Au-delà du télétravail, le numérique a permis l’émergence de nouveaux modes de travail créatifs. Parmi ces nouveaux modèles : le tiers-lieu. Loin d’être de simples espaces de coworking, les tiers-lieux sont des systèmes vivants dont le dynamisme est étroitement lié à la communauté qu’ils hébergent. Dans cet article, j’argumente que les tiers-lieux sont avant tout des lieux d’innovation sociale, cette innovation sociale étant un pré-requis à l’ innovation technologique et à la création de valeur. Je donne également l’exemple d’un réseau de tiers-lieux qui a su bâtir un modèle économique en s’appuyant sur le capital social de sa communauté.
De nouveaux lieux pour les travailleurs créatifs
Connaissez vous les tiers-lieux ? Généralement définis comme des lieux hybrides situés entre domicile et lieu de travail et contenant une part des deux, la notion de tiers-lieu va au-delà.
Un espace de coworking est souvent décrit comme un tiers-lieu, mais avoir un espace avec des bureaux et des ordinateurs pour télétravailleurs ne suffit pas en faire un tiers-lieu.
Un tiers-lieu est bien plus que ça.
C’est un système complexe qui englobe à la fois l’espace physique, la communauté qui l’habite et le fait vivre, sa relation au territoire. (Lire Tiers-Lieux et plus si affinités, par Antoine Burret).
Carrefour de rencontre, le lieu facilite la rencontre inopinée/spontanée de personnes souvent issues d’horizons différents, facilitant la multiplication des liens faibles entre les personnes (Sur l’importance des liens faibles dans la structure des réseaux, lire : Les réseaux (1) : La force des liens faibles !)
Favorisant le réseau, l’échange d’idées et de compétences, cette densification des liens faibles n’est pas anodine, elle est un facteur clé d’innovation et de productivité liée au lieu.
Parce que les tiers-lieux peuvent être des facilitateurs d’interaction et de collaboration spontanée, des lieux de réseautage, de partage de savoirs et de co-apprentissage, ils sont beaucoup plus adaptés aux métiers créatifs que les traditionnels bureaux sectorisés par des murs, que se soient les murs de l’espace physique ou les murs invisibles d’une culture d’entreprise en silos.
Des systèmes vivants et polymorphes
Le tiers lieu vit et évolue avec sa communauté et son rythme de vie. Le même lieu change donc aussi selon le moment de la journée.
La journée, vous pourrez trouver pèle-mêle des développeurs et des graphistes qui reçoivent leurs clients ou travaillent sur leur ordinateurs, …
En fin d’après midi, ce sera une AMAP qui vient livrer ses légumes pendant que de l’autre coté de la pièce des salariés viennent suivre une formation Twitter après leurs heures de bureau…
Le soir, le lieu on pourra trouver des entrepreneurs sociaux qui se retrouvent pour réfléchir ensemble à comment accélérer un projet de supermarché coopératif ou suivre un MOOC (cours massif et ouvert en ligne) à plusieurs.
Un autre soir on trouvera peut être un Repair Café où les habitants du quartier viennent apprendre à réparer leur objet avec l’aide de bricoleurs tandis que, juste à coté, des musiciens explorent ou fabriquent de nouveaux outils pour mixer du son ou de l’image…
Souvent socialement responsables et écologiquement conscients, certains tiers-lieux auront un jardin partagé si le lieu le permet, d’autres seront plus focalisé sur l’accueil d’artistes en résidence.
Chaque lieu est différent et à sa propre personnalité. Ce qui fait le coté tiers-lieu, c’est n’est pas le bâtiment, mais cette vie foisonnante apportée par la communauté qui habite le lieu.
En ce sens un café de village d’antan est beaucoup plus proche d’un tiers lieu que le télécentre ou la pépinière d’entreprise d’aujourd’hui où, malgré le fait que les espaces de bureaux soient partagés, le nombre de liens faibles et d’interactions productives entre les personnes sont peu élevés.
D’ailleurs les tiers lieu ont très souvent une zone café-détente, endroit clé de la vie du lieu car c’est là qu’on peut y faire le plus de rencontres.
L’innovation sociale avant l’innovation technologique
Quinze ans après leur invention les fablabs sont partout. Dans ces tiers-lieux dédiés au prototypage et à la fabrication numérique on trouve de nombreuses machines, ce qui explique que la plupart du temps le fablab est uniquement vu comme une innovation technologique, y compris par ses promoteurs.
Pourtant ce n’est pas là que réside la véritable innovation, elle est dans la culture qu’on y trouve.
Contrairement à une entreprise classique, dans un fablab, expérimenter est non seulement permis mais souhaité et encouragé.
Ici tout le monde peut devenir un « maker » (quelqu’un qui fait), tester une idée et lancer nouveau projet, et pas seulement le département recherche et développement.
Même si tout le monde ne joue pas le jeu, le partage de connaissance et de savoirs-faire est encouragé et facilité par l’usage de machines « standards » qui sont communes à tous les fablabs.
Là encore loin d’être un simple lieu avec des machines, le fablab est un espace dont l’identité est donnée par le dynamisme de la communauté.
