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Le numérique à l’université : facteur explicatif des méthodes pédagogiques ?

12 mars 2019 par Amélie Duguet, Sophie Morlaix RIPES 1992 visites 0 commentaire

Un article repris de http://journals.openedition.org/rip...

Cet article a une double ambition. Il vise premièrement à mettre l’accent sur les méthodes pédagogiques déployées à l’université par les enseignants en cours magistral et en travaux pratiques et travaux dirigés. Il s’intéresse dans un second temps à l’utilisation du numérique par les enseignants, pendant et en dehors des heures de cours, comme facteur explicatif des méthodes pédagogiques mises en place. Ainsi, à partir des données recueillies au travers une enquête empirique menée auprès d’un échantillon composé de 248 enseignants d’une université française, nous proposons une description des méthodes pédagogiques mobilisées par ces derniers. Puis, nous avons construit des modèles de régression destinés à expliquer les méthodes pédagogiques des enseignants, intégrant des variables liées aux caractéristiques personnelles des enseignants, au contexte d’enseignement et à leur représentation, leur formation et leur utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC). Nous mettons en évidence un effet positif et significatif de l’utilisation de certaines technologies numériques sur le déploiement de pédagogies destinées à rendre les étudiants davantage acteurs de leurs apprentissages. Ce travail offre de nombreuses pistes de recherche concernant le lien entre utilisation des TIC et méthodes pédagogiques des enseignants universitaires. Il ouvre en outre le débat sur la manière dont ceux-ci pourraient être formés pour prendre en compte toute l’hétérogénéité du public étudiant dans leurs pratiques pédagogiques numériques.

Un article d’Amélie Duguet et Sophie Morlaix repris de RIPESS la Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, un site sous licence CC by sa nc

1. Introduction

En France, le numérique est perçu comme un levier pouvant contribuer à la rénovation des pratiques d’enseignement à l’université (Bertrand, 2014 ; Dubrac et Djebara, 2015 ; Le Déaut, 2013). En rendant davantage possible la diversification des méthodes pédagogiques et des modes d’accès aux contenus et aux services pédagogiques, le numérique permettrait notamment de transformer la relation entre étudiants et enseignants dans l’objectif de la renforcer (Dubrac et Djebara, 2015). De ce fait, un engouement apparent pour le numérique conduit à s’interroger sur le positionnement des acteurs du système universitaire en la matière. Plusieurs axes peuvent alors être envisagés : on peut d’abord se pencher sur les institutions dans leur globalité et voir en quoi le numérique contribue à influer sur les décisions prises par les politiques, les décideurs ou bien encore les prestataires de service. On peut également étudier les pratiques numériques des étudiants et les effets de ces pratiques sur leur réussite. Rejoignant de précédents résultats tels ceux de Dahmani et Ragni (2009) et Fusaro et Couture (2012), Michaut et Roche (2017) montrent que les étudiants ont recours à des outils numériques de nature relativement classique et les mobilisent peu pour étudier en profondeur. Leurs activités numériques s’avéreraient en outre sans effet sur leurs résultats aux examens. En outre, on peut s’intéresser aux enseignants en examinant leur perception du numérique ou bien encore les effets du numérique sur leurs pratiques d’enseignement. C’est sur ce dernier aspect que porte cet article, destiné à approfondir les connaissances sur les méthodes pédagogiques privilégiées par les enseignants universitaires, en lien avec leur utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC). De ce fait, nous proposons en premier lieu une revue de la littérature traitant des apports du numérique en pédagogie universitaire. Bien que des travaux anglo-saxons aient été produits sur le sujet, nous nous intéressons au cas des enseignants français uniquement. Nous faisons par conséquent le choix de privilégier dans cette recension la littérature française, belge et québécoise, le système universitaire de ces deux pays rencontrant des difficultés analogues aux universités françaises. Puis, nous focalisons davantage notre attention sur le concept de méthode pédagogique, objet central de notre travail, ainsi que sur la remise en cause des méthodes actuelles. Après avoir exposé notre problématique et nos hypothèses de travail, nous présentons ensuite l’enquête de terrain sur laquelle repose cette recherche. Les résultats sont présentés en deux temps : nous décrivons d’abord les méthodes mobilisées par les enseignants de l’échantillon pour enseigner, puis nous analysons les facteurs influant sur ces méthodes. Enfin, les résultats sont discutés au regard de la littérature existant sur le sujet et des perspectives de recherche sont proposées.

