Un articlerepris de la revue Distances et Médiations des savoirs
Les premiers contributeurs de ce débat-discussion sont au nombre de quatre, issus d’horizons institutionnel et national différents : Pierre-François Coen est Suisse et formateur-chercheur à la Haute école pédagogique de Fribourg ; Aurélien Fiévez est Belge, mais il a obtenu son doctorat au Québec avant d’occuper, dès son retour au pays, un poste d’expert scientifique auprès de l’Administrateur général de l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ; Jean-François Céci, Français, est enseignant en Humanités et culture numériques à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour ; Cédric Fluckiger, lui aussi de nationalité française, est enseignant-chercheur à l’Université de Lille. Ces détails de présentation pourraient paraître anecdotiques et, par conséquent, inutiles. Tout au contraire, ils expliquent partiellement en tout cas la sensibilité, les orientations de chacun d’eux et, entre autres, le choix des exemples, marqués par leur contexte national. Ces chercheurs présentent pourtant un certain nombre de point communs : même quand ils paraissent « techno-enthousiaste » – ce qui serait plus clairement le cas de J.-F. Céci –, ils récusent tout technodéterminisme ; ils considèrent que les technologies ne sont qu’un des facteurs de la transformation des formes scolaire et universitaire et accordent donc une grande importance au contexte.
Disons encore que la rubrique innove : dans le but de favoriser la discussion, chacun de quatre contributeurs a pu relire les textes de ses collègues et, s’il le désirait, réagir par rapport à ceux-ci. La formule semble intéressante, car elle crée un espace intertextuel au sein duquel certains arguments se répondent, resserrant ainsi la problématique. Elle devra sûrement faire l’objet d’améliorations pour apparaître moins formelle. Nous nous y emploierons dans les prochains numéros.
Pierre-François Coen revient sur la définition de la forme scolaire dont, pour lui, les principales dimensions, s’appliquent aussi aux autres ordres d’enseignement. Après avoir rappelé combien les technologies ont été perçues comme un des leviers de l’innovation pédagogique, il constate que, en Suisse comme ailleurs, la forme scolaire semble effectivement résister, « ralentir » l’intégration des technologies et leur potentiel d’innovation. Pour lui, cette forme ne changerait qu’à partir du moment où la pression extérieure, qui s’exerce d’ailleurs sur toute forme sociale, deviendrait suffisamment forte pour qu’il n’y ait plus d’autre choix, d’autre possibilité que de se transformer. La question initiale que nous posions dans ce débat se trouve dès lors déplacée : il s’agit dès lors de savoir quels événements, quels facteurs pourraient avoir assez de poids pour contraindre la forme scolaire à évoluer.
L’auteur identifie, à tire d’hypothèse, deux dimensions susceptibles de « peser » dans ce processus. La première concerne la place prépondérante du numérique dans la société et la nécessite qui contraint, en Suisse, les politiques à insérer l’informatique, en tant que discipline scientifique, dans les plans d’études. Ce nouvel aspect pourrait effectivement constituer un facteur de changement en redéfinissant les technologies numériques et, principalement, dans les instituions de formation des enseignants à renforcer les dispositifs de formation en distinguant ce qui relève de l’intégration des technologies, des dimensions plus transversales telles que l’éducation aux médias, leur utilisation éthique, etc. et, enfin, les compétences strictement instrumentales. La seconde dimension touche, selon Coen, à notre entrée, grâce aux technologies dans un « monde de la mesure » dont l’une des conséquence serait, dans le domaine de l’apprentissage et de son évaluation, d’inverser le contrat implicite qui lie les enseignants évaluateurs et les apprenants évalués : « On change de paradigme, car dans cette logique ce n’est plus le professeur qui cherche la preuve de l’apprentissage, mais bien le formé qui la produit en l’étayant avec des données factuelles. » (ici même, § 9). L’émergence de ce nouveau paradigme provoquerait de nombreux changements mécaniques, organiques et structurels que seule la recherche empirique permettrait de valider.
