Cet article présente un dispositif de formation à l’animation de projets collaboratifs « Animacoop » : une expérience originale qui structure l’acquisition des compétences collaboratives.
L’article a été publié dans les actes du colloque "Questions de pédagogies dans l’enseignement supérieur 2013".
Origines du dispositif pédagogique
Pour répondre aux besoins liés à l’émergence des pratiques collaboratives, l’association Outils-Réseaux, organisme de formation professionnelle continue, a élaboré un dispositif de formation hybride : « Animacoop : Animer un projet collaboratif ». Ce dispositif a été conçu en 2009 dans le cadre d’un appel à projet de la Délégation aux usages de l’Internet (DUI) du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. en direction des animateurs d’espaces publics numériques. En France, 3 000 espaces publics numériques favorisent une appropriation sociale du numérique, complétés par de nombreux lieux associatifs qui concourent à la médiation numérique envers les publics éloignés de l’Internet.
Dans la conception du dispositif de formation, Outils-Réseaux a valorisé trois champs d’expériences :
- une pratique formative de l’association formalisée en un dispositif cohérent, un ensemble de ses formations courtes sur les méthodologies, les techniques et usages des outils et les concepts du travail collaboratif. Les contenus sont mis en ligne sous licence CC : voir les contenus
- une dizaine d’années d’expériences de l’appropriation sociale des usages d’Internet et des pratiques collaboratives capitalisées par la ville de Brest [Briand, 2012] ;
- la réflexion sur l’intelligence collective, le travail en réseau, le groupe et son environnement, structurée par J.-M. Cornu [Cornu, 2001].
À partir de ces ressources, les formateurs ont élaboré un parcours d’apprentissage d’une centaine d’heures réparties sur quatorze semaines impliquant le projet de chaque personne. Bien que la demande initiale évoquait la formation « tout à distance », le concepteur a choisi de proposer un dispositif hybride, articulant regroupement (25 % de temps) et différentes formes de travail à distance (pour 75 %) pour mettre en œuvre une pédagogie active de co-construction des connaissances.
Caractéristiques du dispositif "Animacoop"
La conception du dispositif « Animacoop » est basée sur les principes éducatifs d’émancipation d’Outils-Réseaux pour accompagner le stagiaire vers l’autonomie et renforcer sa capacité à agir. De ces principes découlent les choix de méthodes pédagogiques :
Transversalité de l’apprentissage aux usages collaboratifs
Les contenus de formation choisis privilégient le développement des compétences opérationnelles liées à l’animation du projet collaboratif : gestion de l’information, co-production des ressources, animation de collectifs (groupes et réseaux). Très rapidement, les groupes de stagiaires se sont diversifiés. Le public initial des animateurs des espaces numériques s’est élargi aux professionnels concernés par l’animation et la gestion de projets collaboratifs : associations et collectivités, formateurs, documentalistes, animateurs de sites participatifs, personnes en création d’activité.
La formation centrée sur l’animation de projet collaboratif a été structurée autour de 12 concepts clés et 12 compétences collaboratives transverses :
Figure 1 : concepts et compétences collaboratifs
Au niveau individuel, ces contenus concernent des dispositions, connaissances, motivations, habilités et comportements qui facilitent l’implication de la personne dans un projet collectif. Au niveau du groupe, ils traitent de la compréhension des dynamiques de groupes, réseaux, communautés et des compétences de management d’un collectif. Un troisième niveau d’environnement concerne les facteurs d’ouverture et de communication « à l’extérieur » de son réseau.
De multiples formes de l’apprentissage
La progression pédagogique de la formation « Animacoop » renforce l’objet de l’apprentissage. D’une part, l’organisation des contenus suit la logique des étapes de la vie d’un réseau, d’autre part, les stagiaires expérimentent les méthodes et outils collaboratifs, au sein de leurs projets. Cette double implication est renforcée par l’utilisation des méthodes collaboratives d’apprentissage. Ainsi, parallèlement, sur ces trois niveaux, les stagiaires s’approprient davantage les méthodes collaboratives.
La mise en place d’un projet collaboratif par le stagiaire est un pré-requis, et les activités proposées se réfèrent à ce projet tout au long de la formation. En première semaine, les stagiaires présentent le contexte et l’objet de leur projet, puis ils testent les méthodes et outils proposés sur leur projet et relatent le tout sur un espace personnel d’apprentissage. À chacun des trois regroupements, un point d’étape rend compte des apports de la formation sur le déroulement du projet. La formation-action accélère le projet dans son contexte professionnel et réciproquement, les acquis de la formation sont plus « tangibles » car impliqués dans l’action.
