[Mise à jour du dimanche 13 Juin] Beaucoup de réactions et questions en ligne - Twitter - suite à la publication de cet article. Je précise donc qu’à ce jour l’université de Nantes n’a pas communiqué officiellement. Ce que je trouve dommage mais l’agenda politique de l’université est squatté par l’adoption (après des années de négociations souvent rocambolesques) du statut d’établissement expérimental "Nantes Université".
Toute la communication de l’équipe présidentielle se concentre donc là-dessus. J’ai eu l’info sur le mandat obligatoire parce que j’ai des copains et copines qui m’ont alerté et les documents sur lesquels je m’appuie sont disponibles sur l’intranet des personnels de l’université, dans la rubrique où personne ne va jamais : celle des compte-rendus de CA ;-)
Enfin, il semble évident que ce mandat de dépôt obligatoire avec impact (probablement marginal) sur l’évaluation individuelle et collective (financements des labos) s’appuiera bien sûr sur les textes de loi existants, c’est à dire qu’il y aura bien obligation de déposer mais dans la limite des délais d’embargo prévus par la loi portée par Axelle Lemaire en 2016, "République Numérique (n°2016-1321)", et notamment son article 30 qui précise que le délai de mise à disposition en Open Access est :
"au maximum de six mois pour une publication dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine et de douze mois dans celui des sciences humaines et sociales."
Pour le reste je suis comme vous, c’est à dire que j’attends (avec impatience et gourmandise) les précisions de l’université sur la mise en oeuvre concrète et technique de cette décision historique à l’échelle de l’enseignement supérieur et de la recherche :-) [/Mise à jour]
C’est une décision, osons le mot, historique, qui vient d’être actée par le conseil d’administration de l’université de Nantes. Cette décision est la suivante. Toutes les publications de l’université (= les articles scientifiques écrits par des enseignants-chercheurs de l’université) devront obligatoirement être déposées en archive ouverte. Et - c’est dingue - ce mandat de dépôt obligatoire sera pris en compte directement dans les évaluations institutionnelles mais aussi dans les financements que l’université versera aux laboratoires de recherche.
Voici très exactement le relevé de délibération et de vote du CA daté du 28 Mai 2021 :
Depuis que je suis enseignant-chercheur (et même avant) j’ai toujours été un défenseur et un militant de l’Open Access, du libre accès aux connaissances scientifiques. Si les choses ont, depuis 15 ans, heureusement évolué dans le bon sens c’est notamment, sur le plan politique, grâce à Axelle Lemaire lorsqu’elle était en charge de ces questions et notamment aujourd’hui grâce à Marin Dacos qui porte ces questions au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ainsi bien sûr qu’à l’effort patient, militant et constant de beaucoup d’enseignants-chercheurs et de bibliothécaires.
Le dépôt en libre accès c’est bien, mais le dépôt en libre accès quand c’est pas contraignant et obligatoire, bah ça avance beaucoup moins vite hein. Et si c’est juste obligatoire et s’il n’y a pas de mesures pesant sur cette obligation ... bah les gens considèrent qu’ils ne font pas un truc obligatoire et puis de toute façon c’est pas grave puisqu’il n’y a jamais aucune sanction de prise.
Je ne vais pas vous refaire 15 ans de débats sur la question du libre accès et de pourquoi ça ne décolle jamais vraiment comme ça devrait dans les universités françaises mais en gros (en très très gros) voici les lignes d’affrontement :
- celles et ceux qui considèrent que le libre accès ce n’est pas la priorité et qu’en plus c’est dangereux pour la qualité de la science (et pour son propre avancement de carrière) : beaucoup de collègues sont encore dans cette posture, soit par ignorance des enjeux, soit du fait du lobbying et de la désinformation qu’exercent depuis 25 ans (au moins) les escrocs qui ont le monopole de l’édition scientifique, particulièrement dans certaines disciplines - et donc de l’évaluation de la recherche et des carrières individuelles.
- celles et ceux qui considèrent que le libre accès c’est bien mais que bon on verra quand on aura le temps (et que ce sera obligatoire)
- celles et ceux qui - comme moi - sont militants.
Nota-Bene : si vous ne comprenez pas pourquoi le libre accès, l’open access, c’est déterminant et c’est littéralement vital, prenez 10 minutes de votre vie et allez regarder "Privés de Savoir" produit par Datagueule.