2. Numérique comme levier pédagogique à l’université

L’université est de longue date confrontée à de forts taux d’échecs, particulièrement en première année universitaire. Nombre d’auteurs ont produit des modèles explicatifs de cet échec et reconnaissent le rôle prédominant du passé scolaire de l’étudiant (Duguet, 2014 ; Lambert-Le Mener, 2012 ; Morlaix et Suchaut, 2015). Différents dispositifs ont été mis en place pour tenter de remédier au problème. Citons à ce titre de manière non exhaustive la mise en place du tutorat dans les années 1990, les investissements du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche réalisés dans le cadre du plan réussite en licence en 2008 ou bien encore la loi du 22 juillet 2013, visant notamment à une spécialisation progressive en licence destinée à faciliter les réorientations. Cette même loi prévoit de favoriser la diversification et le renouvellement des méthodes pédagogiques au travers du numérique. En effet, selon le rapport de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur (Béjean et Monthubert, 2015), la pédagogie numérique constituerait une occasion de renouveau pédagogique car elle permettrait de faire évoluer le rôle de l’enseignant au sein de la situation pédagogique, celui-ci n’étant plus le détenteur exclusif du savoir. Elle rendrait par ce biais l’enseignement plus interactif. De même, elle aurait pour avantage de participer à la « libération du temps pédagogique » (Dubrac et Djebara, 2015, p. 26). Réalisant une revue de la littérature sur le sujet, Raby, Karsenti, Meunier et Villeneuve (2011) indiquent que l’introduction des TIC dans l’enseignement universitaire présente de nombreux avantages pour les étudiants, en termes d’accès à l’information (Rogers, 2001, dans Raby et al., 2011), d’engagement (Saunders et Klemming, 2003, dans Raby et al., 2011), d’un apprentissage en profondeur de la matière (Rogers, 2004) ou bien encore de facilitation des interactions entre formateur et étudiants (Wang, 2007, dans Raby et al., 2011). A l’appui des données recueillies auprès de 7655 étudiants, Raby et al. (2011) montrent que de l’avis des étudiants, l’usage des TIC par les enseignants constitue une véritable valeur ajoutée en permettant un meilleur accès à l’information, en accélérant les apprentissages, en favorisant la communication avec l’enseignant, le partage des savoirs, des apprentissages plus en profondeur et en augmentant l’intérêt des étudiants pour les cours et le temps passé à étudier. Malgré l’ensemble de ces constats, en France, Béjean et Monthubert (2015) notent que les usages du numérique ne se sont pas autant développés que le souhaiteraient les enseignants eux-mêmes, cela notamment en raison de l’accès des étudiants au matériel numérique et plus largement des infrastructures universitaires. Il est à dire que les actions menées en faveur de ces infrastructures, des équipements et des ressources se sont finalement avérées peu coordonnées et insuffisamment intégrées dans une stratégie d’ensemble (Isaac, 2007, dans Endrizzi, 2012). De tels constats laissent à penser que la modernisation pédagogique est restée superficielle (Endrizzi, 2012) et conduisent alors à s’interroger sur les méthodes pédagogiques mises en œuvre par les enseignants pour enseigner, dans un contexte d’utilisation accrue des TIC.

3. Méthodes pédagogiques : conceptualisation d’un objet de recherche

Il existe un réel manque de consensus autour du concept de méthode pédagogique. La multiplicité des typologies de méthodes que l’on trouve dans la littérature scientifique en est la preuve. D’ailleurs, ce que certains qualifient de « méthodes » est qualifié par d’autres comme étant des « modèles » ou bien encore des « situations pédagogiques » (Raynal et Rieunier, 2005 ; Morandi et La Borderie, 2006). Néanmoins, on retrouve certains traits communs à l’ensemble de ces définitions. Ainsi, le terme de méthode pédagogique désigne d’après Raynal et Rieunier (2005) une « organisation codifiée de techniques et de moyens ayant pour but de faciliter l’action éducative » (p. 228). De ce fait, les méthodes « rassemblent les acteurs et définissent les caractéristiques matérielles, cognitives et sociales d’une pratique pédagogique » (Morandi et La Borderie, 2006, p. 126). Autrement dit, la méthode détermine la nature, le rôle respectif et la relation établie entre les trois acteurs du triangle pédagogique que sont l’enseignant, les élèves et le savoir (Dancel, 1999). Elle constitue donc un mode organisé et conscient de pratiques (Morandi, 1998) ou bien encore un cadre pour penser et réaliser la pratique éducative (Bru, 2006). L’étude des méthodes pédagogiques des enseignants est cruciale dans la mesure où ces dernières orientent le choix de pratiques des enseignants, même si ces dernières ne suivent pas toujours un chemin balisé car, dans la pratique, interviennent des éléments imprévus (Bru, 2006). La littérature oppose bien souvent deux grands types de méthode : d’une part la méthode « traditionnelle » reposant sur un processus de transmission par lequel le savoir est directement donné aux élèves sensés l’enregistrer et l’accumuler (Bru, 2006). Certes l’emploi du terme traditionnel peut être discuté, mais reste courant dans les écrits des chercheurs, en témoignent les travaux de Chevallier et Giret (2013) et de Duguet (2014). Les méthodes « actives », quant à elles, ont pour but d’impliquer l’apprenant dans ses propres apprentissages (Arénilla, Gossot, Rolland et Roussel, 2000). Elles font donc référence à l’emploi de pratiques plus innovantes où l’enseignant n’est plus un transmetteur mais un accompagnateur dans l’acquisition des savoirs. En ce qui nous concerne, nous ne nous appuierons pas sur une vision duale des méthodes mais davantage sur l’idée que celles-ci peuvent en réalité être replacées sur un continuum, allant des méthodes traditionnelles aux méthodes « actives », faisant passer l’enseignant d’un statut de dispensateur de savoir à un statut d’accompagnateur.

