu’il nous semble important de valoriser.
Fake news et renversement des valeurs démocratiques
Voyons pour commencer comment opère ce renversement des valeurs, en soulignant d’abord un étrange paradoxe. L’information virale fabriquée se pare des atours de l’information journalistique alors que ceux qui les préparent n’ont que mépris pour la presse et font tout pour rompre le nécessaire lien de confiance qui doit unir les journalistes aux citoyens en quête d’informations pour agir de façon éclairée.
Le savoir est sans cesse convoqué mais pour proposer bien souvent des aberrations scientifiques visant à nier les évidences comme celle d’un réchauffement climatique pour lequel les humains ont forcément leur part de responsabilité.
Le droit au débat est invoqué avec constance par ces manipulateurs mais c’est en réalité pour introduire la confusion et les tensions, non pour permettre d’en voir jaillir la lumière.
La parole citoyenne est mise en avant, en invoquant le droit légitime de chacun à prendre la parole grâce aux réseaux socionumériques. Mais cette démocratisation débouche en réalité souvent sur une fausse parole puisque les fake news se déploient fréquemment grâce à des faux comptes et par l’artifice de bots, qui créent artificiellement la sensation d’un succès de diffusion et de partage.
La défense de l’esprit critique est présentée comme la source de toutes ces agitations car un grand complot serait à l’œuvre pour nous faire taire et nous cacher les vérités qui dérangent. Heureusement que des citoyens ordinaires, mus en chevaliers blancs, seraient donc là pour percer cet arrangement du système et des élites avec la vérité.
Or l’esprit critique assimilé à la dénonciation systématique d’un pseudo complot est tout sauf critique. C’est au mieux une profonde paresse intellectuelle, au pire un symptôme que des esprits avisés savent jouer sur la crédulité de certains pour leur faire croire n’importe quoi au nom d’une aptitude à voir ce qui ne serait pas visible, non pas parce que cela est caché mais bien parce que cela n’existe pas !
Les bibliothèques universitaires pour une information fiable et de qualité
Les bibliothèques universitaires et de recherche ont un rôle important à jouer en la matière : elles agissent dans la sphère sociale, citoyenne et académique pour favoriser activement diffusion d’une information fiable et de qualité. D’après le Code de l’Éducation, les professionnels de l’information scientifique et technique constituent des fonds et des accès à l’information et aux documents, mais ils ont aussi un rôle essentiel de médiateurs des savoirs et de formateurs aux compétences informationnelles.
Les bibliothèques s’engagent certes en faveur de la conservation d’un patrimoine et la préservation d’un héritage culturel et d’une mémoire, mais aussi, à l’heure du web, des big data et des réseaux sociaux, en faveur de l’ouverture d’accès fiables et sécurisés à des sources de savoirs sélectionnées pour leur qualité. L’information, populaire comme académique, se trouvant désormais dramatiquement nivelée, reproduite, transformée, parfois dégradée, les bibliothèques des universités assument donc un rôle fondamental de médiatrices mais aussi de formatrices.
Les enjeux soulevés par les accès indifférenciés à l’information et les modalités de transmissions du savoir, bouleversées par l’irruption d’Internet et, plus récemment, des fake news, ont fait muer les bibliothèques. Elles accompagnent chaque jour davantage le citoyen, le chercheur, l’étudiant et les jeunes publics dans leurs explorations documentaires, de manière formelle comme informelle. Donner les moyens d’accéder à l’information n’est plus suffisant : il est devenu crucial pour les bibliothèques de proposer une médiation pour provoquer une « crise de curiosité » chez le lecteur et l’inciter à questionner ses sources d’information.
Architectes des accès aux savoirs, les bibliothèques universitaires signalent activement la production scientifique : elles décrivent et indexent les sources documentaires et permettent d’identifier les auteurs de manière normée et organisée.
Elles tissent des réseaux de sens entre les documents, ce qui permet au lecteur d’effectuer des interrogations intelligentes et cohérentes de corpus, de données ou de collections documentaires de toute nature, et sur tout support. Les bibliothèques universitaires promeuvent les accès libres et ouverts à la connaissance, favorisent la fouille de textes et de données dans la littérature scientifique et facilitent les démarches.
Ferments de curiosité, les bibliothèques universitaires invitent le lecteur à faire des efforts, à s’interroger sur l’origine de l’information qu’il reçoit et à réfléchir à la manière dont il la cherche.
Les bibliothécaires sensibilisent et forment l’étudiant à questionner la fiabilité des informations qu’il recueille lorsqu’il bâtit ses connaissances ; aident le chercheur à vérifier l’exactitude des sources documentaires sur lesquelles il fonde sa propre production scientifique ; incitent le citoyen à prendre un recul critique face à l’information qu’il reçoit, et à la manière dont il la cherche.
Chacun peut et doit lutter contre les fake news
Dans un tel climat sociétal, chacun a une responsabilité pour endiguer ce fléau pernicieux. Les journalistes, en informant vraiment et mieux. Les enseignants, en défendant le vrai esprit critique, celui d’un doute méthodique et proportionné et non systématique et hors-sol. Les bibliothécaires et documentalistes, en formant leurs usagers à trier l’information et en leur donnant des méthodes pour en évaluer la valeur réelle. Les universités, en assurant la coordination des initiatives utiles entre enseignants, chercheurs et bibliothécaires.
Un colloque organisé par l’ADBU (l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation) en partenariat avec le laboratoire CARISM, The Conversation, Franceinfo et le journal La Croix aura lieu le 5 juin 2018 à Paris pour montrer l’enchevêtrement de ces responsabilités et la part que les bibliothèques universitaires prennent dans cette lutte contre les fake news et pour la défense de la valeur de l’information.
Le descriptif de la journée et son programme sont accessibles ici
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
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