Parallèlement, les contenus de la formation sont divisés en quinze modules dont l’organisation suit les cinq étapes de la vie d’un réseau :
Figure 2 : logique des « cinq étapes de la vie d’un réseau »
- Formation du réseau : le groupe se forme, un « collectif des individus » prend conscience d’être un groupe d’apprentissage.
- Le réseau s’informe : les échanges autour des projets conduisent à l’émergence d’expériences et de problèmes communs.
- Transformation du réseau : les phénomènes individuels et collectifs sont mis en œuvre dans le travail collaboratif en petits groupes.
- Rayonnement du réseau : la diffusion des résultats des travaux de coopération en dehors de la communauté valorise le groupe.
- Consolidation du réseau : cela permet une évaluation et une réflexion sur la façon de faire vivre la dynamique et de l’ouvrir à d’autres.
Les méthodes d’apprentissage collaboratif se sont imposées comme les plus pertinentes pour accompagner la formation. Reconnues pour leur plus grande efficacité par rapport aux méthodes traditionnelles, une pluralité d’approches et de déclinaisons méthodologiques possibles [Johnson, Johnson, Beth Stanne, 2000], ces méthodes ont pris ici une dimension complémentaire. Tout comme le parcours-réseau et le projet collaboratif appliqué au contexte professionnel, elles ont créé l’occasion de vivre concrètement ce que la coopération et la collaboration impliquent.
Dans le choix d’activité, nous avons cherché à augmenter progressivement la taille du groupe pour expérimenter le caractère « agrégatif » des réseaux sociaux [Proulx, 2008].
Figure 3 : progression des travaux en petits groupes
L’influence des TIC sur l’innovation des pratiques de formation
L’usage des TIC dans la formation impacte et modifie le modèle traditionnel de transmission des connaissances [Albero, 2004]. Dans la formation « Animacoop », trois éléments traduisent ce nouveau modèle d’enseignement.
Modularité et transparence de l’espace de formation
Les contenus de formation ont été pensés de manière modulaire afin de permettre des combinaisons ajustables aux besoins diversifiés des apprenants et des situations d’apprentissage. Chaque module contient des cours, composés de textes et de documents audio et vidéo ; des activités : travaux pratiques évoqués plus haut ; des exemples : sous la forme de témoignages qui donnent à voir des applications concrètes en lien avec le thème du module. Les contenus sont combinés avec différentes ressources : agenda partagé, boîtes à idées, à questions, à concepts, espaces individuels, articles collectifs sur la plate-forme de formation (wiki). Ce dispositif technique, simple d’utilisation, permet à chaque apprenant de réorganiser les contenus et de les compléter tout au long de la formation.
Articulation des interactions en présence et à distance
Les temps de formation à distance et en présence sont articulés pour donner de l’espace aux interactions d’échanges des pratiques et de mutualisations. Inspirés de travaux sur la mémoire transactive [Michinov, 2004 ; Eneau, Simonian, 2009], nous avons travaillé particulièrement sur le facteur de confiance pour diminuer l’effet de « distance » : en clarifiant les objectifs et le contrat didactique ; en proposant des outils simples d’usage (wiki) ; en favorisant l’attention, l’écoute, le respect de la prise de parole et de l’expression écrite. Par ailleurs, nous nous sommes imposé de commencer en présenciel en face à face les activités qui nécessitent une implication importante par la suite, et de diversifier les formes de présence pour que le « face à face » ne soit qu’un parmi plusieurs possibles.
Figure 4 : différentes modalités de formes de travail
Co-construction horizontale des connaissances en réseau.
Pour favoriser une co-construction horizontale des connaissances, la formation laisse une place importante aux apports de l’apprenant et du groupe. Les participants sont eux-mêmes producteurs de ressources, et l’écriture collaborative d’une communication fait partie de l’évaluation finale de la formation. Ces productions publiées et diffusées auprès des partenaires d’Outils-Réseaux servent de briques pour la construction de nouveaux cours. Par cette écriture collaborative de ressources, les stagiaires s’approchent du fonctionnement des « communautés épistémiques » [Cohendet et al., 2003]. Dans ce processus, le formateur n’est pas celui qui « livre » les contenus à assimiler, il accompagne une co-construction collective : il donne les moyens d’agréger, de mutualiser, de traiter l’information pour la transformer collectivement en connaissance.