4. Méthodes remises en question à l’université

Nombre d’écrits dénoncent depuis plusieurs décennies l’usage d’une pédagogie reposant sur des méthodes trop transmissives et donc traditionnelles. Déjà en 1964, Bourdieu et Passeron indiquaient dans Les Héritiers que c’est « par son absence de pédagogie que se caractérise la pédagogie à l’université » (p. 95). Depuis, les chercheurs se sont attachés à dénoncer un modèle traditionnel inadéquat (Bireaud, 1990), inadapté aux nouveaux publics étudiants (Felouzis, 2003), une pratique du cours magistral (CM) inscrite dans la tradition universitaire et représentant un facteur d’échec en premier cycle (Leroux, 1997), nécessitant de nouvelles pratiques d’enseignement et d’apprentissage (Bertrand, 2014). Se pose alors la question de savoir comment le numérique a pu influer ces dernières années sur les méthodes pédagogiques mobilisées par les enseignants. L’introduction du numérique est actuellement vue comme un levier permettant la diversification des méthodes pédagogiques (Dubrac et Djebara, 2015). Néanmoins, des recherches semblent indiquer que les méthodes traditionnelles perdurent, au moins en ce qui concerne les cours magistraux (Duguet, 2014), malgré la promotion du numérique à l’université. De multiples travaux ont été produits ces dernières années sur les usages et le non-usage du numérique par les enseignants (Boudokhane, 2006 ; Fusaro et Couture, 2012 ; Gremmo et Kellner, 2011 ; Léger Marketing, 2011 ; Paivandi et Espinosa, 2013 ; Trestini, 2012), sur le développement professionnel des enseignants (Demougeot-Lebel, 2016 ; Fave-Bonnet, 2011) ou encore sur leurs pratiques pédagogiques (Boyer et Coridian, 2002 ; Clanet, 2001 ; Duguet, 2014). Peu en revanche se sont focalisés sur les méthodes pédagogiques mobilisées en tant que telles pour enseigner et sur le lien qu’entretiennent ces méthodes avec l’utilisation des outils numériques pour enseigner. Par conséquent, ce travail a plus précisément pour ambition d’apporter des éléments de réponses aux questions suivantes :

 Quelles méthodes les enseignants universitaires mobilisent-ils pour enseigner ? Existe-t-il une réelle distinction entre les méthodes mobilisées en CM et celles auxquelles les enseignants ont recours en travaux dirigés (TD) et travaux pratiques (TP) ? Si un tel questionnement pourrait d’emblée paraître tautologique, il demeure pertinent dans un contexte où l’on s’interroge de plus en plus sur la place du CM à l’université, comme en témoigne un récent numéro de la revue Distances et Médiations des Savoirs (Petit, 2015) sur le sujet, et où l’on souhaite prendre appui sur le numérique pour dynamiser, voir transformer les pratiques des enseignants en CM.

 Quels facteurs influent sur les méthodes pédagogiques des enseignants ? Dans quelle mesure leur utilisation des TIC peut-elle exercer un rôle sur leurs méthodes d’enseignement ? A l’heure où l’innovation pédagogique est souvent assimilée à l’utilisation de l’outil numérique, cette question est particulièrement intéressante pour comprendre comment l’utilisation des TIC peut faire évoluer les méthodes d’enseignement des enseignants.

Précisons que le concept de TIC correspond à un construit très hétérogène (Baron, 2005) dont la définition semble faire l’objet d’un manque de consensus dans la littérature scientifique. Notre conception se rapproche de celle de Raby (2004) qui fait le choix de les considérer comme faisant « référence aux équipements technologiques (ordinateurs, serveurs, caméras numériques, caméras vidéo numériques, numériseurs, projecteurs, lecteurs de cédéroms, lecteurs de DVD, graveurs, imprimantes, modems, logiciels, etc.) de type numérique pouvant servir d’outils pédagogiques (outils de présentation, d’organisation, de consultation, de transmission, de production, de communication et de collaboration) » (p. 19). Reprenant la définition de Duguet et Morlaix (2017a), nous considérons plus précisément les TIC comme étant « l’ensemble des matériels, logiciels et services numériques pouvant être utilisés pour enseigner » (p. 7).

Nous formulons deux hypothèses de travail :

  Hypothèse 1 : les enseignants ont principalement recours aux méthodes traditionnelles durant les cours magistraux. Les méthodes mobilisées en TD et TP sont en revanche plus variées et placent davantage l’étudiant dans un rôle actif.

 Hypothèse 2 : les méthodes pédagogiques des enseignants s’expliquent à la fois par des facteurs intrinsèques aux enseignants, tels que leur statut, leur ancienneté ou leur conception de l’enseignement, mais aussi par des facteurs contextuels comme la composante, le niveau d’enseignement et le matériel mis à disposition des enseignants par l’université. Nous supposons en outre que l’utilisation des outils numériques par les enseignants est susceptible d’expliquer leurs méthodes pédagogiques.

Cette recherche, apportant un éclairage nouveau sur les méthodes pédagogiques, à la fois concernant la nature et la construction de ces dernières, s’inscrit au cœur de réels enjeux puisqu’une meilleure compréhension des méthodes des enseignants induit une meilleure appréhension de leurs pratiques, et apporte par là même un éclairage intéressant concernant le rôle que peuvent tenir les TIC dans la rénovation de la pédagogie universitaire. Il convient à présent d’exposer le cadre empirique de la recherche.

