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Travaillez moins, gagnez plus

Un article repris de http://theconversation.com/travaill...

Andre Benz/Unsplash

Cette chronique est dans la droite ligne et se nourrit des recherches et rencontres publiées sur mon site Les cahiers de l’imaginaire.


Je sais. Le titre de ma chronique est suspect. Certains d’entre vous se demanderont si je ne suis pas influencée par l’essai de Didier Pourquery, En finir avec l’ironie ? Ce qui pourrait être possible. Si on pouvait travailler moins et gagner plus, dites-moi alors pourquoi cette pratique n’est pas plus répandue ?

J’ai beaucoup appris sur le second degré en lisant cet essai. Il faut un talent particulier et beaucoup d’esprit pour manier l’art de l’ironie. C’est un jeu qui stimule la créativité et l’auteur nous donne vraiment envie d’essayer. Mais je dois vous avouer que malgré mon désir d’entrer dans le club des pince-sans-rire, je suis plutôt du genre à vendre la mèche en pouffant de rire avant la fin de ma tentative. Bref, je ne suis pas très douée. C’est qu’il faut le contrôle de soi pour pratiquer cet art !

Or le contrôle de soi est aussi une qualité nécessaire pour pratiquer l’art auquel je souhaite vous convier aujourd’hui : la paresse stratégique qui rapporte des bénéfices !

Si je vous disais que vous pourriez obtenir plus de résultats en travaillant moins (avec des pratiques honnêtes, bien sûr !), seriez-vous curieux de connaître les tactiques qui permettent d’atteindre un tel résultat ? Si oui, tenez bon jusqu’à la fin de cet article, vous serez récompensés. Vous connaîtrez le secret d’une stratégie contre-intuitive qui a fait ses preuves dans plusieurs domaines, stratégie que nous devons à deux ingénieurs particulièrement doués en mathématiques…

La loi de Pareto

Au XIXe siècle, Vilfredo Pareto (1848 – 1923), né en France, mais d’origine italienne (il a entamé des études d’ingénieur à l’École Polytechnique de Turin), s’intéressa plus particulièrement à l’économie et la sociologie et enseigna l’économie politique à l’École de Lausanne jusqu’à la fin de sa vie. Peu connu de son vivant, jamais il n’aurait pu deviner que son modèle mathématique sur la distribution des revenus en Italie – indiquant que 80 % de la terre appartenait à 20 % de la population – le rendrait à ce point célèbre aux 20e et XXIe siècles.

Son modèle mathématique, illustrant que la richesse n’est pas répartie également et que c’est hautement prévisible, a inspiré un ingénieur américain, d’origine roumaine (1903-2008), Joseph M. Juran, reconnu comme le père de la démarche de qualité totale, aujourd’hui appelée la méthode Six Sigma.

Juran casse le code

L’histoire commence à la fin des années 30 lorsqu’un groupe de gestionnaires de General Motors fait une découverte intrigante. Un de leurs lecteurs de cartes (périphériques d’entrée pour les premiers ordinateurs) génère un code incompréhensible. En enquêtant sur la machine défectueuse, ils trouvent un moyen d’encoder des messages secrets.

À l’époque, ce sujet est sensible et d’actualité. Les machines de codage allemandes Enigma ont attiré l’attention pendant la Deuxième Guerre mondiale. Des reportages ont été publiés sur les efforts des Polonais, des Français et finalement sur le succès du Britannique Alan Turing et son équipe à décrypter les codes nazis, ce qui permit de sauver des millions de vies. Vous vous souvenez du film, Imitation Game qui a contribué à faire connaître l’héroïsme de ce mathématicien-cryptologue ?

Je reviens à mon histoire… Les managers de GM sont convaincus que leur code accidentel est incassable. Juran, un consultant de la Western Electric de passage chez GM, n’est pas d’accord. Il travaille pendant la nuit et réussit à casser le code.

Fertilisation croisée !