Quels apports de l’expérience Animacoop ?
Dans une société fonctionnant en réseaux ouverts, les « compétences collaboratives » concernent de plus en plus de champs d’activités. Ceci peut expliquer l’intérêt croissant pour la formation Animacoop de la part de personnes issues de milieux variés. L’articulation des contenus pédagogiques et du dispositif d’accompagnement. donne du sens et de la cohérence aux apprentissages dans le dispositif de formation « Animacoop ». Le tableau ci-après présente les liens entre méthodes d’accompagnement et acquisitions des compétences collaboratives.
Spécificités Animacoop | L’effet sur le dispositif de formation | L’effet sur l’apprentissage de la collaboration |
Wiki comme plate-forme de formation | Dispositif très facile d’utilisation, une ergonomie intuitive, un graphisme soigné. | Le formateur diminue les contraintes techniques et de participation. Met en confiance face aux outils. Crée le sentiment de plaisir. Incite à publier sur le Net. |
Espace collectif + Espaces individuels | La plate-forme wiki permet de créer des espaces personnels liés facilement aux supports collectifs. | L’appartenance au groupe apprenant est naturelle (espaces communs). L’apprentissage individualisé est possible (espace personnel). |
Contenus ouverts | Les cours sont mis en ligne et accessibles à tous et au-delà de la formation. | Liberté de revenir sur les cours à tout moment. Plus de disponibilité pour les activités et les échanges. |
Apprentissage au delà des cours | La mise en ligne des cours « libère » du temps pour l’accompagnement dans l’acquisition des compétences. | Acquisition des savoir-faire : « apprendre à apprendre » et « apprendre à faire avec les autres » |
Structure modulaire | Des contenus sont divisés en unités (granularisation) Il peut être modifié pendant la formation. | La construction d’un parcours plus personnel est possible. |
Approche systémique | Les contenus sont choisis pour correspondre à l’ensemble de l’activité, du réseau collaboratif et aux différents niveaux (individu, groupe, environnement). | Acquisition de grilles de lecture globale.Étude relativement complète des processus collaboratifs. |
Pluralité des parcours structurés | Parcours modulaires des cours (vie d’un réseau). Parcours activité de groupes (communauté apprenante).Parcours « projet professionnel » (environnement collaboratif). | Multiples occasions de traiter les questions de coopération et de collaboration ; les pratiquer, les animer. |
Mise en réseaux et échange des pratiques | L’activité est pensée comme un agrégateur de savoir. Le formateur est garant de la méthodologie. | Valorisation de ses expériences comme une source de connaissance (praticien réflexif).Forme particulière de professionnalisation (à partir des expériences des autres). Renforcement de l’estime de soi. |
Coproduction des contenus | Une plate-forme évolutive : l’ajout de pages, de rubriques est possible par tous. Le formateur accompagne le processus, il est garant de sa cohérence. | Posture active face au savoir. Sentiment de créer un « bien commun ». |
« Présence » à distance | Une articulation affinée des temps présence-distance.L’effort d’accompagnement est mis sur les interactions entre les participants. L’accompagnement « à distance » est systématisé. | L’effet de distance est diminué. |
Bilan et perspectives
Par ses contenus, sa construction modulaire et l’accompagnement associé, la formation « Animacoop » propose des pratiques pédagogiques innovantes.
L’enquête effectuée en 2012 auprès des 71 stagiaires confirme que la formation aux compétences collaboratives favorise l’efficience du travail en réseau et développe la capacité à innover dans une diversité de champs professionnels. Le dispositif actuel qui est décrit sous la forme de 12 concepts et 12 compétences collaboratives devra être approfondi par une déclinaison plus précise des habilités, connaissances et attitudes requises. Cela semble indispensable afin d’imaginer les modules de formation intégrés plus facilement dans les parcours universitaires et dans les formations professionnelles. La question de l’évaluation des compétences reste également ouverte. Quels indicateurs choisir, et quel mode de validation adapter ? Comment assurer la plus grande objectivité d’évaluation sans tomber dans les écueils comportementalistes dénués de sens ?