5. Cadre empirique de la recherche

Cette recherche s’appuie sur une enquête par questionnaires réalisée en mai 2016, diffusée via Internet, auprès de l’ensemble de la communauté enseignante d’une université française (soit environ 1500 personnes). Le choix de cette méthode se justifie par le fait que nous souhaitions construire un échantillon d’enseignants le plus large possible présentant une réelle variété à la fois dans les caractéristiques personnelles des individus, mais aussi dans leurs conditions d’enseignement et dans leur manière d’exercer leur profession. En ce sens, le questionnaire comportait notamment des items relatifs aux caractéristiques intrinsèques des enseignants (genre, âge, statut, ancienneté, conception de l’enseignement [1]), à leurs caractéristiques professionnelles (composante, niveau d’enseignement, types de cours enseignés, formation aux outils numériques), à leur représentation des TIC (11 items permettent d’élaborer un score de représentation des TIC par les enseignants, cf. annexe), au matériel numérique mis à leur disposition pour enseigner, à leur utilisation des outils numériques pour enseigner ainsi qu’aux méthodes pédagogiques mobilisées pour enseigner. A cet égard, nous nous sommes appuyées sur les travaux de Bédard et Viau (2001). Ces derniers, examinant le profil d’apprentissage des étudiants, distinguent plusieurs types de « situations pédagogiques », que nous avons pour notre part considéré comme étant des méthodes : l’exposé magistral, les ateliers, l’approche par problèmes, l’approche par projet, les études de cas, les séminaires de lecture. Les items se rapportant aux méthodes pédagogiques, introduits dans le questionnaire étaient donc les suivants (« en cours, vous arrive-t-il de … ») :

  • Procéder à un exposé magistral du cours ;
  • Faire travailler les étudiants de façon individuelle sur des exercices ;
  • Faire réaliser des exercices en équipes sur les notions étudiées en cours ;
  • Présenter aux étudiants un cas concret à analyser pour choisir des solutions ;
  • Faire rechercher des notions théoriques nécessaires à la compréhension (et à la résolution) d’un problème ;
  • Faire réaliser un projet d’équipe comportant les mêmes étapes que dans la vie professionnelle ;
  • Faire présenter par les étudiants des exposés au reste du groupe ;
  • Interagir avec les étudiants.

Certes, on ne peut considérer ce dernier item à part entière comme étant une méthode. Il nous a néanmoins semblé qu’il s’agissait là d’un indicateur du positionnement pédagogique de l’enseignant important à prendre en compte. Pour chacune de ces méthodes, l’enseignant devait indiquer s’il y avait recours « jamais », « parfois » ou « souvent » en cours magistral, mais aussi en travaux dirigés et en travaux pratiques.

Outre une présentation descriptive des résultats, l’originalité de cette recherche se situe notamment dans le fait que nous optons pour une approche intégrative, prenant en compte simultanément plusieurs facteurs, dont des variables se rapportant à l’utilisation du numérique par les enseignants, pour expliquer leurs méthodes pédagogiques. A cet effet, nous avons construit un score global (sur 16) de méthode pédagogique. Nous avons procédé par addition en attribuant un point à chaque fois qu’un enseignant prétendait mobiliser l’une de ces méthodes en CM et un point à chaque fois qu’il déclarait en mobiliser une en TD/TP. Ce principe de codage a néanmoins été inversé pour le premier item, relatif à l’exposé magistral du cours : un point a été accordé à l’enseignant lorsqu’il déclarait ne pas utiliser ce type de méthode. Plus le score est élevé, plus il indique que l’enseignant mobilise des méthodes visant à rendre l’étudiant davantage acteur de la situation pédagogique. Le score de méthode pédagogique, ayant pour moyenne 10,19 et pour écart-type 2,36, constitue en définitive la variable à expliquer.

Par ailleurs, nous nous sommes intéressées à l’utilisation des outils numériques par les enseignants pendant les heures de cours mais aussi en dehors des heures de cours. Prenant appui sur l’expérience professionnelle d’un ingénieur en pédagogie numérique responsable de la formation des enseignants aux TIC à l’université, ainsi que sur la littérature scientifique (Fusaro et Couture, 2012 ; Trestini, 2012), nous avons donc interrogé les enseignants quant à leur utilisation des technologies suivantes :

- Pendant les heures de cours : traitement de texte (Word, Writter), logiciel de présentation (PowerPoint), outils et logiciels spécialisés (SPSS, AutoCAD, logiciel métier etc.), plateforme d’enseignement (Moodle, Plubel, serveur Internet...), boîtiers de votes électroniques et dispositifs assimilés (Votar, Plickers, QCM Plubel…), création collaborative de contenus sur un wiki (Wikipedia, EtherPad…), fichiers bureautiques (PDF…), sites Internet, ressources audio, vidéo, ressources interactives (application multimédia, simulation, serious game…).

 En dehors des heures de cours : traitement de texte (Word, Writter), logiciel de présentation (PowerPoint), ressources numériques (PDF, Word, Diaporama, Audio, Vidéo) sur la plateforme d’enseignement en ligne (Moodle, Plubel…), liens Internet complémentaires sur la plateforme d’enseignement (Moodle, Plubel…), ressources interactives (application multimédia, module e-learning, simulation…), courriel (Gmail, Yahoo, Hotmail...), forums (Moodle, Plubel…), chat ou messagerie instantanée (Moodle, Plubel…), visioconférence (Skype, Google Hangouts…), réseaux sociaux (Twitter, Facebook…), test, quiz, exerciseur etc. (QCM Moodle, Plubel...), dépôt de devoirs (outil devoir Moodle, Plubel…), création collaborative de contenus sur un wiki ou un blog (Wikipedia, EtherPad…)

Les TIC recensées ne sont pas toutes de même nature pendant les cours et en dehors des heures de cours car, nous appuyant sur les propos d’un ingénieur en technologies numériques rencontré lors de la phase exploratoire de cette recherche, nous sommes parties de l’a priori selon lequel les enseignants ne mobilisent pas nécessairement le même type de technologies durant ces deux temporalités différentes dans le cadre de leurs activités d’enseignement. Nous avons par exemple considéré que l’envoi de courriels n’était peut-être pas une pratique mobilisée en cours mais davantage en dehors pour communiquer des informations ou des fichiers aux étudiants.

