La COP 26 s’est achevée sur un 26e échec. Trop peu de décisions, trop tard, une fois de plus. Ce sont les jeunes, partagés entre la colère et l’espoir, que l’on a, cette année, le plus entendu. Pour Greta Thunberg, porte-parole de la « génération climat » ce sommet n’est qu’une mise en scène de plus, un « festival de green washing des pays du Nord ».
Toujours plus d’adultes, d’adolescents et d’enfants, sur l’ensemble de la planète, estiment que les gouvernements n’en font pas assez pour combattre ces fléaux que sont le dérèglement climatique, les menaces qui pèsent sur la biodiversité, mais aussi les résistances à l’égalité entre les femmes et les hommes, la persistance des discriminations raciales et sexuelles, les violences subies par les plus vulnérables… Mais comment faire globalement entendre les voix des plus jeunes alors qu’ils n’ont pas de droit de vote et que nous n’avons pas d’instance démocratique planétaire ?
Des violences accrues par la pandémie
Est-il besoin de rappeler que les jeunes sont confrontés à un avenir sombre ? Au tout début de la pandémie, en février 2020, l’Unicef, l’OMS et la revue The Lancet publiaient un rapport intitulé « Un avenir pour les enfants du monde », qui établissait qu’« aucun pays ne protège de manière appropriée la santé des enfants, leur environnement et leur avenir » en raison non seulement des problèmes climatiques, mais aussi des addictions diverses (malbouffe, écrans, etc.), créés par des multinationales sans scrupule qui cherchent à rendre accro les jeunes consommateurs et qui utilisent des publicités les manipulant toujours plus avec l’intelligence artificielle.
Selon Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce rapport « montre que les décideurs du monde entier font trop souvent défaut aux enfants et aux jeunes : ils ne parviennent ni à protéger leur santé, ni à protéger leurs droits, ni à protéger leur planète ». Il conclut que nous devrions repenser les priorités planétaires, les 17 objectifs du développement durable (ODD) de l’ONU en fonction des nouvelles générations et que nous devrions faire évoluer les droits de l’enfant, qui se célèbrent le 20 novembre, en fonction des ODD.
La pandémie a encore aggravé leur sort : inégalités d’accès à la santé, augmentation des mariages forcés, des violences physiques, psychologiques et sexuelles, déscolarisation, recrudescence du travail forcé, etc. Comme lors des précédentes crises, de très nombreuses filles, assignées un peu plus aux tâches domestiques et victimes de grossesses précoces et subies, ne retrouveront jamais le chemin de l’école.
Et que dire des révélations du rapport Sauvé sur le caractère systémique des crimes sexuels contre les enfants, de la part de l’Église ? Ou de ces fédérations sportives qui, « ont dressé, tordu, insulté, humilié, exploité, violé, menacé des centaines d’adolescentes », comme l’écrivait dans Le Monde la sociologue Caroline Ibos. Les exemples, hélas, pullulent. Il serait impossible d’en faire la liste complète.
Casser le cercle vicieux
Faut-il se résigner ? Nullement. Mais alors, comment agir efficacement ? La tâche est immense et la prise de conscience doit être générale. Il importe de mieux informer les jeunes et leur famille de leurs droits, mais aussi de former systématiquement tous les professionnels, en particulier celles et ceux qui interagissent avec les enfants et les adolescents, pour détecter et signaler ces violences le plus précocement possible, tout en améliorant l’accompagnement des victimes, tant du point de vue de leur santé physique que de celui de leur santé psychique.
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Le suivi judiciaire et les sanctions administratives doivent être plus stricts et mieux évalués pour les auteurs de ces violences faites aux enfants. Il est également nécessaire de prendre conscience, collectivement, des conséquences dramatiques des traumatismes subis pendant l’enfance, surtout s’ils sont tus, minimisés, voire ignorés ou niés. En effet, les grandes études menées sur les conséquences des violences subies dans l’enfance mettent en évidence une perte d’au moins 20 ans d’espérance de vie.
Les États-Unis ont développé depuis 25 ans une approche autour des adverse childhood experiences (ACE) ou « expériences négatives pendant l’enfance ». Selon le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), le coût des maladies qui découlent des troubles subis dans l’enfance se chiffre en milliards de dollars. Outre une hausse non négligeable de l’échec scolaire, des maladies cardio-vasculaires à l’âge adulte (fois 3), du diabète (fois 4), des maladies respiratoires (fois 3), des tentatives de suicide (fois 12), des dépressions (fois 5), il existe une probabilité élevée de reproduction transgénérationnelle des abus par les personnes qui les ont subis ou en ont été témoins.
Ce n’est pourtant pas une fatalité dès lors que le cercle vicieux des violences peut être rompu par un regard bienveillant qui repère, qui prend en charge et qui, en accompagnant l’enfant victime dans son parcours de résilience lui permet de comprendre que le passé traumatique vécu ne s’inscrivait pas dans la norme. Aider les victimes revient donc, aussi, à leur montrer ce qui est acceptable ou pas et à protéger d’autres victimes potentielles.