Diplômé en génie électrique, Juran était très doué en mathématiques en plus d’être un excellent joueur d’échecs. Plus tard, il a cité cet incident comme étant le point de départ qui lui a permis de casser un code encore plus difficile et de faire l’une de ses plus grandes contributions à la science et aux affaires. À la suite de son succès de déchiffrage, un directeur de GM l’a invité à examiner la recherche sur la compensation de gestion. Pour son analyse, Juran s’est inspiré de la formule décrite par Pareto.

Pionnier de la gestion du contrôle de la qualité, Juran avait remarqué que seulement quelques défauts étaient généralement responsables de la majorité des problèmes. Il soupçonnait que cela pouvait être une loi universelle. Ce que Pareto avait observé pouvait être plus grand que ce que Pareto, lui-même, avait imaginé. En d’autres mots, un effort bien sélectionné rapporte tous les bénéfices.

En écrivant son livre Quality Control Handbook, Juran a eu l’élégance d’appeler son concept : « le principe de Pareto », une théorie qui s’est avérée, selon les experts, aussi fondamentale que la loi de la gravité. Celui qui a contribué à promouvoir ce concept auprès d’un large public, c’est le Britannique Richard Koch avec son best-seller, The 80/20 Principle : The Secret to Achieving More with Less ou la version française, Le principe de 80/20, faire plus avec moins.

L’auteur définit la loi de Pareto ainsi : « Le principe 80/20 affirme qu’une minorité de causes, d’intrants ou d’efforts conduit généralement à la majorité des résultats, extrants ou récompenses. En résumé, dans le monde de la réussite les choses ne sont pas égales. Une petite quantité de causes crée la plupart des résultats. Juste le bon intrant crée la plus grande partie des retombées. »

C’est un livre que j’aurais dû lire beaucoup plus tôt ! Dans ma famille, j’ai vu mes grands-parents et mes parents travailler dur. Et pour tout vous dire, il ne me serait même pas venu à l’idée de faire autrement. À force de me faire répéter : « Si tu le veux, tu le peux. » Le message a fini par s’imprimer dans mon subconscient. Je n’avais plus qu’à le vouloir, être prête à y investir les efforts nécessaires, et le succès serait au rendez-vous ! Après une adolescence un peu houleuse, j’ai donc fini par me soumettre. Le dicton de ma mère a rythmé mes années d’études universitaires et le début de ma carrière. Au point où elle-même, un jour, a fini par trouver que je travaillais beaucoup trop. Si c’était cela le prix de la réussite, peut-être valait-il mieux travailler moins !

Travailler toujours davantage, toujours plus rapidement

Je n’étais pas une exception. Mes collègues qui occupaient, comme moi, des postes de direction travaillaient aussi des semaines de 70 heures. Et lorsque je suis devenue une entrepreneure, mes clients, des dirigeants de multinationales, faisaient de même. C’était la norme en Amérique du Nord.

Arianna Huffington.

À cet égard, le témoignage d’Arianna Huffington, la co-fondatrice et ancienne éditrice du Huffington Post (acquis depuis par AOL) dans son livre Thrive est éloquent. C’est d’ailleurs cette prise de conscience, après un manque de sommeil (à répétition) qui a affecté ses capacités cognitives et sa santé, qu’elle a décidé de lancer sa start-up Thrive Global.

Qu’est-ce qu’une vie réussie pour Arianna Huffington ? « C’est mener la vie qu’on désire et non pas se contenter de la vie qu’on mène. Or, si on veut atteindre ce but, les deux critères actuels du succès – l’argent et le pouvoir – ne suffisent pas. Il faut en ajouter un troisième : le bien-être que nous procurent l’émerveillement, la générosité et la sagesse. »

À l’époque, si on voulait jouer un rôle stratégique, on devait y investir le temps demandé. La mode des petits déjeuners d’affaires, de plus en plus tôt, faisait fureur. La course contre la montre était engagée pour trouver les meilleures stratégies de productivité. Toujours faire plus en moins de temps. Cela est devenu tellement tendance qu’une personne ayant des horaires différents était regardée presque avec condescendance. Un air très occupé et très stressé faisait plutôt bon chic bon genre. Vous me direz que pour certains cette manière de vivre est encore la seule imaginable. Mais les choses commencent à changer… à tout le moins pour un certain nombre de personnes.