Cette utilisation des TIC par les enseignants a elle aussi été synthétisée au travers de la création de deux scores pour lesquels nous avons procédé par addition :

 Un score (A) d’utilisation des TIC durant les heures de cours : pour chaque TIC considérée, nous avons accordé 0 point lorsque l’enseignant ne connaissait pas l’outil, 1 point s’il le connaissait mais ne le mobilisait pas, 2 points s’il ne l’utilisait qu’en CM ou en TD/TP et 3 points s’il le mobilisait à la fois en CM et en TD/TP.

 Un score (B) d’utilisation des TIC en dehors des heures de cours : nous n’avons attribué aucun point lorsque l’enseignant ne connaissait pas la technologie mentionnée, 1 point lorsqu’il la connaissait mais ne la mobilisait pas et 2 points quand il utilisait la technologie en question.

Plus ces scores sont élevés, plus ils indiquent que les enseignants utilisent une variété de matériel numérique pour enseigner. Ces scores ont ensuite été standardisés et intégrés comme variables explicatives, aux côtés d’autres facteurs, dans nos modèles d’analyse.

6. Échantillon d’enseignants et description des méthodes pédagogiques

L’échantillon est composé de 248 enseignants (soit environ 15 % de la population initiale), dont 40,7 % sont des femmes. Parmi les enseignants, 46,4 % ont entre 52 et 68 ans, 34,3 % entre 38 et 51 ans, les membres de la génération Y (âgés de 27 à 37 ans) étant les moins nombreux (19,4 %). La répartition entre, d’une part, les professeurs des universités ou des maîtres de conférences titulaires d’une habilitation à diriger des recherches (HDR) et, d’autre part, les maîtres de conférences sans habilitation et les attachés temporaires à l’enseignement et à la recherche (ATER) est relativement équilibrée (respectivement 31,9 % et 37,9 %). Les professeurs agrégés (PRAG), autrement dit enseignants du secondaire, sont 16,9 %, les autres catégories d’enseignants étant représentées à la marge. Notons que 46,4 % des enseignants ont plus de 16 années d’expérience, tandis que 17,6 % exercent depuis moins de six années. Les enseignants en activité dans des composantes de « sciences dures » sont représentés dans des proportions semblables à ceux d’instituts dont le fonctionnement peut être apparenté à celui d’une école [2] (25,9 % et 29,8 %). Les enseignants des composantes (Unités de Formation et de Recherche) liées aux sciences humaines, aux sciences économiques, au droit, aux lettres et langues sont davantage représentés (44,3 %). Peu de répondants ont un service d’enseignement équilibré entre CM et TD/TP (4,4 %), tandis que 62,5 % sont en charge de TD ou de TP uniquement et 23,4 % de CM uniquement. Près de 70 % enseignent à la fois en licence et en master. Un peu plus d’un enseignant sur deux (54,8 %) a le sentiment d’avoir un niveau intermédiaire en matière de maîtrise des outils numériques alors que 27,4 % déclarent avoir un niveau expert et 12,1 % un niveau débutant. Enfin, 56,9 % n’ont participé à aucune formation aux outils numériques au cours des deux années précédentes.

L’échantillon présente en définitive des caractéristiques relativement variées. On peut alors penser que ces caractéristiques vont amener les enseignants à présenter une certaine diversité dans les méthodes pédagogiques qu’ils mobilisent pour enseigner. Précisons que la colonne N.R. (Non Réponse) renvoie aux enseignants n’ayant pas donné de réponse pour cet item, soit parce qu’ils n’étaient pas concernés (si par exemple ils n’assuraient aucun cours en CM), soit parce qu’ils ont préféré ne pas indiquer s’ils avaient recours à la méthode en question.

Tableau 1 : Répartition des enseignants de l’échantillon en fonction des méthodes pédagogiques mobilisées en CM et en TD/TP (en %)

Il est peu surprenant de constater que l’exposé magistral du cours est la méthode pédagogique la plus mobilisée en CM, conformément à ce qu’avaient déjà pu relever Clanet (2001) ou plus récemment Duguet (2014). Néanmoins, une forte proportion d’enseignants utilise cette méthode également en TD/TP ; les analyses réalisées indiquent d’ailleurs l’existence d’un lien statistique fort (seuil de 1 %) entre le fait d’avoir recours à l’exposé magistral en CM et l’utilisation de cette méthode en TD/TP), dans des proportions semblables en fonction des composantes d’enseignement, alors même que l’intérêt de ce type de cours est d’impliquer davantage l’apprenant dans l’acquisition des savoirs et que cette méthode est notamment qualifiée par les étudiants interrogés par Bédard et Viau (2001) comme étant celle qui contribue le moins à leurs apprentissages. Néanmoins, de façon un peu paradoxale, nombreux sont les enseignants qui déclarent interagir avec les étudiants, quel que soit le type de cours considéré. Il est également intéressant de noter que contrairement à des a priori, une proportion non négligeable d’enseignants, a recours durant les CM à des méthodes visant à rendre les étudiants davantage acteurs de la situation pédagogique. Ainsi, 65,7 % déclarent présenter aux étudiants un cas concret à analyser pour choisir des solutions. De façon similaire, presque un enseignant sur deux fait travailler les étudiants de façon individuelle sur des exercices ou fait rechercher des notions théoriques nécessaires à la compréhension. Faire réaliser un projet d’équipe comportant les mêmes étapes que dans la vie professionnelle est la méthode la moins fréquemment utilisée en CM, de même qu’en TD/TP (derrière l’exposé magistral). Lors des TD/TP, les enseignants ont particulièrement recours à la réalisation d’exercices en équipe sur les notions étudiées en cours. A contrario, l’approche par projet, bien qu’étant selon les étudiants la méthode favorisant le plus les apprentissages (Bédard et Viau, 2001) n’est utilisée que par un peu plus d’un cinquième des enseignants. Etudions à présent les facteurs susceptibles d’influer sur les méthodes pédagogiques choisies.

