La lecture à haute voix est largement pratiquée dans les salles de classe et les familles pendant les premières années d’apprentissage de la lecture (CP et CE1). Elle permet aux adultes d’évaluer les progrès des enfants dans cet apprentissage. Malheureusement, quand la lecture des enfants devient fluide, avec la maitrise du décodage, cette pratique cède le plus souvent la place à la lecture individuelle et silencieuse.
Pourtant, des initiatives comme les « Petits champions de la lecture » demandent à des élèves plus âgés, de CM1 ou CM2, d’apprendre à lire des textes pour un public. S’agit-il seulement d’une performance théâtrale ou ce type d’exercice a-t-il un intérêt pour aider les élèves à améliorer leurs compétences en lecture ? Comment ces petits champions s’y prennent-ils pour travailler ces lectures ?
La musique de la lecture à voix haute
Un bon lecteur qui lit à voix haute semble raconter une histoire. Il lit comme il parle. On peut entendre des pauses, des variations de rythme, de mélodie et d’intensité qui vont donner vie au discours et permettre à celui qui écoute de le comprendre. Cette musique du langage, c’est ce qu’on appelle la prosodie.
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Le premier élément fondamental de la prosodie est le phrasé. Le lecteur va placer des pauses et varier son intonation pour mettre en valeur les frontières du texte, c’est-à-dire là où il est nécessaire de s’arrêter pour bien comprendre. On va par exemple s’arrête à un point pour marquer la fin de la phrase, ou entre deux propositions pour en marquer la limite. Ainsi le phrasé permet de découper le texte pour mieux le comprendre.
Changer la place d’une pause peut changer le sens du texte ou empêcher de le comprendre. Exemple : « La petite […] brise la glace » n’a pas le même sens que « la petite brise […] la glace ».
Le deuxième élément fondamental de la prosodie est l’expressivité, c’est-à-dire les variations de volume, d’intensité et de rythme de la voix. L’expressivité permet de faire passer des émotions, une ambiance. Elle capte et retient l’attention de l’auditeur. Exemple : « Ce gâteau est délicieux » ne sera pas compris de la même manière s’il est dit avec entrain ou une grimace de dégoût.
Ces deux éléments, indispensables à un bon lecteur, sont donc par essence très liés à la compréhension. Produire un phrasé approprié nécessite une compréhension de la syntaxe du texte. Produire une expressivité appropriée nécessite une compréhension fine du texte, d’inférer par exemple les sentiments des personnages.
Par ailleurs, le phrasé est également un élément indispensable à la compréhension du discours. Si ce phrasé disparait (ton monocorde et monotone), il est très difficile à l’auditeur de comprendre son interlocuteur. C’est ce phrasé qui, en découpant le flot continu de parole, va permettre au bébé d’apprendre ses premiers mots. Cette musique de la voix est donc indispensable à la compréhension.
Comprendre des textes écrits
Est-ce également le cas avec un texte écrit ? Oraliser un texte permettrait-il de mieux le comprendre ?
Les enfants ont encore besoin de s’appuyer sur les indices mélodiques de la voix pour comprendre la structure du langage quand ils apprennent à lire et qu’on leur demande alors de produire du langage à partir de cette structure grammaticale. Un exercice compliqué ! Il est donc indispensable que l’apprentissage de la lecture passe par l’oralisation du texte. C’est vrai également au-delà des premières années d’apprentissage.
Confronté à une phrase ambiguë ou à un texte particulièrement complexe, on s’est tous surpris à reprendre le texte mal compris en lisant à haute voix. On retrouve cette stratégie de la lecture à voix haute aussi bien chez les adultes que chez les enfants.
Ces études ont également montré que la lecture à haute voix de ces passages difficiles différait de celle des passages standards. Nous faisons plus de pauses, plus longues, et nous accentuons les variations mélodiques de notre voix pour nous aider à comprendre. D’une façon plus générale, les enfants comprennent mieux en lisant à voix haute que dans leur tête.
Ce lien entre prosodie et compréhension a été très étudié. De nombreuses études dans différentes langues ont montré que la prosodie dans la lecture orale est liée à la compréhension et que ce lien se renforce au cours du temps. En effet, le lien est plus fort chez les collégiens que chez les élèves de primaire.
La question qui intéresse maintenant les chercheurs est la direction de ce lien. Est-ce qu’on comprend parce qu’on est expressif à l’oral ou est-on expressif car on a compris le texte ? L’hypothèse actuellement privilégiée est que ce lien fonctionne dans les deux sens. Lire à voix haute en ajoutant de l’expressivité demande d’avoir compris le texte mais permet aussi de mieux comprendre ce texte.
