Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd
La Déclaration des droits de l’enfant fêtera son centenaire en 2024. Face à la complexité des crises qui nous font face, l’héritage d’Eglantyne Jebb, autrice de la Déclaration, et son insistance sur la nécessité de placer les droits de l’enfant en priorité dans l’agenda de la communauté mondiale doivent être plus que jamais pris en compte.
Comment faire entendre la voix des enfants et des jeunes, alors qu’ils ne sont pas considérés comme citoyens à part entière avant d’atteindre l’âge de la majorité ? Comment inclure les générations à naître et les nouvelles générations dans les processus de décision, alors que même la Déclaration des droits de l’enfant a été rédigée et ratifiée sans eux ?
Un avenir inquiétant
Les enfants et les jeunes vivent dans un monde où les crises sont multiples et imbriquées, sur les plans démocratique, économique, sanitaire, climatique, et environnemental, avec l’effondrement de la biodiversité.
Il est déconcertant de se dire que les adultes d’aujourd’hui font partie de la seule génération qui vivra plus longtemps que ses aînés et que ses descendants. Et c’est pourtant la perspective esquissée par le rapport UNICEF/OMS, publié dans la revue The Lancet avant même que l’on perçoive tous les effets de la pandémie de Covid-19…
La crise sanitaire nous l’a démontré avec force : les inégalités d’accès à l’éducation et à la santé se sont accrues pendant la pandémie ; les violences physiques, psychologiques et sexuelles se sont accentuées, sans parler de la santé mentale des enfants et des jeunes qui a été mise à rude épreuve. C’est ce dont témoigne l’étude menée dans dix pays (du « Nord » et du « Sud ») approuvée par la revue The Lancet Planetary Health, qui estime que 75 % des jeunes interrogés jugent le futur « effrayant ».
Et pourtant, ces jeunes s’engagent, à leur manière, pour faire bouger les lignes : en témoignent leur implication sur les réseaux sociaux, ou dans des mouvements tels que Fridays for Future. Puisque nombre d’entre eux n’ont pas encore le droit de vote, ils s’expriment différemment, en choisissant de remettre en question le système dans lequel ils évoluent sur les questions sociétales et environnementales, en mettant les responsables politiques face à leurs responsabilités.
De la citoyenneté à la planetizenship
À l’école, nous avons tous appris qu’il fallait être de bons citoyens. Mais quand donnera-t-on à ces jeunes les moyens d’être des citoyens à part entière, eux qui sont les premiers concernés par les conséquences de l’exploitation de notre planète ?
Il suffit pourtant de réfléchir aux bases historiques de la « citoyenneté » et de questionner ses limites géographiques pour s’apercevoir que le concept n’a en réalité jamais été très inclusif. Certes, la citoyenneté athénienne a constitué un progrès face à la domination des tyrans. Elle a permis l’accès aux arts, à l’éducation, à la science, au débat ouvert et surtout, à la démocratie.
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Pourtant, cette cité était dotée de murs qui séparaient les autochtones des étrangers, et, parmi ceux qui vivaient au sein de ces murs, seuls les individus capables de défendre la cité des menaces extérieures étaient éligibles au statut de citoyen, excluant d’office les esclaves, les femmes et les enfants. Par-delà ces murs, il y avait la Nature, dont on extrayait la subsistance destinée à nourrir la population citoyenne et à la faire prospérer.
À l’époque des Lumières, la notion de citoyenneté est repensée à l’échelle de la nation, mais elle n’en reste pas moins exclusive des droits des femmes, des migrants, des esclaves et des jeunes.
Alors que les femmes sont les dernières à être devenues citoyennes, les plus jeunes ne le sont toujours pas. À l’heure du numérique, nous pouvons réinventer l’héritage des Lumières, afin de le rendre plus inclusif, plus écologique et de le faire à l’échelle de la planète.
Un citoyen est donc celui qui jouit du privilège de résider à l’intérieur des murs de la cité. Face aux interdépendances de notre monde contemporain, cette notion n’est-elle pas aujourd’hui inadaptée pour résoudre les crises du XXIe siècle ?
Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime qu’il y a des millions de personnes apatrides dans le monde, dont près d’un tiers sont des enfants. Ce phénomène « est souvent le résultat de politiques visant à exclure les personnes considérées comme étrangères, nonobstant leurs liens profonds avec un pays donné », soit des personnes nées au sein du mauvais groupe ethnique dans le mauvais pays. C’est une conséquence de la notion de citoyenneté : par nature, celle-ci ne vaut que pour certains et non pour tous.
Il est grand temps de dépasser le champ limité de la citoyenneté pour faire émerger une notion plus universelle. Cette notion, c’est la « planetizenship » (terme que l’on préfèrera ici à celui de planetoyenneté qui, s’il rime avec citoyenneté n’est pas très heureux).
Avec la planetizenship, l’idée d’un groupe ethnique qui ne serait pas à sa place ne fait plus aucun sens. En adoptant le concept de planetizen, on abandonne l’idée selon laquelle l’individu mériterait des droits uniquement en échange de son engagement à défendre sa patrie. En fait, on va jusqu’à oublier l’idée même de défense et de guerre pour s’orienter vers une entreprise pacifique basée sur des efforts collectifs dans le but de nourrir la population, d’améliorer l’éducation et la qualité de vie, d’assainir nos écosystèmes, de promouvoir la justice et de soutenir la biodiversité.
Écrire la Déclaration des droits des planetizens
La planetizenship permettrait d’imaginer un sentiment de fraternité et d’appartenance qui s’appliquerait cette fois à toute la population terrestre, végétaux et animaux compris. Devenir planetizen ou « planétiser le mouvement », pour reprendre les mots de Martin Luther King Jr., ce serait mettre en commun notre conception des choses, nos actions, nos droits, nos institutions, nos objectifs et notre capacité à nous mettre d’accord sur la façon dont nous devons vivre ensemble sur cette Terre.
La perspective de fonder une telle communauté mondiale peut donner le vertige, c’est pourquoi l’utilisation d’outils concrets est indispensable pour rester ancré.
Pourquoi alors ne pas s’inspirer d’une méthode éducative ? Kiran Bir Sethi, designer, éducatrice, réformatrice éducative, et entrepreneure dans le domaine social a imaginé l’approche « Feel-Imagine-Do-Share » (Ressentir-Imaginer-Faire-Partager, inclus dans la démarche Bâtisseurs de Possibles, déclinaison française de design for change) pour aider les écoliers à développer des projets qui aident leurs communautés.
Adoptons donc ce cheminement pour mettre en place la planetizenship. D’abord, nous ressentons l’existence d’un problème. Nous éprouvons un malaise vis-à-vis de la définition de la citoyenneté telle qu’elle apparaît dans l’histoire de la démocratie, quelque chose cloche, nous le ressentons dans notre cœur, et il est difficile pour nous d’y mettre des mots. L’art, la poésie peuvent nous aider à coucher ces émotions sur papier.
Puis, nous imaginons une solution : nous souhaitons élargir la notion de citoyenneté pour la rendre plus inclusive, l’ouvrir comme un chapiteau pour y abriter tout le monde, à commencer par les exclus, les migrants, les femmes et les enfants.
Ensuite, il nous reste à faire quelque chose pour résoudre le problème : rédiger la Déclaration des droits des planetizens ensemble, en nous servant des technologies numériques à notre disposition.
Enfin, nous partageons cette déclaration et nous nous mettons en quête de soutiens, afin d’encourager les dirigeants du monde à ratifier la Déclaration des droits des planetizens.
Inclure les jeunes générations
Si le rôle des adultes est crucial dans l’intégration des nouvelles générations dans le processus démocratique, et dans la transmission des valeurs de l’engagement, les enfants et les jeunes doivent être au cœur de la rédaction de la Déclaration des droits des planetizens, comme ils doivent pouvoir donner leur avis et faire entendre leur voix.
Chaque planetizen, s’il apprend de manière holistique à prendre soin de lui, des autres et de la planète doit aussi penser son passé, son présent et son futur et ceux de notre humanité.
