J’ai fait une communication au colloque IMT4ET au sujet des évolutions des environnements de Travaux Pratiques (TPs), par rapport à des problématiques d’accès à distance, et dans la perspective d’une adoption des technologies du Cloud pour la fabrication et le déploiements de dispositifs de travaux pratiques.
Un enregistrement de cette intervention est disponible en ligne, et voici une déclinaison plus rédigée autour de cette problématique.
On notera que cette contribution se limite délibérément à l’examen de solutions logicielles libres/OpenSource, dans une optique d’investissement durable d’argent public, et donc de mutualisation qui ne peut s’entendre, pour l’auteur que par ce mode de valorisation (ce parti-pris nécessiterait un développement à part entière).
Quelques expérimentations pour l’évolution des environnements de TP
Les environnements de travaux pratiques (TP) sont cruciaux pour un apprentissage actif.
En période d’enseignement à distance forcé, on constate une grande hétérogénéité des matériels et systèmes d’exploitation utilisés par les étudiants. Cela provoque des problèmes de compatibilité avec les logiciels à utiliser pour les travaux pratiques. On est ainsi confronté à une diversité de problèmes techniques, que les équipes enseignantes ne peuvent raisonnablement supporter. On peut noter que le contexte présentiel avec le BYOD (Bring Your Own Device) posait le même genre de problèmes mais à une moindre échelle.
Certaines solutions basées sur l’installation de machines virtuelles par les étudiants peuvent résoudre une partie de ces problèmes. Mais elles ne passent pas à l’échelle pour des promotions entières, car tous les étudiants n’ont pas des machines suffisamment puissantes. Il y a également des problèmes de fabrication des images de machines virtuelles qui se posent aux équipes enseignantes [1].
Il apparaît que la seule solution générique et permettant le passage à l’échelle réside dans un accès à distance aux applications via le navigateur Web. Nous suivons en celà l’évolution générale de l’industrie informatique, où les applications informatiques sont de plus en plus déployées nativement avec des interfaces Web, les applications installées sur un poste de travail étant minoritaires.
Pour permettre cela, nous envisageons deux pistes principales sur lesquelles nous devons porter nos efforts :
- à court terme : un accès en mode "bureau distant" aux machines physiques déjà présentes dans les salles de TP de l’école. Les applications utilisées pour les TP tournent dans la mémoire des machines, comme auparavant, en présentiel, sans modifications lourde de l’infrastructure. Cela repose sur la mise en place d’un "proxy" permettant d’afficher les bureaux graphiques des machines via une page Web.
Une expérimentation avec le logiciel Guacamole est en cours sur notre campus d’Évry pour disposer d’un tel service.
À l’École des Mines d’Albi, une autre expérimentation, un peu plus avancée, porte sur l’utilisation du logiciel MeshCentralCe type de solutions offrirait un accès aux applications à distance, mais ne résoudrait pas des problèmes de passage à l’échelle (tension sur l’utilisation simultanées des salles).
- à moyen terme : l’emploi de technologies "Cloud", pour virtualiser complètement le contexte d’exécution des applications, par exemple sur une grappe de serveurs (et/ou des machines de salles de TP puissantes). On disposerait alors d’un Cloud privé, dans un datacenter interne à l’école ou l’Institut. Comme pour la première solution, on accède aux applications via un "proxy" Web placé devant le "Cloud", pour du bureau à distance ou des applications Web directement (environnement de développement, simulation numérique). Ces solutions permettent de mutualiser les coûts opérationnels en optimisant l’utilisation des machines physiques, et en facilitant la montée en charge. Cela nécessite un changement assez profond de la façon de déployer les applications nécessaires aux travaux pratiques, et dans l’administration système des ressources de production, par exemple avec les technologies Kubernetes et Docker.
Nous détaillons dans la section suivante les grands avantages de l’approche Cloud, que nous pouvons envisager.
Intérêt de l’approche TP virtualisés sur le Cloud
Un des avantages de ce type d’environnements "Cloud" est de permettre un accès individuel à chaque apprenant, en s’abstrayant des contraintes physiques précédentes du mode présentiel. Plus de nécessité de travail en binôme, faute de pouvoir fournir un poste de à chaque étudiant en salles de TP, là où la pédagogie ne nécessitait pas vraiment d’approche collaborative. Chaque apprenant dispose de son environnement, en autonomie, pour autant qu’il ait une connexion à Internet fiable pour charger le bureau distant via son navigateur.
On peut ainsi envisager une évaluation de son travail plus individualisée. Mais du fait d’une plus grande dématérialisation, il sera alors nécessaire de concevoir des dispositifs pédagogiques personalisables pour éviter de plus prêter le flanc à la triche (l’approche développée dans la solution Labtainers nous semble très intéressante à cet égard).