Un autre champ de questions concerne une nouvelle manière de considérer le temps de formation. Si le dispositif de formation à distance semble réduire les contraintes de temps et d’espace, l’apprenant ne peut pas, comme il se l’imagine au départ, travailler à son rythme et sur des temps choisis. En réalité, la formation à distance s’ajoute à des temps professionnels et personnels bien remplis. Nos évaluations montrent que les stagiaires travaillent principalement sur les créneaux personnels et remettent souvent « à plus tard » le temps de la lecture des cours. Plus de 70 % des stagiaires reviennent sur les contenus des cours qui restent ouverts et librement accessibles même après la formation. Tout se passe comme si le manque de disponibilité pendant la formation était compensé sur une durée plus longue. Grâce aux contenus ouverts, le temps de la formation, lui aussi, se déplace et s’inscrit dans la durée, tout comme le processus éducatif lui-même.
Dans « Animacoop », nous notons également une nouvelle caractéristique du « métier » de formateur, celle d’expérimentateur qui met à disposition des situations d’apprentissage où les ressources sont à la fois abondantes et « inconnues ». L’imprévisibilité du résultat produit peut être déstabilisante pour le formateur qui « apprend », en quelque sorte, l’effet qu’il provoque. Parallèlement, les apprenants progressent dans la compréhension de ce qu’ils ont à partager avec les autres. Ce léger décalage « formateur-apprenant », « apprenant-formateur », participe à la transformation des groupes d’apprenants en véritables communautés d’apprentissage [Jacuinot, 2010] qui donne une autre dimension à la façon d’apprendre, où se conjuguent d’authentiques ambitions intellectuelles, pédagogiques, voire démocratiques, et où s’ouvre la place au plaisir d’apprendre.
Références
Albero, B. (2004). « Travaux, interrogations et pistes de réflexion dans un champ de recherche éclaté. Note de synthèse ». Savoirs, n° 5, pp. 11-69.
Albero, B., Nagels, M. (2011). « La compétence en formation. Entre instrumentalisation de la notion et instrumentation de l’activité ». Éducation et Formation, n° e-290, pp. 13-30.
Briand, M. (à paraître en avril 2013). « Libres, durables et solidaires dans l’appropriation du numérique à Brest ». Multitudes, n° 52.
Carnoy M., (2000), Dans quel monde vivons-nous ?, Paris : Fayard.
Charlier, B., Deschryver, N., (2011). "Développer et évaluer des compétences dans l’enseignement supérieur : réflexions et pratique ». Éducation et Formation, n° e-290, pp. 9-11.
Cohendet, P., Créplet, F. et Dupouët, O. (2003). « Innovation organisationnelle, communautés de pratique et communautés épistémiques : le cas de Linux ». Revue française de gestion, n° 146, p. 99-121.
Cornu, J.-M. (2001). La coopération, nouvelles approches. (livre publié sur Intenet) http://www.cornu.eu.org/files/cooperation1_2.pdf (page consultée en novembre 2012).
Depover, C., Karsenti, T., Komis, V. (2007). Enseigner avec les technologies : favoriser les apprentissages, développer des compétences. Québec : Presses de l’Université du Québec.
Eneau, J., Simonian, S. (2009). « Construire la confiance pour construire les savoirs : apprendre ensemble, en ligne, sans se connaître ». Éducation et Formation, n° e-290, pp. 41-53.
Heaton, L., Millerand, F., et al. (2013). « Encouraging Open Community Innovation : Outils-Réseaux’s Modular Approach ». In Eriksson Lundstrom, J. S. Z., Hrastinski, et al. Managing Open Innovation Technologies. Heidelberg : Springer, pp. 93-106.
Jacquinot-Delaunay, G. (2010). « Entre présence et absence. La FAD comme principe de provocation ». Distances et Savoirs, n° 8, pp. 153-165.
Johnson, D.W., Johnson, R.T., Beth Stann, M. (2000). « Cooperative Learning Methods : A Meta-Analysis ». http://www.tablelearning.com/uploads/File/EXHIBIT-B.pdf (page visitée en janvier 2013).
Michinov, N. (2004). « La gestion des connaissances dans les groupes apprenants : processus, méthodes, résultats ». In Roussiau, N. (dir.). Psychologie sociale appliquée : emploi, travail, ressources humaines. Paris : Presse éd, pp. 255-271.
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