Aurélien Fiévez s’interroge sur la possibilité, pour la forme scolaire, de constituer un modèle provisoire d’analyse de la forme universitaire. Quant à l’intégration des technologies, il rappelle que la pénétration des usages des technologies dans les classes et les amphis provient sans doute plus de l’importation des usages privés des apprenants et/ou des formateurs que d’une réelle « intégration planifiée, structurée, réfléchie et intégrée des TIC dans l’enseignement et l’apprentissage » (ici même § 4). Les enjeux majeurs sont alors la coordination, la synergie entre les trois niveaux distingués classiquement entre micro, méso et macro. Or, selon l’auteur, une articulation entre ces niveaux ne s’observe que trop rarement. Qu’il s’agisse des niveaux d’enseignement secondaire ou tertiaire, l’intégration des technologies et la mise en œuvre de leur potentiel d’innovation manquent de processus institutionnels de soutien. Faisant référence aux différents modèles d’appropriation des technologies par les enseignants, il souligne l’importance d’instaurer des mesures d’accompagnement des enseignants et de les aider à développer de nouvelles compétences ainsi qu’à déplacer progressivement leur posture. A. Fiévez, comme P.-F. Coen, rappelle enfin que dans le processus de changement des formes universitaire et scolaire, les innovations technopédagogiques ne constituent qu’un des éléments, qu’une des dimensions du processus.
A la question initiale de ce débat, « les technologies peuvent-elles modifier la forme universitaire ? », Jean-François Céci répond oui, assurément, à partir de deux exemples : le laboratoire de langues et la calculette. La notion d’amplification des pratiques semble ici centrale : les technologies apparaissent en effet comme un amplificateur des pratiques et de leurs différentes dimensions. Les pédagogies « amplifiées par les technologies » poussent la forme universitaire à évoluer. Il montre alors comment l’innovation développée au niveau micro impose progressivement, « dans son sillage », une évolution aux niveaux méso et macro. Pourtant, « l’influence de la technologie sur la forme universitaire n’est pas immanente » (ici même, §2). Aussi faut-il s’interroger sur les conditions qui permettent aux technologies d’avoir une influence sur la forme universitaire. Parmi celles-ci, l’accompagnement des enseignants constitue une de ces conditions, déjà évoquée par A. Fiévez. Enfin, les futures innovations susceptibles de bouleverser les formes scolaire et universitaire sont celles qui détricoteront les mailles de leurs tissus natifs : l’espace et le temps. Si l’écosystème éducatif mondial s’engage dans la création de nouveaux espaces-temps de l’enseignement et de l’apprentissage, la pression extérieure devrait être assez forte pour faire évoluer les formes scolaire et universitaire : il cite à titre d’exemple, la prise en compte, par l’Université de Pau, de l’activité des enseignants lors des phases d’enseignement à distance dans le cadre de projets pédagogiques spécifiques. Au-delà de cet exemple précis, il reste à voir dans quel sens se fera cette évolution.
Dans sa contribution, Cédric Fluckiger nous ramène à un cadre théorique et conceptuel qu’il trace à la manière d’un garde-fou avant de se livrer à une quelconque analyse. Il rappelle à juste titre que la forme scolaire, dans sa définition originelle, se distingue de l’institution et désigne les formes des relations sociales qui traversent les institutions. « Modifier la forme universitaire est donc bien différent de modifier l’institution scolaire. » (ici même, § 14) Le risque de confusion est effectivement réel et le texte de cadrage n’a peut-être pas suffisamment explicité ce distinguo. Peut-être devrait-on relire toutes les contributions à la lumière de cette importante distinction qui, peut-être, n’a pas été toujours maintenue.
Il prend clairement position contre un technodéterminisme encore bien vivant, nous renvoie au concept de dispositif qui permet – depuis Linard notamment – de penser l’articulation entre le technique et l’humain. Enfin. Il nous engage à considérer un processus d’assimilation et d’accommodation entre les technologies et l’institution qui se change en s’appropriant ces dernières. Enfin, il revient, de manière extrêmement féconde, sur deux types d’innovations, celle portée par les enseignants innovateurs, voire par les institutions, et celle, plus récente, portée par ce que Fiévez a nommé une dimension sociétale (ici même, § 4). Pour C. Fluckiger, il s’agit d’une innovation « ascendante » (citant Cardon) qui pénètre le milieu éducatif à partir de l’univers personnel des apprenants, de leurs « usages ordinaires » (ici même, § 27).
Dans ses conclusions, C. Fluckiger nous rappelle, entre autres, que « c’est souvent l’évolution dans la manière de poser les questions qui conduit aux déplacements de perspective les plus fructueux ». (ici même, § 30). Gageons que ces quatre contributions contribuent à ce mouvement.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |