En chinois, le mot « crise » est composé de deux caractères. Le premier signifie « danger » et le second, « opportunité ». La pandémie de Covid-19 induit une crise systémique, à la fois sanitaire, économique, sociale et politique. Les transformations profondes et brutales de nos vies quotidiennes imposent notamment de repenser nos modes de coopération et d’apprentissage.
Nous sommes tous contraints de nous adapter dans l’urgence, nous appuyant sur nos ordinateurs et smartphones pour nous informer, partager, transmettre, apprendre, coopérer, travailler, décider, prendre soin – en d’autres termes, pour faire société dans des conditions exceptionnelles.
La pandémie donne à voir l’étendue de notre dépendance à l’égard du numérique et la nécessité d’en dompter les usages. Entre fake news, infodémie et boulimie d’écrans, les problèmes auxquels nous étions confrontés hier se posent aujourd’hui avec encore plus d’acuité. Si l’on arrive à relever les défis qu’il pose, le numérique peut servir à développer et nourrir des communautés apprenantes afin de s’entraider, d’apprendre à apprendre, de coopérer et de relever les défis locaux comme globaux.
Inégalités sociales
La transformation ne va pas de soi… les défis sont immenses. Dans l’enseignement, une majorité de professeurs se retrouvent démunis, et ont besoin de formation à l’enseignement numérique et à l’animation de groupes à distance. Comment écrire des cours et des exercices dans de nouveaux formats ? Comment faire des vidéos pédagogiques ou corriger des devoirs en ligne ? Quid de la gestion de crise ? Tout cela suppose des savoir-faire très différents d’une activité en classe.
Côté élèves, les mesures de confinement mises en place pour lutter contre le Covid-19 accentuent la fracture numérique et, par là, les inégalités : mauvaise couverture, débit insuffisant, absence d’ordinateur ou de tablette au domicile, sans parler de l’impossibilité de travailler chez soi au calme.
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Globalement, les inégalités d’accès au numérique demeurent importantes : 17 % de la population française ne dispose pas des connaissances ou des équipements adéquats pour utiliser les outils numériques et 38 % des usagers de plus de 15 ans manquent d’au moins une compétence numérique de base. Cet « illectronisme » touche notamment les foyers les plus modestes.
Si un centre d’aide « Solidarité numérique » a été mis en place pour accompagner les personnes éloignées du numérique, et notamment pour aider à « faire l’école à la maison », de nombreuses familles n’ont pas les ressources et les savoirs nécessaires pour y parvenir réellement. La fermeture prolongée des établissements scolaires a un impact négatif sur les enfants vulnérables et leur famille : le rôle de filet de sécurité joué par l’école pour ceux dont le parcours de vie est difficile a disparu.
Au-delà de l’école, la crise du Covid-19 et celles, sanitaires, environnementales, démocratiques, économiques, qui peuvent lui succéder à plus ou moins long terme, nous mettent face à de nouveaux défis, que nous devrons relever en décloisonnant les savoirs, en adaptant les formations, les emplois, et ce tout au long de la vie.
On ne peut que souhaiter que ces transformations ne soient pas dictées par les contraintes à court terme : les inégalités sont criantes entre ceux qui peuvent télétravailler et ceux, souvent celles, qui n’ont d’autre choix que de se rendre sur leur lieu de travail, au risque de se mettre en danger.
Il est important d’arriver à modifier structurellement le monde professionnel pour que chacune et chacun, à partir de ses besoins et de ses attentes, puisse choisir de faire évoluer son parcours, son métier et les conditions d’exercice de celui-ci. Compte tenu du contexte, la recherche de solutions équitables est plus que jamais un enjeu démocratique.
Initiatives numériques
Fort heureusement, nous ne partons pas de rien. De nombreux professeurs, de la maternelle à l’université, avaient déjà, avant la crise, mis au point et adopté des outils d’enseignement à distance avec leurs élèves ou étudiants : blogs personnels, sites collaboratifs, utilisation pédagogique des réseaux sociaux ou encore classe inversée, pour apprendre aux jeunes à faire de la recherche d’informations fiable et à co-résoudre des problèmes.
Réciproquement, en apprenant à tirer le meilleur des outils numériques – logiciels, réseaux, sites d’hébergement jusqu’ici dédiés aux jeux vidéo, etc. –, les jeunes développent de nouvelles capacités de travail en commun, de partage et de résolution de défis.
Citons, par exemple, l’installation de serveurs de collaboration en ligne issus du gaming pour organiser le travail des élèves et des enseignants ou des innovations plus radicales comme l’organisation par des élèves japonais d’une remise des diplômes virtuelle sur Minecraft.