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Partager des histoires avec ses enfants pour les préparer à la lecture
Chez les plus jeunes lecteurs, l’enfant va plus chercher à comprendre le texte en le lisant à haute voix, pour mettre le ton. Chez les lecteurs plus âgés, et plus débrouillés, la lecture à haute voix va permettre, par le biais d’une accentuation de la prosodie, de comprendre des textes plus complexes. Une étude que nous avons menée pendant 3 ans auprès d’enfants du CE1 au CM1 a pu mettre en évidence que les enfants qui mettent le plus d’expressivité et de phrasé dans leur lecture orale en CE1 et CE2 sont aussi ceux qui comprennent le mieux en CM1, qu’ils lisent vite ou moins vite.
Lire à voix haute avec les enfants
Ces recherches montrent l’importance que revêt la lecture à haute voix dans la compréhension des textes lus. Ce n’est pas un exercice si trivial. Être un bon lecteur ne s’improvise pas, cela nécessite de l’entraînement. Et c’est ce que font les petits champions de la lecture : ils s’entraînent. En s’entraînant, ils travaillent leur performance orale, mais pour cela doivent travailler également leur compréhension du texte choisi.
Comment peut-on s’entraîner à lire à voix haute ? Il existe deux grandes techniques : le modelage – j’écoute un lecteur expert pour comprendre comment il fait et éventuellement l’imiter – et l’indiçage – j’annote mon texte, avec ou sans aide, avec tout ce qu’il faut pour mettre le ton correctement (pauses, sentiments à exprimer, ralentissement, accélération, volume…)
Voici trois exemples d’activités pour s’entraîner :
La lecture en duo avec les parents ou un lecteur expert
Dans cette activité partagée autour d’un livre entre parents et enfants, chacun à son tour lit un passage du livre, de longueur adaptée au niveau de lecture de l’enfant, pour l’autre. Au-delà du lien affectif, cette activité donne un modèle à l’enfant d’une lecture orale, qu’il va chercher à imiter. L’intonation prise par le parent va guider la compréhension du texte par l’enfant, il peut également donner des explications si besoin et aider l’enfant en cas de mots difficiles ou inconnus.
Cette activité peut se pratiquer à tous les niveaux de lecture et avec tous types de support : album, roman, revue, BD… On peut commencer par de petits albums pour les débutants pour gagner en aisance. Avec des plus grands, cela peut aussi être un moyen de les faire rentrer dans des romans plus compliqués avant qu’ils ne continuent seuls.
En autonomie, avec les livres audio
Les enfants peuvent aussi faire des activités de lecture à haute voix seuls, avec des livres ou revues audio. Ces lectures enregistrées par des acteurs offrent un très bon modèle de lecteur expert que les enfants pourront s’amuser à imiter. Au-delà de l’écoute pure du livre en suivant le texte, l’enfant peut aussi s’essayer à la lecture synchronisée : il écoute le modèle et lit le texte à haute voix en même temps ou en alternance avec le livre audio.
Cette activité en autonomie permet également de se libérer de l’écoute d’un auditeur (parents, enseignants, camarades…) et donc de se sentir plus libre d’essayer, ce qui facilitera les progrès, notamment des lecteurs les plus en difficulté qui souvent n’osent pas lire devant les autres.
La lecture théâtralisée
Le but de la lecture théâtralisée est de préparer une lecture pour la présenter à un public. Les enfants vont alors travailler leur voix, leur mise en scène et répéter pour présenter leur lecture à quelqu’un d’autre. Le but n’est plus de lire mais de lire pour quelqu’un, de faire un spectacle.
Pour cela, les petits champions de la lecture cités plus haut sont amenés à travailler sur la compréhension du texte, réfléchir à l’intention à faire passer, annoter, essayer différentes interprétations, débattre de la plus adaptée et répéter pour s’entraîner. La lecture théâtralisée est très utilisée dans les pays anglo-saxons et à montrer des bénéfices importants à tous les âges (du CP à l’université) particulièrement avec les lecteurs en difficulté.
Pour conclure, ces quelques activités permettent de s’entraîner à lire à haute voix et donc d’améliorer la qualité de la lecture et la compréhension en lecture. Mais elles présentent également un autre avantage non négligeable. Elles ramènent du plaisir dans la lecture pour que celle-ci ne reste pas uniquement un exercice scolaire mais redevienne une activité agréable qu’on la partage avec un parent, un public ou juste pour s’amuser tout seul à créer des voix de personnages. Ce plaisir de la lecture est certainement le meilleur moteur du progrès !
Une partie de mes travaux de thèse et mon postdoctorat ont été financés sur le projet Fluence, financé par l’état dans le cadre du volet e-FRAN du programme d’investissement d’avenir (PIA2) opéré par la Caisse des Dépôts et Consignations.
Je suis actuellement en poste dans le projet Pégase, lauréat de l’appel à projet PIA3 et financé par la Caisse des Dépôts et Consignations.
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