Du point de vue pédagogique, un certain nombre de points de vigilance sont à prévoir quant à l’ergonomie de certaines applications, dont l’utilisation via un bureau distant dans le navigateur Web nécessitera certaines adaptations.
Nous visons, in fine, de réaliser une transition vers une nouvelle façon de concevoir les dispositifs de TP allant vers une plus grande qualité, une meilleure agilité, une meilleure standardisation, qui faciliterait la réutilisation. Nous nous inspirons en effet du paradigme "DevOps [2]" de l’industrie du logiciel, qui a été rendu possible par les technologies du Cloud, qui révolutionne aujourd’hui la façon de développer et déployer les applications logicielles.
Dans cette approche, la distinction entre équipes de développement et de production tend à disparaître, en s’appuyant sur une plus grande automatisation des processus de fabrication et de déploiement.
Ainsi, pour le déploiement de TP virtualisés sur le Cloud, on pourra envisager une meilleure intégration entre les tâches réalisées par les enseignants, et celles dévolues à la DSI, pour fluidifier et fiabiliser la mise à disposition d’un TP, de l’enseignant jusqu’aux étudiants
On s’appuie sur les nouveaux standards de l’industrie (Cloud, Kubernetes, conteneurs Linux avec Docker, …), pour mettre en oeuvre la production d’images de conteneurs pour nos dispositifs de TP, et pour l’infrastructure de déploiement en production. Un dispositif de TP ainsi virtualisé pourra plus facilement être réutilisé ou adapté, que dans les processus de déploiement actuels reposant sur beaucoup d’étapes manuelles.
Même si ces nouvelles techniques et méthodes du Cloud et du DevOps sont désormais standard dans l’industrie du logiciel, nous devons inventer la façon de ses les approprier, par rapport à notre contexte propre.
Pour ce faire, nous pouvons nous appuyer sur des travaux initiés dans le projet FLIRT, pour les besoins des MOOCs, et sur plusieurs projets OpenSource :
- Antidote/NRELabs, dans le domaine des TP sur l’enseignement des réseaux, en cours de développement, auquel nous contribuons.
- Eclipse Che, dans le domaine de l’enseignement du génie logiciel (voir copie d’écran ci-dessous, empruntée au site du projet)
Même si ces projets OpenSource nous permettent de valider des options techniques, on est loin de pouvoir assurer les condition d’une mise en oeuvre à court terme sur ce genre de solutions, compte tenu de challenges techniques substantiels (sécurité, intégration avec Moodle, évaluation des travaux, …).
Nous sommes bien là face à une évolution technico-pédagogique substantielle dans la façon de concevoir et mettre en oeuvre les dispositifs de TP, qui nécessitera donc des investissements matériels et humains conséquents, et avant tout un partage des efforts, par exemple à travers une contribution dans ces projets libres/OpenSource.
Vos commentaires
# Le 2 juin 2020 à 10:49, par Olivier Berger En réponse à : Expérimentations autour de TPs à distance, TPs sur le Cloud
Vous trouverez une vidéo reprenant les éléments de cette intervention dans mon blog : https://www-public.imtbs-tsp.eu/~berger_o/weblog/2020/05/28/experimentations-autour-de-tps-en-distanciel-tps-sur-le-cloud/
# Le 18 juillet 2020 à 23:29, par Michaël Canu En réponse à : Expérimentations autour de TPs à distance, TPs sur le Cloud
Bonjour,
L’approche TP à distance est aussi possible s’agissant de la manipulation de "vraies" maquettes de TP. L’IMT Atlantique avait conduit une expérience pilote sur ce sujet en 2012 et des TP à distance avaient été testés entre la France et la Colombie [références ci-dessous]. Depuis, plusieures plateformes ont vu le jour et permettent l’utilisation de maquettes de TP, de divers domaines, en ligne.
L’une d’elles, LabLands [www.labsland.com] offre un fonctionnement collaboratif qui permet aux universités et écoles de mettre en place leurs TP sur la plateforme et de mutualiser leur accès avec le reste du monde et en échange d’obtenir des doits d’accès pour utiliser les autres maquettes du portail.
En ce momment de pandémie, les accès sont gratuits pour les pays très touchés. C’est une belle iniciative et le déploiement de la plateforme en local dans son université est libre (sources sur GitHub).
– Barrios A., Duque M., Canu M., Villa J. L., Chevrel P., Grisales V. H., Prieto F. and Panche S. (2013) Academic Evaluation Protocol for Monitoring Modalities of Use at an Automatic Control Laboratory. International Journal of Engineering Education 29(6), pp. 1551-1563.
– Barrios A., Panche S., Duque M., Grisales V. H., Prieto F., Villa J. L., Chevrel P., Canu M. (2013) A multi-user remote academic laboratory system, Computers & Education, 62, 111-122.
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