Aujourd’hui beaucoup d’universités françaises ont leurs propres archives institutionnelles, et beaucoup d’enseignants-chercheurs déposent eux-mêmes leurs propres travaux en archive ouverte (sur la plateforme HAL). Quand j’écris "beaucoup" je devrais en fait écrire "très peu" à l’échelle du nombre d’enseignants-chercheurs et de travaux de recherche. Ce n’est hélas encore qu’une minorité de ces travaux qui sont en libre accès, alors même, rappelons-le, qu’ils sont financés par l’impôt (bah oui, vous payez mon mirobolant salaire - 2800 euros - tous les mois) et donc que c’est un droit pour la collectivité (et les étudiants) d’avoir accès à ces articles scientifiques. Tout cela je vous l’expliquais dans cet article qui fit son petit effet à l’époque : "Pourquoi je ne publierai plus jamais dans des revues scientifiques." (vous l’avez même dans une revue scientifique ... en libre accès ;-)
Si l’on veut inverser le ratio et faire en sorte qu’une majorité des résultats produits par la recherche publique se retrouvent en libre accès, et compte-tenu de tout un tas de paramètres à la fois économiques, politiques et sociaux (que je vous épargne ici mais dont je vous ai souvent parlé) il n’est qu’une seule voie possible : non seulement il faut rendre ce dépôt obligatoire dans chaque université. Et pour que cette obligation de dépôt soit suivie d’effets, il faut deux choses. Primo, pour jouer sur la dimension incitative auprès des chercheurs eux-mêmes dans leur dimension - toujours fondamentalement un peu - égotiste, il faut lui subordonner en partie l’évaluation des carrières individuelles (après tout nous sommes déjà jugés sur tout un tas de critères quantitatifs à la con, au moins celui visant à vérifier qu’on a bien mis nos articles en accès ouvert est-il un peu moins con que beaucoup d’autres). Et deuxio il faut également lui subordonner les dotations et financements institutionnels attribués aux laboratoires de recherche (pour cette fois jouer sur la dimension collective et institutionnelle directe).
Et c’est très exactement ce que vient de faire le CA de l’université de Nantes. Non seulement c’est une décision inédite : à ce jour et à ma connaissance nous sommes donc, avec l’université d’Angers, la seule université française à disposer d’un mandat de dépôt obligatoire. Et c’est une putain de bonne nouvelle pour l’avenir de l’humanité. Bah oui. Mais c’est aussi une décision (très) courageuse car elle indique clairement - ce qui n’est pas le cas à Angers - que ce critère sera pris en compte dans les évaluations institutionnelles ainsi que pour la dotation aux laboratoires (rassurez-vous si vous êtes inquiets, cela sera bien sûr à la marge, aucun labo et aucune carrière ne vont se trouver ruiner par ce nouvel indicateur).
C’est courageux car les résistances sont (très) fortes et s’organisent (en gros) ainsi. Il y a les collègues "neutres" ou "opposés" à l’Open Access qui trouvent que c’est là une ingérence scandaleuse dans leur activité de recherche (total bullshit mais ils sont encore nombreux et nombreuses). Et puis il y a les collègues défenseurs (et parfois militants) de l’Open Access qui trouvent (oui c’est paradoxal mais c’est comme ça) que subordonner une partie (même infime) des financements et de l’évolution des carrières à l’obligation de dépôt en archive ouverte est un coup du néo-management et que cela risque de doter les néo-managers de tous bords d’encore plus d’outils de flicage et de soumission. J’ai pas mal de copains qui sont encore sur cette ligne aujourd’hui, et ... et ce sont pourtant encore des copains :-)
Mais il existe un moment où il faut avancer si l’on estime que l’enjeu est essentiel. Et il l’est puisqu’il s’agit de libérer les connaissances académiques de la gangue de l’invisibilité ainsi que de l’assujettissement au quasi-monopole toxique d’éditeurs prédateurs. L’un des tout premiers à avoir théorisé et mis en oeuvre le mandat de dépôt obligatoire avec influence sur l’évaluation individuelle et le financement des laboratoires de recherche, c’est - un de mes héros - Bernard Rentier, lorsqu’il était recteur (= président) de l’université de Liège, et ce dès ... 2007.
J’ai croisé quelque fois Bernard Rentier dans divers colloques. J’ai même eu l’honneur, par deux fois, de partager la scène avec lui. La seconde fois, il y avait avec moi une collègue, juriste de formation, que je ne connaissais pas, et qui travaillait également sur ces questions d’Open Access. Elle s’appelait Carine Bernault. Elle est aujourd’hui présidente de l’université de Nantes et vient de parvenir à faire voter une décision aussi salutaire qu’inédite et courageuse. C’est absolument remarquable et nécessaire. Merci à elle et à toutes celles et ceux qui ont permis cela.
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