Prendre les jeunes au sérieux
Prendre soin des enfants, c’est une obligation légale tout autant qu’éthique. Dans toutes les institutions de socialisation, les enfants apprennent à être au monde, à le comprendre, à devenir autonomes. Ces lieux restent pour autant largement inadaptés aux besoins des nouvelles générations. Si les jeunes sont conscients que la planète est en train d’être détruite, leurs attentes sont immenses. Il faut les accompagner et, pour ce faire, construire de nouveaux apprentissages avec eux.
Quant aux jeunes qui sont en âge de voter, ils se détournent des urnes. L’offre politique ne leur convient pas. Et cependant beaucoup, on le voit, on le sait, s’engagent pour défendre le bien commun. L’abstention massive des jeunes est donc un trompe-l’œil, comme l’expliquent Tom Chevalier et Patricia Loncle dans Une jeunesse sacrifiée ?. En effet, notent-ils,
« Les jeunes ne vont pas voter à une élection parce qu’il faut voter, ils vont voter lorsqu’ils considèrent que le sujet est important, et sont plus sensibles aux enjeux culturels et sociétaux qu’aux enjeux économiques et sociaux. Le reste du temps, ils investissent d’autres formes de participation politique et citoyenne. Ce n’est donc certainement pas le signe d’une dévitalisation démocratique. Reste à savoir comment on peut imaginer pour l’avenir une forme de démocratie faisant de la place à ces jeunes et à leurs nouveaux espaces d’expression politique, pour qu’ils aient un effet sur l’action publique. »
Il faut prendre les jeunes au sérieux. Des chercheurs comme Alison Gopnik, à Berkeley, ont montré que dès la prime enfance nous faisons preuve de capacités étonnantes d’innovation, d’expérimentation, d’adaptation, avec des pics de créativité dès l’âge de 5 ans. La France pullule de dispositifs publics destinés à initier les enfants à la citoyenneté et, en principe, à leur donner la parole. Mais trop souvent, leurs délibérations restent lettre morte, alors qu’ils et elles expriment les mêmes attentes que les adultes : ne pas perdre de temps dans des simulacres de démocratie.
De nouveaux dispositifs démocratiques
Le spécialiste des droits de l’enfant Nicolás Brando note que les arguments avancés pour s’opposer à un droit de vote des jeunes ont déjà servi pour les femmes, les pauvres, les minorités ethniques : incapacité à formuler un choix éclairé faute de facultés cognitives ; absence d’expériences sociales ou économiques suffisantes pour étayer un choix ; trop grande malléabilité des jeunes esprits face aux manipulations ; risque de déséquilibrer le jeu démocratique. À partir de quelles capacités biologiques ou de quel âge devient-on citoyen ? Il fut un temps où c’était 21 ans, certains pays sont déjà à 16 ans. Et si nous donnions un droit de vote dès la naissance qui puisse être appliqué par les parents jusqu’à ce que l’enfant se sente capable de voter sur les sujets qui le concernent ?
Au-delà du droit de vote, des formes d’instances délibératives pourraient permettre aux plus jeunes, régulièrement, de donner leur avis sur les questions qui les concernent, et d’être véritablement écoutés comme le préconise la déclaration des droits de l’enfant de l’ONU et comme a su le faire la Ville de Paris avec sa charte des droits de l’enfant écrite par les jeunes – et qui a servi de base à de nouvelles politiques publiques.
Il ne s’agit pas de donner tous les droits aux enfants, mais de faire en sorte que les droits qui leur sont donnés le soient effectivement, et de leur en accorder de nouveaux, via des projets à fort impact, de nouveaux dispositifs démocratiques, des moyens de prendre en compte leur regard sur le monde et leur expertise, quels que soient leur milieu d’origine, leur niveau d’étude, leur territoire de vie. L’École est l’un des lieux essentiels pour le faire. La jeunesse a des idées pour le monde de demain, des revendications pour aujourd’hui et ne demande qu’à être entendue. Nous avons, nous aussi, à apprendre d’elle, pour faire en sorte, ensemble, que l’avenir soit synonyme d’espoir.
Et si cette génération était la première à devenir des citoyens de la planète. Si les Grecs ont inventé l’engagement au service de la Cité, si les Lumières ont réinventé la citoyenneté à l’échelle de la nation, ils ont nié les droits des femmes, des migrants, des esclaves et des jeunes. Alors que les femmes sont les dernières à être devenues citoyennes, les plus jeunes ne le sont toujours pas. À l’heure du numérique, il est temps de réinventer l’héritage des Lumières, de le rendre plus inclusif, plus écologique et de le faire à l’échelle de la planète. Comment espérer traiter de manière démocratique les enjeux globaux comme le changement climatique sans inventer une démocratie fractale qui fonctionne à toutes les échelles et donne une voix aux plus jeunes ?
Le prochain livre de François Taddéi, « Et si nous ? Comment relever ensemble les défis du XXIe siècle » paraîtra aux éditions Calmann-Lévy, en janvier 2022.
François Taddei ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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