En mars 2019, le monde du journalisme était ébranlé par une affaire de plagiat : l’ancienne rédactrice en chef du New York Times était alors accusée d’avoir utilisé des passages de sources existantes pour son livre Merchants of Truth. Un an plus tard, c’est au tour du monde académique français d’être secoué par un scandale : face à des preuves avérées de plagiat, la section disciplinaire de l’Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne décidait en juillet 2020 d’annuler un doctorat en droit.
Au-delà des enjeux propres à chaque métier ou institution, ces affaires soulignent la porosité grandissante entre citation et copier-coller, et les risques de plagiat à l’heure où Internet facilite le partage de document. Alors que les sources à portée de clic se multiplient, comment faire face à ce type de triche ?
Le problème du plagiat se pose pour les thèses de doctorat comme pour les mémoires de master, avec des répercussions qui ne se limitent pas au cercle de l’enseignement supérieur. Rappelons qu’en février 2013, la Ministre de l’Éducation en l’Allemagne a démissionné de son poste après la révocation de son doctorat par l’Université Heinrich Heine, pour des raisons similaires : « Son départ venait à la suite de scandales pour des travaux plagiés ayant fait tomber un Ministre de la Défense allemand, le Président hongrois et un Ministre de l’Éducation roumain », peut-on lire dans le Chronicle of Higher Education.
Zones de gris
Une étude menée par David C. Ison en 2018 confirme bien que, si les attitudes à son égard varient selon les cultures, le plagiat se pratique dans les institutions du monde entier quel que soit le domaine étudié. La triche étudiante peut recouvrir de multiples formes, qui vont de l’antisèche à la collaboration non autorisée et à l’obtention des sujets d’examen. Si, dans certains cas, les étudiants trichent sans forcément en avoir conscience, cela n’est pas le cas pour le copier-coller dont tout le monde s’accorde sur le fait qu’il s’agit de plagiat.
Dans son Petit livre sur le plagiat, le juge étasunien Richard Posner constate que le problème se pose de plus en plus. Au travers des multiples exemples qu’il offre, on comprend que le plagiat est pour lui une question éthique (relevant des zones de gris) plutôt que juridique (légal ou illégal). Ceci dit, il est parfaitement possible que le plagiat relève objectivement de la fraude, dans les cas où un contrat a été établi, pour les journalistes ou les étudiants par exemple.
Pour Deborah Rhode, professeure de Droit à l’Université de Stanford, « la véritable question est de savoir si les lecteurs ont été trompés » (Cheating, Ethics in Everyday Life) – c’est donc une question de déclaration (disclosure). La citation entre guillemets ou la mention des idées accompagnée de la référence (« auteur(s), année, page ») est évidemment le mode idéal de déclaration. Mais quid de l’inspiration pour des étudiants, somme toute novices, sur le sujet de leur mémoire ? Quid des idées venues de cours, de conférences ou de séminaires ?
On le voit bien, si certains cas sont clairs (le copier-coller sans guillemets ni références), le territoire du plagiat est surtout un vaste dégradé de gris. On en tiendra pour preuve par exemple les détails dans lesquels rentre l’Université de Princeton sur la question de l’intégrité académique. Leur fascicule de 40 pages en consacre pas moins de 6 à des exemples détaillés et concrets de plagiat pour bien expliquer aux étudiants de quoi il relève !
Contexte numérique
L’arrivée d’Internet est rapidement devenue un enjeu majeur pour le monde académique, les institutions craignant une intensification des pratiques de triche et de plagiat de la part des étudiants. Comment ces derniers pourraient-ils résister à la tentation quand quelques clics suffisent ? Aujourd’hui, les études effectuées ne permettent pas de trancher de manière formelle sur cette évolution. En revanche, les outils digitaux ont permis de les détecter plus facilement.
Ces études permettent de dresser un « portrait-robot » du plagiaire :
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C’est plutôt un étudiant qu’une étudiante ;
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Il est plutôt en première année qu’en fin d’études ;
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C’est un habitué d’Internet ;
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Il dispose d’un accès personnel direct, et utilise peu les équipements publics (salles informatiques, médiathèques, etc.).
En revanche, on ne trouve pas dans la littérature académique d’institution type dans laquelle le plagiat serait plus pratiqué : en termes de secteur (public ou privé), de taille, de localisation géographique (Finlande, USA, Royaume-Uni, Canada, Turquie, Afrique du Sud, Europe, Europe de l’Est, Chine), ou de la discipline de recherche ou programme.
De plus, en ce qui concerne le « cyberplagiat », il a également été démontré que les pratiques de plagiat avant l’arrivée d’Internet, comparées à celles après l’arrivée d’Internet, ne sont pas significativement différentes. En d’autres termes, Internet n’a pas significativement développé le plagiat.
Recommandations pratiques
Il est primordial aujourd’hui pour les institutions de mettre en place une culture de l’intégrité académique à tous les niveaux et de s’assurer du respect des politiques et procédures en intégrant l’ensemble des parties prenantes (Jones, 2011). Il s’agit d’être pragmatique plutôt que moraliste. Mais comment ?
Voici quelques-unes des pistes que l’on peut tirer des recherches sur le sujet :
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Instaurer un code d’honneur explicite : Des études ont démontré que la mise en place de règlements et de codes réduisent la pratique du plagiat ;
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Formaliser les procédures et les sanctions : Park (2004) va plus loin en préconisant de définir le rôle et la responsabilité de chacune des parties prenantes, et de spécifier les sanctions selon l’ampleur du plagiat ;
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Ne plus se reposer sur des détections « manuelles » et s’équiper de logiciels et d’outils de détection : leur présence (par exemple, Turnitin, CopyCatch, etc.) réduit significativement les pratiques de plagiat si on utilise toutes les fonctionnalités (ce qui demande une formation de toutes les parties prenantes, y compris les étudiants) ;
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Appliquer les sanctions ! Les études montrent que les étudiants sont souvent sceptiques de l’application des procédures de détection et de sanction – malheureusement à raison.
Cependant, tous cadres et règlements ne résolvent pas le problème de fond s’ils sont appliqués de manière mécanique. La sensibilisation et la communication sont donc centrales pour éviter d’instaurer un climat de défiance et de suspicion. L’inclusion des étudiants dans les dispositifs, leur éducation sur ce qu’est le plagiat et la collaboration avec les professeurs doivent être des pratiques quotidiennes.
Tant que la triche en général, et le plagiat en particulier, seront abordés sur l’angle policier, on ne résoudra pas ses conséquences. C’est d’autant plus important qu’elle a été renouvelée avec l’arrivée du numérique dans nos pratiques éducatives et pédagogiques – que la pandémie actuelle va ancrer encore plus profondément.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
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