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L’entraide est aussi de mise au sein de la profession enseignante : mise à disposition de tutoriels pour les collègues, partage de ressources en ligne, bilans de la journée ou de la semaine… L’inventivité se met au service de la collaboration, en rupture avec les modes traditionnels, verticaux et descendants de l’enseignement.
On observe aussi, chez les enseignants et chez les apprenants, l’émergence nécessaire d’une autonomie dans l’acquisition et la transmission des connaissances formelles et informelles via le numérique. Des ruptures dans les normes pédagogiques au service d’une continuité des apprentissages, en quelque sorte.
Les initiatives innovantes se multiplient et s’ajoutent à celles plus anciennes et déjà aguerries, qui facilitent l’échange de savoirs. Comme le note le chercheur Jean‑François Cerisier, « plutôt que d’essayer de reproduire à la maison l’école avec sa forme scolaire héritée de Condorcet, la pandémie de Covid-19 pourrait être et sera peut-être un magnifique laboratoire pour repenser l’école à l’ère du numérique ».
Société de la reconnaissance
Le gouvernement français a annoncé le 2 avril que tous les coûts de formation des quatre millions de personnes au chômage partiel seront pris en charge à 100 %, une mesure reprise par le gouvernement provincial du Québec le 7 avril.
C’est une première étape, et l’on gagnera à inscrire de telles initiatives dans la durée. En effet, l’investissement massif dans les compétences peut enclencher une transformation systémique. Il faut aussi aller plus loin. Il est peut-être temps de mettre en place des dispositifs ouverts, collaboratifs, partagés d’apprentissage, des « labs des métiers de demain » où nous pourrions collectivement imaginer, créer, construire l’avenir en apprenant les uns des autres.
Nous pourrions par exemple échanger sur ce que nous avons appris avec le confinement, notamment sur le télétravail et la dématérialisation de l’économie, et mettre en place une reconnaissance mutuelle de ces apprentissages (par un système d’open badges, par exemple). La valeur que nous pouvons créer est de cet ordre-là : une société de la connaissance et de la reconnaissance.
Promouvoir une « planète apprenante »
Parce que nous allons devoir nous habituer aux crises, nous devons mobiliser l’intelligence collective, autrement dit créer des « groupes d’individus variés qui interagissent convenablement » pour développer nos capacités de prendre soin de soi, des autres et de la planète. Une telle planète apprenante n’est pas une utopie ; de nombreuses premières graines existent déjà. Il faut les rendre visibles, les aider à pousser, à essaimer et à donner des fruits.
Nous gagnerons collectivement à faire connaître ce qui existe pour nous inspirer les uns des autres, adapter à notre contexte les expériences vertueuses relatives aux apprentissages. Nos institutions – établissements scolaires, universités, entreprises, administrations, associations – vont continuer à s’adapter pour permettre à tous et toutes de devenir des acteurs et des actrices à part entière de communautés apprenantes à l’échelle locale, nationale, mondiale.
De manière complémentaire, et non concurrentielle, il faut des passeurs, des lieux physiques et numériques spécifiques pour créer ces liens, échanger, progresser ensemble, promouvoir une pédagogie de l’engagement, démocratiser l’accès au savoir, y compris au savoir citoyen.
La vulgarisation de la recherche pluridisciplinaire, académique et participative, est impérative pour qu’un maximum d’acteurs puisse se l’approprier en fonction de leurs besoins, développer des outils scientifiques et techniques de partage, de débat et d’évaluation des expérimentations.
La création de plateformes permettant la mise à disposition d’informations partagées, documentées, dotées d’outils permettant de vérifier les sources s’avère utile parce que l’accès au savoir est un enjeu démocratique et répond à des attentes sociales. Ces évolutions peuvent, en retour, nourrir la recherche, comme l’illustre cette équipe internationale de chercheurs, issus de dix prestigieuses universités, qui a collecté des informations pour comprendre comment les citoyens font face à la progression du Covid-19.
Plutôt que de céder à la peur, qui paralyse la capacité à créer et à coopérer, nous pourrons, alors, prendre conscience de ce que nous avons appris individuellement et collectivement, jour après jour, et le célébrer, chaque 24 janvier, lors de la journée internationale de l’éducation qui pourra devenir un festival de la planète apprenante. C’est par ce récit optimiste, mais conscient des risques majeurs que nous vivons, que nous pourrons inciter les autres à agir pour le bien de tous et de la planète.
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