La société des loisirs

Jessica/Unsplash.

Au début de ma carrière, les travaux des chercheurs dans mon équipe à l’Institut National de Productivité du Québec portaient sur la société des loisirs. Quelques années plus tard, je souriais en y repensant. Je me disais que nous avions été de doux idéalistes, nous nous étions vraiment fourvoyés. Plus les technologies permettaient, en principe de nous libérer du temps, plus la cadence du travail s’accélérait, plus les heures de travail se prolongeaient et le temps de vacances s’abrégeait. Certains doivent se dire, mais pourquoi, parle-t-elle au passé, c’est toujours la norme ! Décidément… elle ironise ou quoi ?

Oui, je conjugue les verbes au passé, car je pense que Taylor Pearson avance une hypothèse tout à fait plausible dans son livre The End of Jobs, nous serions en transition vers l’âge entrepreneurial (dans une de mes prochaines chroniques, je vous parlerai des scénarios que nous pourrions imaginer et des conseils que Taylor nous donne).

Pour revenir à l’âge de l’information, avec du recul, on s’aperçoit à quel point les sociétés du savoir ont fait fi des rythmes biologiques humains. Après tant d’abus, les scientifiques ont commencé à publier des études pour nous alerter et nous rappeler à l’ordre. La plupart d’entre nous ont besoin de huit heures de sommeil toutes les nuits, de trois repas par jour et nos heures les plus productives de la journée pour nous concentrer et créer un travail de qualité sont les heures du matin. D’ailleurs, les dirigeants d’Y combinator, l’incubateur californien qui aide les start-up à réussir leurs projets, ont désormais imposé la règle que toutes leurs réunions se tiennent en fin de journée pour laisser le temps à chacun d’accomplir ses tâches prioritaires avant une baisse d’énergie.

Ne pas déranger, svp

Dans son ouvrage, The One Thing : The Surprisingly Simple Truth behind Extraordinary Results, Garry Keller raconte qu’à une certaine époque où il voulait vraiment réussir, il arrivait au bureau avant tout le monde, organisait les réunions à 7h30 et verrouillait la porte dès 7h35 pour que tous soient à l’heure. Il s’habillait en costume-cravate (image de la réussite). Il écrit qu’il jouait au succès jusqu’au jour où il a été fatigué du succès, fatigué de jouer. À partir du moment où il a décidé de changer de vie, de prendre soin de sa santé en faisant du sport, de rester avec les membres de sa famille pour le petit-déjeuner avant de commencer sa journée de travail, il a réussi, écrit-il, comme jamais il n’avait imaginé réussir un jour.

IMG.

Sa routine ? Le matin, il évite de lire les journaux et d’écouter les infos, il évite également la machine à café, il se rend directement à son bureau, met son affichette Ne pas déranger bien en vue et se concentre sur la chose la plus importante qu’il doit accomplir ce jour-là. C’est seulement une fois qu’il a terminé qu’il s’informe des nouvelles et échange avec ses collègues.

Les personnes les plus productives se réservent un bloc d’heures dans la journée pour accomplir leur travail important : réfléchir, écrire, programmer, créer… Dans les sociétés du savoir, les horaires, explique Gary Keller, ont été organisés par les gestionnaires pour des gestionnaires. Cela coûte très cher sur le plan de la productivité, car la grande majorité des personnes qui créent de la valeur pour les organisations gaspillent un temps précieux en réunions à des heures où elles pourraient coder, créer ou simplement réfléchir à la prochaine stratégie (comme celle de la sélection de l’effort qui rapportera 80 % des résultats, par exemple).

Dans ma chronique précédente, je vous parlais de la difficulté de faire les bons choix à une époque où un nombre incalculable de possibilités s’offre à nous. Je vous proposais un exercice pour analyser vos façons de faire des choix éclairés en n’y perdant pas trop de temps. Cette semaine, je vous invite à réfléchir à la planification de votre temps et à ce que vous inscrivez sur vos listes de choses à faire.