7. Analyse des facteurs influant sur les méthodes pédagogiques des enseignants

Comme indiqué précédemment, nous avons créé un score de méthodes pédagogiques offrant une vision plus synthétique de ces dernières. La construction de modèles de régression linéaire, permettant de raisonner « toutes choses étant égales par ailleurs », ou autrement dit à caractéristiques comparables entre les individus, nous a permis d’étudier les facteurs jouant un rôle dans l’explication de ce score.

Les variables explicatives introduites dans le modèle concernent le genre de l’enseignant, son âge, son statut professionnel, son ancienneté, sa conception de l’enseignement, son sentiment de compétences en TIC, le nombre de formations aux TIC auxquelles il a participé ces deux dernières années, sa composante d’enseignement, le type de cours enseigné, son niveau d’enseignement, le matériel numérique mis à disposition de l’enseignant pour enseigner, sa représentation des TIC (appréhendée au travers de plusieurs items disponibles en annexe 2) ainsi que les scores d’utilisation des TIC pendant et en dehors des cours [3]. Seules les variables significatives sont retenues dans le tableau 2.

Tableau 2 : Effet des caractéristiques des enseignants et du contexte sur le score de méthodes pédagogiques

Toutes choses étant égales par ailleurs, le fait d’être Maître de Conférences sans HDR ou ATER augmente de 0,180 point le score de méthodes pédagogiques (valeur du coefficient de régression). De même, un point de plus au score d’utilisation des TIC en cours augmente de 0,375 point le score de méthodes pédagogiques. L’effet des coefficients est à interpréter au regard de leur significativité qui se lit comme suit : 1 %***, 5 %**, 10 %*, ns >10 % (non significatif). Le R² ajusté (coefficient de détermination) indique la part de variance expliquée par l’ensemble des facteurs intégrés dans le modèle ; ici ils permettent d’expliquer 25,7 % de la variance du score de méthodes pédagogiques.

Le fait d’être Maître de Conférences sans HDR ou bien ATER joue positivement sur le recours à des méthodes plaçant davantage l’étudiant au cœur de ses apprentissages, laissant ici à penser que ces enseignants seraient peut-être davantage préoccupés par leur mission d’enseignement et la qualité des méthodes pédagogiques qu’ils mettent en œuvre. Le fait d’enseigner en licence uniquement plutôt qu’en master exerce un effet négatif sur le score de méthode. Un tel constat est sans doute à mettre en parallèle avec les effectifs d’étudiants qui, dans de nombreuses filières, sont bien plus importants en licence qu’en master, laissant peut-être aux enseignants une moins grande marge de manœuvre en termes de pédagogie. De façon logique, on remarque également que le fait d’enseigner en TD/TP joue favorablement sur les méthodes pédagogiques mises en œuvre par les enseignants. Par ailleurs, plus l’enseignant s’est formé aux TIC, plus son score de méthodes pédagogiques augmente. En outre, si l’utilisation des TIC hors cours est sans effet sur les méthodes pédagogiques des enseignants, le score d’utilisation des TIC en cours s’avère, lui, particulièrement explicatif du score de méthodes : plus l’enseignant a recours à une variété de TIC en cours, plus il mobilise des méthodes destinées à rendre l’étudiant acteur de la situation pédagogique, cet effet étant assorti d’un coefficient élevé (0,375). Par conséquent, nous avons construit un nouveau modèle de régression destiné à identifier plus précisément l’effet de chaque TIC utilisée en cours sur le score de méthodes pédagogiques. Deux types de TIC apparaissent alors comme étant particulièrement significatifs :

 La création collaborative de contenus sur un wiki (Wikipedia, EtherPad…) : valeur du coefficient à 0,191** ;

 Les ressources interactives (application multimédia, simulation, serious game…) : valeur du coefficient à 0,236***.

Plus les enseignants utilisent ces TIC, plus ils ont recours à des méthodes destinées à placer l’apprenant au cœur de la situation pédagogique. Or, ces méthodes figurent parmi les moins utilisées par les enseignants de l’échantillon : 3,6 % utilisent la création collaborative de contenus sur un wiki en CM et TD/TP, 0,4 % en CM uniquement et 6,9 % en TD/TP uniquement. Les ressources interactives sont quant à elles mobilisées par 10,1 % des enseignants en CM et en TD/TP, par 0,8 % en CM uniquement et par 10,9 % en TD/TP uniquement. Ces résultats posent question concernant l’utilisation pédagogique des autres types de TIC par les enseignants, laissant supposer qu’elles ne sont pas nécessairement mobilisées pour rendre leurs méthodes pédagogiques plus actives. Ces résultats témoignent en tout cas de l’importance de ne pas négliger les facteurs liés au numérique lorsque l’on cherche à expliquer les méthodes pédagogiques des enseignants.

8. Discussion, limites et perspectives

L’objectif de cette recherche était d’apporter un nouvel éclairage sur les méthodes pédagogiques des enseignants universitaires, à la fois concernant leur nature mais aussi les facteurs explicatifs de ces méthodes. À l’appui des réponses fournies par 248 enseignants d’une université française présentant des caractéristiques variées, nous montrons d’abord que l’exposé magistral est la méthode la plus souvent mise en œuvre en CM, tandis que les méthodes que l’on pourrait qualifier comme étant plus actives sont plutôt mobilisées en TD/TP. Ces résultats font écho aux précédentes recherches de Clanet (2001), Boyer et Coridian (2002) ou encore Duguet (2014), validant ainsi notre première hypothèse. Pouvant à première vue sembler tautologiques, ces résultats s’avèrent particulièrement enrichissants dans la mesure où, en raison de l’essor des formations à la pédagogie proposée aux enseignants (particulièrement au sein de l’université dont il est question ici) et de l’encouragement de l’institution universitaire et des politiques à mobiliser les TIC pour enseigner, on aurait pu s’attendre à ce que ces éléments conduisent davantage les enseignants à opter pour d’autres méthodes en cours magistral. Ils posent donc question concernant la rénovation du cours magistral tant souhaitée par les instances politiques, témoignant d’une certaine inertie sur le terrain, au moins en ce qui concerne le choix de méthodes pédagogiques par les enseignants. La description des méthodes mobilisées en TD/TP s’avère quant à elle pertinente dans la mesure où elle permet de constater que les méthodes magistrales sont employées par une proportion non négligeable d’enseignants durant ce type de cours et conduit de ce fait à supposer que des efforts restent encore à réaliser en termes d’organisation des curricula et de formation des enseignants pour les encourager à innover davantage d’un point de vue pédagogique. Certaines nuances sont toutefois à apporter. En effet, il apparaît qu’une proportion non négligeable d’enseignants fait également usage en CM de méthodes visant à rendre les étudiants acteurs de la situation pédagogique. Il serait alors intéressant de dresser le profil de ces enseignants, afin de connaître leurs caractéristiques mais aussi de savoir quelles sont leurs intentions pédagogiques à travers l’emploi de ces méthodes. De même, ces résultats sont à mettre en parallèle avec l’utilisation des TIC par les enseignants : il serait en effet intéressant de savoir si ces enseignants mobilisent davantage les TIC que les autres et quelles sont les finalités pédagogiques de cette utilisation.

Nous avons également cherché à identifier les facteurs expliquant les méthodes pédagogiques mobilisées par les enseignants. Conformément à notre seconde hypothèse, nos résultats montrent notamment que des caractéristiques personnelles des enseignants comme leur statut, mais aussi des facteurs contextuels comme le niveau d’enseignement, et l’utilisation des TIC par les enseignants constituaient des variables prégnantes dans l’explication des méthodes pédagogiques de ces derniers. De plus, nos résultats relancent notamment le débat sur la formation des enseignants : plus ceux-ci sont formés aux TIC, plus ils optent pour des méthodes pédagogiques favorisant un rôle actif de l’étudiant. On peut donc penser qu’une meilleure formation aux TIC pourrait encourager les enseignants à « rénover » leur pédagogie. C’est d’ailleurs en ce sens que se positionne le rapport de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur, indiquant que la formation des enseignants et des enseignants-chercheurs doit être fortement développée, « pour leur permettre de s’approprier des méthodes qu’ils n’ont pas souvent expérimentées au cours de leur propre cursus d’études » (Béjean et Monthubert, 2015). De même, le Conseil Economique Social et Environnemental préconise que les enseignants se voient offrir une formation initiale et continue, destinée à les sensibiliser aux nouvelles pratiques pédagogiques Dubrac et Djebara, 2015). L’article 13 du décret du 9 mai 2017 (Le Journal officiel de la République française [JORF], 2017) est tourné en ce sens puisqu’il indique que les jeunes Maîtres de Conférences bénéficieront désormais, au cours de leur année de stage, « d’une formation visant l’approfondissement des compétences pédagogiques nécessaires à l’exercice du métier ». Néanmoins, il apparaît nécessaire de développer également la formation des enseignants aux TIC, puisque la maîtrise des techniques et des concepts informatiques de base constitue d’après le Conseil national du numérique (2016) un pré-requis indispensable pour permettre à chacun d’évoluer dans un environnement technologique évolutif.

De même, nos résultats indiquent que le score d’utilisation des TIC en cours influe très significativement les méthodes pédagogiques mises en œuvre par les enseignants : plus les enseignants utilisent des TIC en cours, plus ils mobilisent des méthodes pouvant s’apparenter à de la pédagogie active. Tout se passe donc comme si ces résultats venaient conforter la croyance selon laquelle le numérique constituerait un facteur de dynamisation de la situation pédagogique. Un tel constat reste néanmoins à nuancer dans la mesure où nous ne disposons d’aucune donnée concernant l’appropriation pédagogique que se font les enseignants des TIC. Là encore, l’analyse des usages pédagogiques des TIC par les enseignants apporterait sans nul doute de nouvelles pistes intéressantes à considérer pour expliquer les méthodes pédagogiques de ces derniers. Il est d’ailleurs probable qu’elle vienne conforter les propos de Lebrun (2015) selon qui l’outil numérique à lui seul ne peut influencer la pédagogie mais que le renouvellement de la pédagogie doit conjointement permettre de développer l’outil numérique.

