La pandémie de Covid-19 qui sévit dans le monde a désormais touché plus de 170 pays à travers la planète. À ce jour, alors que se mettent en place des dispositifs de déconfinement, les comportements de prévention de chaque citoyen se trouvent au cœur d’enjeux sanitaires.
En effet, la capacité des personnes à prendre soin d’elles-mêmes à domicile tout en minimisant le risque d’infecter leurs proches s’inscrit dans une recherche d’équilibre visant à éviter la surcharge du système de santé, la reprise d’une activité sociale et économique et la conservation des libertés individuelles.
Depuis le début de la crise sanitaire, les messages sur les gestes barrières ont été conçus avec leur déclinaison de spots, d’affichages et de tutoriaux pour être facilement compris. Cependant, il est difficile de mesurer leur bonne réception auprès du public.
Pour passer d’une simple écoute à une véritable intégration des gestes recommandés par tous, et un changement durable des habitudes, il faut compter sur l’intermédiaire des professionnels de santé, des médiateurs et des groupes d’usagers experts. Grâce à leur proximité avec la population, la confiance dont ils font l’objet et leurs compétences éducatives, ils tiennent un rôle clé dans l’adaptation des messages sanitaires auprès des populations.
Afin que cette information touche chacun des publics ciblés, ils peuvent mettre en place différentes stratégies, en prenant garde à deux qualités majeures :
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l’intelligibilité du message, c’est-à-dire la facilité avec laquelle il est saisi par la personne qui le reçoit ;
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la capacité de la personne à traiter et à analyser l’information.
Mais, comme l’ont récemment écrit Leena Paakkari et Orkan Okan, cette crise sanitaire rappelle avec force que les personnes ayant une faible littératie en santé peuvent avoir de grandes difficultés pour s’appliquer un tel raisonnement. La littératie en santé, ce sont les connaissances, la motivation et les compétences permettant d’accéder, comprendre, évaluer et appliquer l’information pour prendre une décision en termes de soins de santé, et maintenir et sa qualité de vie tout au long de son existence.
S’approprier l’information
En Europe, près d’un adulte sur deux déclarait en 2015 avoir des problèmes de connaissances en matière de santé et ne pas avoir les compétences nécessaires pour prendre soin de sa santé et de celle des autres. Ce constat est inquiétant quand on sait qu’un des succès de la lutte contre l’épidémie repose sur l’adhésion citoyenne aux mesures de prévention sur plus d’une année.
D’autre part, on a tendance à raisonner et réagir actuellement comme si la diffusion de l’information suffisait à enclencher un comportement de prévention. Comme si la simplicité des messages rendait ipso facto la vie réelle compatible avec le contenu des informations, sans passer par un débat sur ce qu’est un comportement de santé.
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C’est oublier que de nombreux obstacles se dressent entre l’émission d’un message, sa compréhension puis la pérennisation de son utilisation par la personne dans la vie quotidienne. Le passage du traitement de l’information à la mise en œuvre d’un comportement de santé représente un véritable défi, notamment pour les publics dont les ressources ne sont pas suffisantes.
En effet, l’utilisation d’une information est loin de constituer un processus passif. Il s’agit d’une appropriation qui s’appuie sur un apprentissage « situé », c’est-à-dire largement influencé par le contexte dans lequel il se réalise. De nombreuses étapes et conditions sont donc nécessaires pour tendre vers un comportement protecteur de soi et des autres surtout si celui-ci doit s’inscrire dans la durée.
Parmi celles-ci :
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un traitement de l’information actif, au moyen d’interactions sociales, à l’origine d’apprentissages en profondeur ;
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le soutien à la recherche de sens par les personnes, dans le choix de leurs moyens de prévention ;
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l’importance de s’assurer de la transposition possible des moyens de prévention dans la vie quotidienne de la personne.
On ne peut donc pas en rester à une simple diffusion de l’information, comme celle à laquelle on assiste actuellement. Il s’agit de passer par un travail de réflexion soutenu par des modalités de médiations, dont l’éducation. Cette crise sanitaire pourrait être l’opportunité de miser sur l’intelligence des personnes et quitter les attentes de conduites automatisées sans appropriation. Cet enjeu de comportement pourrait être l’occasion d’une réflexion du rapport à sa santé.
Dialogue de groupe
Dans ce contexte, pour proposer un temps de réflexion, des changements de comportements de santé durables face à l’épidémie, il faut proposer une éducation pour la santé en tenant compte de l’environnement des personnes et notamment des plus vulnérables.
C’est dans cette idée que nous avons conçue au Laboratoire Éducations et pratiques de santé (LEPS UR 3412) de l’Université Sorbonne Paris-Nord une intervention éducative dite « brève » pour les personnes concernées par le Covid-19. Elle est structurée en plusieurs phases sur une durée de 30 min à 1h, avec :
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un temps de rencontre visant à rassurer la personne et lui proposer l’éducation ;
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un diagnostic éducatif qui permet la co-construction de l’intervention éducative avec la personne concernée au plus près de ses besoins ;
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une négociation sur les applications possibles de prévention pour éviter toute stigmatisation ou perte de confiance et d’estime de soi ;
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la détermination des compétences à atteindre avec la personne ;
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une phase d’échanges interactifs, où il s’agit avant tout de « faire – faire » et d’étudier avec la personne la transférabilité des apprentissages dans le lieu de vie lorsque l’éducation est réalisée à distance.
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une séance téléphonique, à distance de l’éducation, rappelant à la personne l’application des gestes barrières et des techniques de prévention.
Cette intervention peut être proposée à une personne et à son entourage, ou à un petit groupe de trois à quatre personnes.
Perspectives à long terme
La mise en œuvre d’une telle intervention éducative brève appelle à un engagement de l’ensemble des parties prenantes, dont celui du milieu associatif. Dans cette période d’épidémie, le modèle d’éducation d’urgence Covid-19 est une réponse partielle aux besoins de la population et en particulier celle qui est plus vulnérable face à cette pandémie, du fait de ses conditions de vie ou de son état de santé.
Cela suppose un accompagnement formatif des professionnels de santé et des personnes relais dans leur communauté. Dans le cadre du dispositif Covisan (dispositif de dépistage et d’accompagnement des personnes COVID +) mis en place par l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris (AP-HP), notre laboratoire a contribué à accompagner des professionnels dans le département de la Seine-Saint-Denis, au moyen de Rencontres sur les pratiques d’education covisan, selon une approche transversale (RESPECT) qui préparent à l’application de ce type d’intervention éducative.
Dans l’urgence, cette proposition vise à pallier les insuffisances d’une politique de santé ayant sous-estimé l’importance de la littératie en santé.
En outre, ce modèle contribue à l’acquisition de compétences en santé au moyen d’une stratégie d’information et d’éducation assurant aux personnes concernées un véritable apprentissage qui devrait dépasser le contexte particulier de la crise et se généraliser aux situations sanitaires exceptionnelles (canicule, grand froid) et aux épidémies saisonnières, également létales.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
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