Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd
Qu’il s’agisse de santé publique, du nucléaire, de la 5G, de la gestion de nos forêts, des OGM ou encore de l’intelligence artificielle, nous avons aujourd’hui à faire des choix collectifs en matières scientifiques et techniques. Ils auront des conséquences majeures à court terme et pour les générations futures. Quelles que soient les positions adoptées, l’histoire évaluera nos décisions sur la base de notre capacité à identifier les enjeux éthiques, environnementaux et socio-économiques des problèmes posés, à anticiper les crises et à proposer des solutions pour les éviter ou, à tout le moins, en limiter les effets.
Si la science ne participe pas à la décision politique, elle dresse indéniablement le champ des possibles en fonction des connaissances disponibles et des recherches en cours à une époque donnée. C’est en puisant dans ce corpus de connaissances que le débat démocratique peut prospérer.
Cependant, si depuis 50 ans, les Français continuent à accorder une confiance élevée à la science et aux scientifiques, ils sont désormais une minorité à considérer que les effets positifs de la recherche scientifique sont supérieurs aux effets négatifs. Ce sont donc les effets de la science sur nos conditions de vie qui sont en cause, ce qui pose la question du contrôle démocratique des choix techno-scientifiques. Déjà, en 2016, un sondage Ipsos montrait que seulement 25 % des personnes interrogées considèrent que les citoyens français sont suffisamment informés et consultés sur les débats et les enjeux de la recherche aujourd’hui.
Citoyenneté éclairée
Ce constat interpelle tous les acteurs de la culture scientifique et technique car ils jouent un rôle clé dans la diffusion des savoirs nécessaires à l’implication citoyenne dans l’orientation du développement techno-scientifique. Depuis plus d’un demi-siècle, ces structures (des associations et établissements publics, pour la plupart) ont accumulé un savoir-faire considérable en adéquation avec les évolutions sociétales et ont su jouer le rôle de tiers de confiance pour garantir l’impartialité indispensable à un dialogue constructif entre les scientifiques et leurs concitoyens.
L’offre centrée initialement sur les clubs scientifiques et les différentes formules de « musées des sciences », s’est étoffée au fil du temps avec, par exemple, les ateliers découverte, les animations, les cafés des sciences et, plus récemment, avec l’exploration des liens entre art et science.
Ces dernières années, profitant des opportunités offertes par les technologies numériques, elles ont affirmé leur présence sur les réseaux sociaux (podcast et webradio) et ont proposé à leurs visiteurs de nouvelles expériences immersives ou interactives sur les grands sujets de société comme en témoigne l’installation performative « Devenir plante : voir par le corps » réalisée récemment par le Lieu multiple de Poitiers. Une telle démarche permet sans nul doute de rompre avec l’image parfois austère que véhicule la communication scientifique et ainsi de renouveler l’intérêt pour les sujets scientifiques, notamment auprès des plus jeunes.
Toucher tous les publics
Mais l’accroissement et la diversification de l’offre ne forment qu’un aspect de la réponse aux enjeux soulignés plus haut. Alimenter le débat sur les enjeux environnementaux et socio-économiques de la science implique une connaissance préalable plus fine des attentes du public. Or, en matière de culture scientifique, ce public est segmenté, il conviendrait plutôt de parler « des publics ».
Schématiquement, il se décompose en quatre grandes catégories dont les frontières ne sont pas étanches. Le public scolaire des écoles, collèges et lycées ; le public des loisirs scientifiques (enfants, adultes, familles qui participent à des ateliers et animations) ; le public averti qui, sur un sujet particulier, cherche à enrichir ses connaissances, conforter son engagement, et enfin, le public local ou touristique des amateurs de culture au sens large.
À chacune de ces catégories correspond une offre au contenu et à la géométrie variables. Par exemple, l’École de l’ADN de Nîmes, inspiré du DNA Learning Center new-yorkais intervient auprès des associations de malades pour expliquer en quoi consiste le diagnostic génétique et présenter les avancées de la recherche. Dans d’autres cas, les citoyens participent, selon un protocole strict, à la collecte des données scientifiques qui seront ensuite traitées et analysées par des chercheurs professionnels. Le portail des observatoires participatifs des espèces et de la nature (OPEN) recense plus de 70 000 participants aux différents programmes de recherche sur la biodiversité.
L’enjeu sens doute le plus important aujourd’hui concerne les moyens à mettre en œuvre pour toucher les gens qui ne se sentent pas concernés par les sujets scientifiques et techniques. Ce « non public » ne doit pas être négligé car il participe évidemment à la fabrique de l’opinion dite « générale ». Cherchant à comprendre les raisons profondes de ce désintérêt, Olivier Las Vergnas suggère qu’il ne relève pas nécessairement d’un manque de curiosité. Il peut dissimuler « une résignation apprise » pour celles et ceux qui n’ont pas eu d’affinité particulière avec les disciplines scientifiques durant leur scolarité. L’absence d’intérêt pour la science peut aussi être imputable à un accès difficile, voire impossible, aux canaux de la diffusion scientifique en raison de l’éloignement géographique.
On le voit, les facteurs à prendre en compte sont multiples et complexes, mais leur identification est sans doute essentielle pour faire progresser la diffusion de la culture scientifique.
Travail de médiation
Quelle que soit la modalité de médiation retenue, la participation des chercheurs à la conception des supports est essentielle car elle garantit la qualité de l’information diffusée. Surtout, la figure du scientifique peut s’incarner à travers une personne qui, grâce à ses connaissances, sa façon d’être et sa passion pour son métier éveille la curiosité et stimule l’échange. Il n’est d’ailleurs pas rare que de telles rencontres déclenchent des vocations car elles contribuent à remettre en cause les clichés qui freinent les ambitions professionnelles des jeunes filles et, plus généralement, des jeunes gens issus des catégories sociales les plus modestes.
Peut-être faut-il également se défaire de l’idée que l’exposé savant et structuré, fût-il brillant, suffit à donner le goût des sciences. Les expériences comme celles qui sont menées autour des controverses dans le cadre du programme Forccast et « Où atterrir » du Médialab de Sciences Po montrent l’intérêt de porter une attention plus grande aux questionnements des populations et mener, sur cette base, un véritable travail de médiation.
Malheureusement, en France, l’enseignement des principes et des méthodes de la médiation n’est pas systématiquement intégré dans la formation des chercheurs et enseignants-chercheurs. Seules quelques universités comme Rennes 1 et Paris le proposent dans les formations doctorales. À défaut, l’accueil temporaire de chercheurs dans des institutions de culture scientifique pourrait être encouragé à l’instar de ce que propose l’Exploratorium de San Francisco à travers son Programme Osher Fellows, mais les initiatives de ce genre sont encore très timides.
En dépit de tous les efforts déployés depuis les années 70, les acteurs de la culture scientifique ont donc encore beaucoup de nouvelles formules à inventer pour favoriser les débats démocratiques sur les sujets scientifiques et techniques. Une présence plus affirmée dans les territoires est sans doute une voie à explorer. À travers les élus, les associations, les lieux de lecture publique et le monde éducatif au sens large, de nombreux relais existent dans les territoires pour identifier les attentes et structurer une offre qui corresponde aux préoccupations locales.
Pascal Chauchefoin est directeur scientifique du CCSTI « Espace Mendès France », Poitiers – Nouvelle Aquitaine.
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