De plus, il nous a paru étonnant de remarquer que certaines variables, telles que la représentation des TIC des enseignants, leur sentiment de compétence en TIC ou bien encore le matériel numérique mis à disposition par l’enseignant, n’influaient pas, de façon directe tout du moins, sur les méthodes pédagogiques mobilisées par les enseignants. Toutefois, de précédents travaux (Duguet et Morlaix, 2017a, 2017b) montrent notamment que la représentation des TIC et le sentiment de compétences en TIC jouent un rôle important dans l’explication de l’utilisation des TIC par les enseignants. Ces facteurs auraient donc un effet indirect sur les méthodes pédagogiques qui transiterait par l’utilisation des TIC. De telles suppositions seraient néanmoins à confirmer au travers de la construction de modèles d’analyse en pistes causales. Il est par ailleurs probable que notre mesure de ces dimensions soit imparfaite. Des entretiens avec les enseignants, visant à interroger la capacité des TIC à influer sur leurs méthodes pédagogiques, pourraient en ce sens s’avérer éclairants.

Certes, cette recherche présente diverses limites. Certaines, relatives à la représentativité des répondants et à la prise en compte uniquement de l’utilisation des TIC en tant qu’artefacts ont déjà été mentionnées. D’autres peuvent être évoquées : ainsi, certaines mesures pourraient être affinées, à l’image de la formation des enseignants appréhendée uniquement sous un angle quantitatif. De plus, la construction des différents scores considérés dans ce travail est réductrice et leur validité devrait être approfondie afin de rendre ces résultats plus robustes. Une analyse plus fine, méthode par méthode, des facteurs influant sur ces dernières pourrait également sans doute s’avérer plus probante. En outre, nous nous sommes appuyées sur des propos déclaratifs uniquement. Néanmoins, ces limites nous conduisent inexorablement à mettre en lumière certaines perspectives de recherche. Ainsi, l’observation in situ des méthodes mobilisées par les enseignants en cours s’avérerait sans nul doute d’une grande richesse pour mieux comprendre ces dernières, et voir en quoi le numérique peut réellement ou non constituer un facteur de rénovation des pratiques enseignantes. Un approfondissement des méthodes mises en œuvre en CM pourrait s’avérer particulièrement pertinent en prenant en compte les variations d’effectifs qui existent sous le statut formel de « cours magistral ». Il serait également intéressant d’investiguer dans d’autres universités afin d’examiner si le site universitaire et la politique de l’établissement sont particulièrement susceptibles de faire varier les méthodes pédagogiques des enseignants et l’effet de l’utilisation des TIC sur ces dernières. En outre, l’effet du numérique sur les méthodes d’enseignement pourrait être analysé au regard des différentes disciplines d’enseignement, tant les conditions et contenus d’enseignement diffèrent en fonction de ces dernières.

En définitive, ce travail de recherche ouvre la voie à de nombreuses pistes concernant le lien entre utilisation des TIC et méthodes pédagogiques des enseignants universitaires : on peut en effet également s’interroger de façon inverse en examinant en quoi la méthode pédagogique de l’enseignant peut conduire celui-ci à faire usage des TIC, mais aussi étudier l’effet de ces méthodes sur les acquisitions des étudiants, étant l’un des principaux enjeux de la « rénovation » de la pédagogie universitaire. Il serait en outre intéressant d’aborder les méthodes pédagogiques des enseignants et la manière dont elles sont influencées par leurs usages des TIC dans une perspective de comparaison internationale, en confrontant nos travaux à ceux qui pourraient être produits en Belgique et au Québec, ces pays rencontrant des problématiques du même type que celles du système universitaire français, mais également dans les pays anglo-saxons. En effet, les recherches qui y sont produites notamment sur les TIC sont particulièrement prolifiques et pourraient contribuer à enrichir notre approche théorique et méthodologique du sujet.

Bibliographie

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Document annexe

Annexe : la représentation des TIC des enseignants (application/pdf – 181k)

Référence électronique

Amélie Duguet et Sophie Morlaix, « Le numérique à l’université : facteur explicatif des méthodes pédagogiques ? », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 34-3 | 2018, mis en ligne le 20 novembre 2018, consulté le 12 mars 2019. URL : http://journals.openedition.org/ripes/1682

Auteurs
 Amélie Duguet

Université de Bourgogne Franche-Comté, Institut de Recherche sur l’Education (IREDU)
amelie.duguet@u-bourgogne.fr

 Sophie Morlaix

Université de Bourgogne Franche-Comté, Institut de Recherche sur l’Education (IREDU)
sophie.morlaix@u-bourgogne.fr

Licence : CC by-nc-sa

Notes

[1Nous nous sommes appuyées pour la construction de cet item sur les travaux de Demougeot-Lebel et Perret (2010).

[2Institut d’administration des entreprises, institut universitaire de technologie, institut universitaire de la vigne et du vin, institut supérieur de l’automobile et des transports, école supérieure d’ingénieurs de recherche en matériaux et en infotronique, institut national supérieur des sciences agronomiques, de l’alimentation et de l’environnement.

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