Chez les Iroquois, peuple vivant traditionnellement en Amérique du Nord, la prise en compte des générations futures dans toutes les décisions est ancrée dans des fondements ancestraux. Le principe des « Sept Générations » enjoint aux chefs iroquois d’agir au nom des membres vivants de la nation, mais aussi des sept générations à venir ! L’idée derrière ce principe, c’est que les peuples iroquois ne font donc qu’emprunter la terre de leur progéniture, qui vivra sept générations plus tard.
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Aujourd’hui, les Gallois adoptent une tendance similaire à réfléchir et à agir au nom des générations futures. Sophie Howe est l’actuelle Commissaire pour les Générations Futures du Pays de Galles, une fonction créée pour veiller à la protection des générations futures. Quand des citoyens à travers le monde comme les jeunes de mouvements écologistes font pression sur les décisionnaires depuis l’extérieur, Sophie Howe exerce son influence à l’intérieur du gouvernement, suit de près les actions quotidiennes des organismes publics gallois et tire la sonnette d’alarme lorsque les décisions ne se conforment pas aux objectifs de développement durable mis en place pour le Pays de Galles.
Et si nous agissions en bons ancêtres pour les générations à venir, en s’inspirant des Iroquois et des Gallois ? Et si nous devenions des planetizens qui prônent les droits des générations à naître, des enfants et des jeunes, eux qui sont les derniers à obtenir le droit de vote, et les premiers à souffrir des conséquences d’une planète en voie de détérioration ? Et si nous « planétisions le mouvement » ?
Planétiser, c’est repenser nos actions individuelles et collectives en se sentant observé par les yeux inquiets de notre planète épuisée.
Et vous, comment vous présenteriez-vous ou vous décririez-vous aux yeux de la planète ? Pourriez-vous l’exprimer sous la forme d’un poème, d’une vidéo humoristique, ou d’un court texte ? Vous trouverez ma propre tentative ci-dessous, mais je serai ravi de découvrir la vôtre.
Si vous rédigez un poème ou un texte en prose, partagez-le sur le réseau social de votre choix avec le hashtag #planetizen :
Vu depuis les yeux de la planète,
Si nous étions un peu honnêtes,
Nous admettrions que notre bilan n’est pas très net.Si nous étions réveillés par nos descendants
Qui nous demandent d’expliquer notre bilan,
Il faudrait admettre que nous avons été trop lents,
Dans notre prise de conscience,
Malgré les résultats de la science.En tant que citoyen,
Nos résultats sont bien moyens,
Pendant que l’on exploite les gaz de schiste,
On élit toujours plus de fascistes.Alors que certains prennent les armes,
Toujours plus nombreuses sont les larmes.
Sommes nous condamnés à l’agression, l’exclusion, la compétition, l’hyperconsommation, la destruction, la domination ?Si le citoyen est l’homme en arme qui défend les murs de la cité,
Faut-il s’étonner que les migrants, les esclaves, les femmes et les enfants n’aient pas facilement accès à la citoyenneté ?
Sommes nous capables de comprendre que ces murs séparent l’homme de la nature,
Qui pour nourrir nos Cités se transforme aujourd’hui en sépulture ?
Puissent nos enfants apprendre à coopérer pour relever les défis de notre temps plus que d’être en compétition sur les savoir d’hier.
Puisse la poésie nous aider à sortir de notre anesthésie.
Puissions nous écrire ensemble la suite en un cadavre exquis.Et si nous écoutions enfin Martin Luther King qui nous invitait à planétiser le mouvement,
Serions-nous capables au vue de notre interdépendance et de nos vulnérabilités de repenser nos actions, notre capacité à vivre ensemble sur le frêle esquif interstellaire qu’est notre maison commune ?
Serions-nous capables de soigner simultanément la santé planétaire et l’éco-anxiété ?Et si nous devenions des planetizens ?
Serions nous inspirés par les maîtres zens,
Capables de prendre soin de nous, des autres et de la planète ?
Serions-nous capables d’éviter la tragédie des communs ?
En inventant tous ensemble un autre chemin,
Où on tiendrait en main notre destin !
François Taddei ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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