Un liste de succès plutôt qu’une liste de tâches

L’offre de planificateurs et d’applications pour mieux gérer notre temps se multiplie. Nous sommes encouragés à faire des listes – et bien que les listes soient utiles, elles peuvent aussi nous faire perdre un temps précieux avec des choses sans importance que nous nous sentons obligées de faire parce qu’elles sont sur notre liste.

Ceux qui sont les plus productifs ont une autre attitude, ils ont appris à aller à l’essentiel. Ils établissent leurs priorités et s’y tiennent. Ils sont stratégiques.

Gary Keller affirme que c’est le tremplin pour préparer sa prochaine réussite.

« Au lieu d’une liste de tâches, vous avez besoin d’une liste de succès, une liste créée délibérément autour des résultats extraordinaires que vous souhaitez obtenir. Les listes de tâches ont tendance à être longues ; les listes de réussites sont courtes. Soit vous partez dans toutes les directions ; soit vous visez une direction spécifique. L’un est un répertoire désorganisé, l’autre est une directive organisée. Si une liste n’est pas construite autour du succès, alors il est peu probable que le succès sera au rendez-vous. Si votre liste de choses à faire contient tout, alors elle vous mènera probablement partout, mais où voulez-vous aller ? »

Comment transformer une liste de tâches en liste de réussites ?

En vous posant la question : « Quelle est la seule chose que je peux faire maintenant et qui rendra le reste plus facile et moins nécessaire. »

C’est la question qui vous aide à avoir un aperçu général de ce que vous voulez accomplir et qui vous permet de commencer, tout de suite, avec une première étape concrète qui vous permet d’atteindre votre objectif quotidien, hebdomadaire, mensuel, trimestriel, annuel… pour réaliser la chose la plus importante que vous devez accomplir.

« La loi de Pareto est très claire : la majorité de ce que vous voulez proviendra de la minorité de vos actions. Les résultats extraordinaires sont créés de manière disproportionnée par moins d’actions que la plupart d’entre nous le réalisent. La vérité de Pareto est l’inégalité, et même si on parle de 80/20, il peut prendre une variété de proportions : 90/20 où 90 % de votre succès provient de 20 % de vos efforts ou 70/10 ou 65/5. L’important est de comprendre que tout cela repose fondamentalement sur le même principe. La grande perspicacité de Juran », nous rappelle Gary Keller, « est que tout ne compte pas également ; certaines choses comptent plus que d’autres. Une liste de choses à faire devient une liste de succès lorsque vous appliquez le Principe de Pareto. »

Dans son cas, il pousse le principe 80/20 à l’extrême en nous conseillant de nous concentrer sur une seule chose à la fois et de voir grand. J.K.Rowling a pu écrire Harry Potter parce que, dès le départ, elle connaissait la fin de sa saga, elle visait une série et non seulement un seul livre.

Si vous ne savez pas encore quelle est cette chose importante que vous devez faire, cette semaine, je propose un exercice inspiré par l’auteur de l’ouvrage The Principle 80/20, Richard Koch. C’est ici !

Rassurez-vous si cela représente un défi pour vous, c’est normal ! Il faut prendre du recul et se donner le temps de l’analyse, c’est une méthode que j’enseigne dans le programme en ligne Dessinez votre futur où le participant établit un système pour atteindre ses objectifs de la manière qui lui correspond le mieux possible.

Tiens ! Quand j’y pense… c’est peut-être un balbutiement de second degré, il faut que je demande à Didier Pourquery : parler d’un cours de productivité en faisant l’éloge de la paresse stratégique, est-ce un premier pas vers la pratique de l’art ironique ?

Et vous, chers lecteurs, qu’en pensez-vous ? Avez-vous envie de travailler moins et de gagner plus ? Le principe de Pareto vous inspire-t-il de nouvelles stratégies ? Ou, mieux encore, si vous le pratiquez déjà et que cela fonctionne, merci de nous raconter.

The Conversation

Licence : CC by-nd

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