Comme de nombreux pays du monde, la France vit, depuis maintenant une année, une situation inédite : la pandémie de Covid-19. Source d’isolement social et de perte de contrôle sur son quotidien, la pandémie et les confinements qu’elle impose peuvent également amener des difficultés psychiques.
Dans une large enquête nationale en Chine, des chercheurs ont ainsi mis en évidence un certain nombre de troubles psychiques, notamment des troubles paniques mais aussi des syndromes d’anxiété et de dépression consécutifs aux mesures de confinement destinées à lutter contre la Covid-19.
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Parmi les mesures sanitaires mises en place pour freiner la propagation du virus, la distanciation physique impose de réduire au maximum les contacts avec autrui et peut amener, par conséquent, à une distanciation sociale réduisant les interactions que nous avons avec autrui.
Or, de nombreuses recherches attestent de l’importance des relations aux autres sur le bien-être et la qualité de vie, aux différents âges de la vie.
Lien social et santé mentale
Chez les enfants, les relations familiales, les relations entre pairs, les loisirs et l’environnement scolaire sont perçus comme essentielles au bien-être et à une bonne qualité de vie. Dans le contexte d’une pandémie précédente, Stevenson et ses collègues avaient d’ailleurs évoqué que « la fermeture des écoles et autres stratégies de distanciation sociale [perturbent] les routines des enfants ».
De façon similaire, un sentiment de solitude, de moindres contacts avec les amis et un niveau bas de loisirs sont associés à une plus faible satisfaction de vie chez les adolescents. A cette période, le groupe est au centre de la vie quotidienne et les pairs apportent un soutien émotionnel. En grandissant, la transition vers l’âge adulte passe aussi par de nouvelles rencontres et de nouveaux modes d’interactions qui soutiennent les adultes émergents pour faire face aux challenges liés à l’autonomisation.
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Pour les adultes, les liens sociaux (familiaux, amicaux, professionnels) jouent également un rôle dans la gestion du stress, le bien-être et la santé mentale. Les relations sociales et le sentiment de ne pas être seul sont également un facteur de protection contre les troubles de l’humeur chez les personnes âgées.
Cela nous amène donc à réfléchir aux impacts des mesures sanitaires sur le quotidien des personnes, et surtout à la façon dont nous pouvons pallier cette réduction voire cette absence des interactions sociales.
Nouvelles interactions numériques
Les outils numériques permettent d’entrer en relation avec autrui sur un mode différent des relations en face à face. D’ailleurs, hors période de pandémie, les relations interpersonnelles sont une des principales motivations à utiliser les outils numériques (que ce soit par les réseaux sociaux, les appels vidéo, les messageries, les jeux en réseau…)
Les spécificités de ces outils – absence de contact direct ou de contrainte géographique – entraînent un autre rapport à autrui : tout en permettant un lien social, ils offrent l’opportunité d’avoir un certain contrôle sur la façon de se présenter, de répondre et d’être en relation. Les personnes pour qui être face à l’autre peut être source d’anxiété peuvent ainsi interagir dans un environnement où elles sont plus à l’aise.
Les relations numériques peuvent être de qualité et permettre intimité, authenticité, dévoilement de soi et réduire le sentiment de solitude. Par conséquent, les outils numériques peuvent répondre aux problématiques suscitées par la distanciation physique et sociale imposée par la pandémie de la Covid-19.
Le rapport de We Are Social sur le numérique dans le monde a montré que les usages numériques ont connu une forte hausse dès le début de la pandémie, au début de l’année 2020, et plus particulièrement dans les pays où les mesures de confinement et de distanciation physique étaient les plus strictes.
Cette augmentation du temps d’écran touche en particulier le smartphone (76 % déclarent une augmentation dans l’utilisation de son smartphone par rapport à leur usage avant la pandémie) et l’ordinateur portable. Elle concerne en particulier les usages sociaux qui ont connu une augmentation significative, avec un recours accru aux réseaux sociaux, messageries, appels vidéo.
