Sur les forums Internet, les réseaux sociaux ou les WIKI, les connaissances circulent aujourd’hui à la vitesse grand V, sans l’intermédiaire des enseignants. Mais si ceux-ci doivent admettre de ne plus être plus seuls dépositaires du savoir, leur rôle de passeurs n’en est que transformé. Dans la foison d’informations véhiculée sur la toile, il faut savoir faire le tri ! L’enseignant devient alors celui qui guide l’étudiant sur le chemin du savoir, l’aidant à adopter une lecture critique devant la masse de messages qu’il reçoit.
En cela, certains considèrent que le digital est un domaine clé de l’évolution du métier d’enseignant, transformant tant sa posture et ses activités que ses compétences. C’est cette problématique que nous avons explorée dans un article écrit avec Laurence Hélène en 2016, « Le professeur se réinvente : la révolution du Smarty ! ».
Nous avons interrogé plusieurs enseignants chercheurs en gestion sur la manière dont ils qualifiaient l’évolution de leur métier et de leur pratique du fait de l’introduction du numérique dans l’espace formatif. Cette étude montre une transformation de l’activité tant dans la salle de cours qu’en dehors et elle insiste sur le changement de posture du praticien.
Des cours ludiques et techniques
Avec le numérique, le cours est rendu plus ludique et peut être largement enrichi. Le recours à une variété de ressources pédagogiques permet d’ailleurs à l’enseignant d’innover et d’être créatif ; c’est donc une formidable opportunité de développer son ingéniosité. En permettant d’ajouter ou de retirer une activité au fil de l’eau, le numérique donne aussi les moyens de s’adapter aux rythmes des apprenants. Ce sont eux en quelque sorte qui tiennent les rênes du rythme des apprentissages.
Mais, face à ces avantages, les enseignants perçoivent plusieurs inconvénients. Ils deviennent tributaires des conditions techniques pour la conduite de leur cours, avec pour effet de pénaliser le prof « non geek » et de le discréditer aux yeux des étudiants. Le risque est aussi de devenir un formateur technique si l’on centre trop les apprentissages sur la manipulation des outils digitaux plutôt que sur les sujets disciplinaires de son cours.
En dehors de la salle de cours, il faut un temps de réflexion pour repenser le séquence de cours (en étudiant les différents cheminements possibles d’acquisition de connaissances) et leur contenu. C’est une importante mobilisation intellectuelle pour rechercher des ressources digitales appropriées et pour vérifier la cohérence de l’ensemble.
Le temps de correction est inversement plus rapide grâce à son automatisation. Cela présente également l’avantage d’imaginer des modalités d’évaluation plus pertinentes pour les étudiants. Grâce aux compteurs des temps de connexion via la plate-forme, l’enseignant a une vision plus fine de ce qui est étudié et compris. Cela permet de s’adapter et d’être réactif.
Un rôle de coach
Plus profondément, le numérique amène à un changement de posture à deux niveaux. Dans la relation à l’étudiant tout d’abord, il faut inciter les apprenants à être plus proactifs. Cet environnement de travail « plus déstructuré » rompt également la distance et les codes classiques du sérieux et permet de créer une autre dynamique. Les espaces d’échanges (chats, forums) permettent, quant à eux, de s’extraire de la salle de cours et contribueraient à « modifier le jugement des étudiants sur le prof ».
En termes de rôle, l’enseignant devient un tuteur, un coach. On attend de lui d’écouter, d’engager vers la voie de la réflexion et de la réflexivité, de guider vers les bonnes ressources, de fédérer les opinions exprimées, de donner du sens aux propos des étudiants, de favoriser le partage de connaissances entre étudiants. Il devient donc un « animateur du savoir » et un « manager d’apprenants ».
Avant tout, l’évolution du rôle de l’enseignant vers la posture de tuteur telle que nous venons de la décrire crée une forme de tension identitaire et nécessite une évolution du regard social (en particulier des apprenants) sur ce métier. Sur le plan opérationnel, les nouvelles activités et les nouvelles compétences réclament de penser la formation des enseignants en intégrant la question du numérique. C’est d’ailleurs l’une des recommandations de la Commission européenne (dans un rapport de 2015).
Construire des scénarios
Cette nouvelle formation des profs s’orienterait selon trois axes. Tout d’abord, il est nécessaire de savoir construire un scénario pédagogique multimodal et multi-temporel. Puisqu’il ne s’agit plus de poser de façon linéaire les séquences les unes après les autres, comme une formation à la pédagogie traditionnelle pourrait l’enseigner, il faut se doter d’un savoir-faire et d’outils pour gérer l’aspect multidimensionnel de cette activité. Ceci en gardant en toile de fond le fait de proposer des activités permettant : la réflexion collective, la coopération des étudiants, la co-élaboration des connaissances et leur capitalisation.
L’autre axe concerne l’outillage technique. Selon les choix individuels et/ou institutionnels opérés (se doter de tablettes numériques, utiliser une plate-forme d’enseignement, utiliser les téléphones portables, etc.), il faut que l’enseignant sache les manipuler et en connaisse les potentialités.
Le dernier axe concerne les ressources pédagogiques et touche autant à leur utilisation qu’à leur conception pour un certain nombre d’entre eux. Devant le champ des possibles offert par le numérique actuellement, la liste est longue : blog, site Web, MOOC, SPOC, vidéos… pour les ressources d’apports ; outils de partage de contenu, chats et forums pour les ressources d’échanges.
En conclusion, l’espace-temps pour apprendre, du fait du numérique dans nos vies et dans nos espaces formatifs, est désormais sans frontière (il faut savoir penser hors des murs). Si de nouvelles activités sont à conduire pour l’enseignant, une posture différente est à adopter, une posture de guide vers le savoir.
Ces activités et cette nouvelle posture nécessitent de nouvelles compétences qu’il convient de développer : par des dispositifs formalisés de formation mais aussi en favorisant, au niveau institutionnel, des expérimentations individuelles, en laissant le droit à l’erreur, en développant des espaces d’échange de pratiques entre enseignants, en valorisant les innovations pédagogiques, etc.
Sarah Alves ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.
Vos commentaires
# Le 12 mars 2019 à 15:17, par Christiane Nathalie GEILLON En réponse à : Enseignement supérieur : les profs se réinventent avec le numérique
Je vous remercie pour cette présentation qui reflète clairement la réalité actuelle de l’enseignement supérieur.
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