Plus largement qu’un lieu physique et sa communauté locale, le fablab s’inscrit dans une communauté globale où les inventions imaginées à un endroit peuvent être reproduites et améliorées partout ailleurs permettant une innovation en réseau distribué.
C’est pourquoi j’argumente que les fablabs sont avant tout des lieux d’innovation sociale, cette innovation sociale étant un pré-requis à l’ innovation technologique et à la création de valeur.
Les Tiers-lieux : des générateurs de valeur
Interdisciplinarité, co-apprentissage, apport d’affaires, partenariats, émergence de nouvelles idées ou de nouveaux projets, le foisonnement de rencontres décrit précédemment est essentiel.
C’est grâce à cette diversité interactive de la communauté que l’on verra apparaître de l’innovation ascendante qui pourra donner lieu à l’amélioration de produits et de services, la création de choses entièrement nouvelles qui pourront ensuite éventuellement générer une valeur économique.
Comme l’affirme Hubert Guillaut dans un excellent article (Von Hippel : le paradigme de l’innovation par l’utilisateur). Il n’y a pas d’innovation sans collaboration ouverte.
Selon le modèle décrit par Von Hippel, si les producteurs arrivent à gagner de l’argent, c’est parce qu’ils monétisent la valeur des innovations initialement crées par les usagers qui collaborent entre eux.
Catalyseurs de rencontres et de collaboration ouverte, les tiers-lieux peuvent donc jouer un rôle clé dans les processus d’innovation collaborative.
Pourtant la part apportée par le tiers-lieu dans la création de valeur économique est impossible à quantifier car cette valeur n’apparaît ni de manière directe et linéaire ni prédictible
Ainsi un tiers lieu vivant pourra dynamiser l’économie autour de lui, mais il lui sera très difficile de déterminer précisément la valeur apportée dans le processus d’innovation collaborative.
L’invention de modèles économiques pour les tiers-lieux est donc compliquée car si la valeur qu’ils apportent est réelle, elle est difficile à rendre visible et à monétiser.
Différentes valeurs : capital social et capital économique
Dans ce contexte, l’exemple de Seats2meet est très instructif. Ce réseau de coworking néerlandais atypique offre espace de travail, café et parfois même le repas à ses coworkers !
Comment font ils pour offrir un espace et un repas à leur coworkers et en même temps arriver à faire vivre l’entreprise ?
Reconnaissant que sa force et résidait dans sa communauté et sa valeur ajoutée dans sa capacité à créer des rencontres, Seats2Meet a mis en place des outils pour favoriser la sérendipité, ces rencontres inattendues mais pertinentes, et il a bâti un vrai modèle économique basé sur sa capacité à provoquer ces rencontres créatives.
Concrètement les coworkers réservent leur espace de travail avec un outil en ligne qui leur permet d’afficher leur présence et d’indiquer leurs compétences.
En échange il leur est demandé explicitement de payer avec du capital social : c’est à dire s’engager à prendre du temps pour répondre aux sollicitations des personnes qui leur demandent de l’aide ou promouvoir le réseau.
Ceci crée une architecture d’entraide forte au sein des espace où les coworkers peuvent spontanément demander l’aide les uns aux autres.
Si Seats2meet offre de l’espace aux individus, en revanche il fait payer les organisations. Une entreprise qui veut utiliser une salle de réunion devra payer un forfait.
Voici le point où le modèle Seats2meet est intelligent. En payant l’accès à la salle de réunion, l’entreprise ne paye pas uniquement pour une salle, mais aussi pour l’accès au capital social de la communauté, facilité par le numérique.
S’il s’avère au cours de la réunion que l’entreprise a besoin d’un consultant, d’un graphiste ou d’un avis technique sur une autre spécialité, elle peut simplement vérifier quelles sont les compétences présentes dans le tiers-lieu, et sortir de la salle pour aller prendre conseil auprès de la personne compétente, voire même l’engager s’il s’avère que la discussion se passe bien.
Pour l’entreprise il y a donc un avantage précieux, avoir accès immédiat à un ensemble de connaissances, compétences et un réseau de professionnels.
Le tiers lieu agit donc comme un accélérateur de rencontres, favorisant le partage de connaissances, et la créativité.
Là où le modèle est particulièrement intelligent c’est qu’il permet de générer un modèle économique autour de la communauté, sans abîmer la confiance et le commun.
Pour en savoir plus sur la genèse du modèle Seats2Meet lire : the Serendipity Machine, A disruptive business model for society 3.0.
Créativité et nouveau modes de travail, à suivre…
Dans un prochain article nous verrons que cultiver ce capital social propice à une innovation collaborative ne se décrète pas et que le développement d’un tiers-lieu nécessitent des « technologies du faire ensemble » pour faciliter l’émergence d’une dynamique.
Cet article fait partie d’une série d’articles consacrée à la créativité et aux nouveaux modes de travail et a nécessité 14h de rédaction. Pour des publications plus régulières, soutenez moi.
Déjà paru :
A suivre :
- Comment faciliter le développement d’un tiers-lieu ? (technologies du faire ensemble)
- Tiers-lieux en réseau et territoires créatifs
- Du Faire Pour au Faire Avec : vers de nouveaux modèles d’entreprises ?
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