Les grands-parents, souvent personnes à risque de complications en cas de contamination par la Covid, ont ainsi pu garder le contact avec leurs petits-enfants et parfois même s’en occuper pour les devoirs pendant que les parents étaient en télétravail. Les « apéros Zoom » se sont également multipliés de façon à conserver des moments de convivialité, de même que les visioconférences pour les réunions de travail.
Les réseaux sociaux (comme TikTok, Snapchat, HouseParty, ClubHouse) et les applications d’appel ou de visioconférence (ex : Zoom, GoogleMeet, WhatsApp) ont ainsi vu leur nombre d’utilisateurs fortement augmenter depuis le début de la pandémie.
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Cette augmentation de la socialisation numérique a touché toutes les classes d’âge mais reste plus importante pour les 16-34 ans, âge où le rapport à l’autre est essentiel, en particulier dans la construction de son identité. Par ailleurs, les jeunes de cet âge ont aussi rapporté un fort sentiment de solitude, ce qui pourrait expliquer le recours aux outils numériques.
Qualité de connexion
L’augmentation du sentiment de solitude a plus particulièrement touché les personnes vivant seules (avec ou sans enfant) ainsi que les jeunes (16-25 ans) et les personnes plus âgées (>70 ans). Les adolescents ont ainsi beaucoup fréquenté les réseaux sociaux pour maintenir un lien avec leur groupe d’amis et échanger par texte avec leurs amis proches.
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Les contacts virtuels étaient associés à une moindre solitude (Ellis et coll., 2020). Néanmoins, le recours aux réseaux sociaux était aussi associé à des niveaux de dépression plus élevés. Cela suggère le besoin de maintenir des liens privilégiés et pas uniquement être connectés de façon plus ou moins artificielle à d’autres personnes. Et cela peut s’expliquer aussi par le fait que, pendant cette période de pandémie, les adolescents ayant de plus hauts niveaux de dépression recherchent, à travers les relations en ligne, un soutien émotionnel.
Le groupe de pairs peut aussi être un lieu de co-rumination et de focalisation sur les émotions négatives, ce que la pandémie a pu amplifier dans la mesure où chacun doit faire face à un nouveau mode d’être à l’autre et au stress suscité par cette période.
Les connexions virtuelles ont eu un rôle de soutien social et semblent avoir permis de réduire l’impact de l’anxiété liée à la santé, surtout chez les personnes les plus isolées. Le sentiment de soutien social n’est d’ailleurs pas uniquement l’apanage des échanges vidéo ou téléphonique, la communication par texte semblant également être un bon moyen de se sentir soutenu lorsque les interactions physiques ne sont pas possibles.
En plus des modes d’interactions classiques via les outils numériques (chat, vidéo…), les enfants ont aussi utilisé la fonction vidéo pour être en présence de leurs amis, sans nécessairement échanger avec eux. En permettant aux enfants de maintenir les liens avec l’école, leurs amis et leur famille (grands-parents notamment), les outils numériques ont joué un rôle majeur dans la vie des enfants pendant cette période de pandémie.
Sans pouvoir se substituer aux interactions physiques, les interactions numériques semblent avoir permis de compenser, en partie, la réduction des interactions due à la distanciation physique imposée par la pandémie. Cette possibilité d’échanges numériques implique portant de posséder des outils numériques (smartphone, ordinateurs, tablettes), d’une connexion Internet correcte ainsi que de compétences numériques.
Cela pose la question des inégalités face aux usages numériques, en particulier sociales, quand on sait l’impact de l’isolement sur la santé mentale. L’illectronisme et le manque d’accès à Internet touchent particulièrement les personnes âgées ainsi que les personnes socialement défavorisées. Or, ce sont aussi ces personnes qui sont les plus à risque vis-à-vis des effets de la pandémie (contamination, perte d’emploi…) mais aussi vis-à-vis de l’isolement social.
Marie Danet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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