Dans l’enseignement supérieur, de nombreuses voix ont appelé à un réveil écologique avant la crise du Covid-19. Il s’agit que les étudiants puissent appréhender dans leurs formations les enjeux de la transition écologique qu’imposent le changement climatique, l’épuisement des ressources et de la biodiversité.
Plus de 30 000 étudiants ont signé le premier appel lancé en 2018. Un second a recueilli plus de 8800 signatures, dont celles de 160 dirigeants d’établissement et 1200 enseignants. Puis plus de 80 députés ont signé une proposition de loi, déposée en septembre 2019 à l’Assemblée nationale par Delphine Batho, Matthieu Orphelin et Cédric Villani.
A court terme, les étudiants ont besoin d’un socle de connaissances sur le réchauffement climatique. De plus, leurs cours doivent intégrer ces enjeux. Des initiatives sont prises en ce sens par plusieurs établissements. Un soutien et une incitation institutionnels sont nécessaires afin que les établissements puissent s’engager plus encore, et en plus grand nombre.
En management, la formation des étudiants s’inscrit dans ce que celui-ci signifie, soit, dans une approche pragmatiste, « la capacité d’une organisation à conduire l’activité collective », comme le rappelle Philippe Lorino, professeur émérite à l’ESSEC.
Pour contribuer professionnellement à la transition écologique, les étudiants en management doivent donc être formés à développer l’activité collective de leur future organisation dans cette perspective.
Ils auront à se situer comme une de ses parties prenantes et à travailler plus ou moins directement avec les autres. Celles-ci seront externes, dont des experts, représentants des pouvoirs publics et destinataires de l’activité. Elles seront aussi internes, les salariés disposant d’expertises et expériences indispensables à la mise en œuvre d’une transition écologique légitime et pertinente à l’échelle de leur organisation.
Actions collectives et décisions participatives
La crise du Covid-19 a (re)mis en exergue la dimension nécessairement participative des processus de décision complexes. De nombreux experts considèrent comme une urgence sociétale l’implication de la société civile dans la gestion de la crise, dont Jean‑François Delfraissy, président du conseil scientifique.
Huit femmes universitaires ont diffusé un texte, signé par plus de 5 500 enseignants-chercheurs à l’international au 3 juin 2020. Elles y identifient l’enjeu de la démocratisation des entreprises comme une des leçons à tirer de la crise actuelle.
Les conditions (principes, instances, garanties, processus, postures) du développement d’une telle intelligence collective sont expérimentées de longue date en aménagement du territoire. Il s’agit de mettre en œuvre une démocratie (aussi) participative qui conduit à des décisions socialement plus pertinentes et légitimes grâce à la prise en compte non seulement d’expertises variées, mais aussi des expériences vécues dans les territoires.
Les concertations territoriales ont amené leurs acteurs à entrer dans la boîte noire des processus de décision participatifs. De même, les organisations s’engagent ou devront s’engager dans des réflexions en vue d’actions collectives pour concevoir une sortie de crise inscrite dans la transition écologique de manière pertinente et légitime, à l’échelle de la société comme à la leur.
Formation à l’échelle de l’action
Pour pouvoir contribuer à cette transition une fois en poste, les étudiants en management doivent faire l’expérience de réflexions en vue d’actions collectives lors de leur formation. Car nous apprenons à nous positionner en tant que partie prenante en prenant partie, par l’expérience.
Pour ce faire, des dispositifs d’enseignement (cours, séminaires, projets) offrent l’opportunité aux étudiants de se positionner comme parties prenantes d’un apprentissage collectif basé sur des échanges structurés – avec l’enseignant, entre étudiants et, le cas échéant, avec d’autres chercheurs, ou des représentants d’organisations ou de territoires – et éclairés par des lectures proposées par l’enseignant ou des étudiants.
Des échanges avec nombre d’étudiants de l’ESSEC montrent qu’ils souhaitent appréhender les déclinaisons de la transition écologique dans les différentes dimensions de leur vie – sociale actuelle et professionnelle future – par la compréhension :
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du rôle des pouvoirs publics à différentes échelles ;
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de celui des organisations publiques et privées ;
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des problèmes que cette transition pose et des évolutions actuelles ou à réaliser dans des secteurs aussi variés que les mobilités, la construction, l’alimentation, les NTIC, la production et la distribution d’énergie ou les circuits de distribution des produits ;
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des enjeux économiques, environnementaux, sociaux et territoriaux de ces activités.
Dans le même temps, des représentants d’organisations et collectivités territoriales attendent des étudiants des recommandations sur certains de ces sujets.
Dans ces dispositifs d’enseignement, les étudiants sont accompagnés dans la problématisation de ces thèmes à l’échelle de l’action à laquelle ils pourront contribuer – soit des situations territoriales ou organisationnelles impliquant une pluralité d’acteurs.
Les types d’actions collectives réalisées sont variés. Ils vont de la rédaction d’un document pour un public interne ou externe à l’établissement à des recommandations formulées pour les représentants d’une organisation, en passant par le choix d’un projet ou d’une option dans le cadre de la simulation d’un processus de décision participatif.
Postures des étudiants et des enseignants
Ces dispositifs d’enseignement visent une évolution de la posture des étudiants, parties prenantes de leur apprentissage. Ils impliquent également un changement de posture des enseignants.
Si un professeur ne peut « maîtriser » les multiples disciplines à mobiliser pour la transition écologique, ses connaissances sont partagées, de même que celles des étudiants, au cours des échanges qu’il ou elle anime. Il ou elle leur propose des méthodes et angles d’analyse selon leurs questionnements. Et leur soumet de nouveaux sujets de réflexion en les accompagnant dans un apprentissage par la recherche.
Il ne s’agit pas de réduire les connaissances à un rôle utilitaire d’aide à la décision, comme une rapide critique de l’approche pragmatiste pourrait le faire. Les connaissances et la capacité de problématisation acquises pourront ensuite être mobilisées dans d’autres réflexions, à visée d’action ou pas.
Il ne s’agit pas non plus de placer les étudiants en management dans une posture de toute-puissance illusoire, en leur promettant un avenir planétaire radieux grâce à leurs actions.
Les étudiants sont de plus en plus concernés par le décalage entre discours emphatiques et actes insuffisants en matière de transition écologique. Nombreux sont ceux qui sont à la fois curieux et inquiets, voire anxieux quant à l’avenir.
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Dans ce contexte, certains enseignements doivent leur offrir l’occasion de partager leurs curiosité et craintes. Et leur proposer des connaissances et méthodes, ainsi que les conditions, pour penser et agir avec d’autres acteurs en faveur de la transition écologique dans le cadre de leurs futurs organisations et métiers, que ceux-ci existent déjà ou pas encore.
L’expérience d’un tel engagement collectif et la perspective de pouvoir agir professionnellement constituent en elles-mêmes une source d’énergie, essentielle sachant que beaucoup reste à faire.
Pour mener les recherches du centre CONNECT (CONcertation, Négociation, Environnement, Conception et Territoires) dont elle est titulaire, Laurence DE CARLO a reçu des financements de la Fondation de France, SNCF réseau, EDF et de l’Institut Caisse des Dépôts pour la Recherche.
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