Les outils numériques rythment aujourd’hui notre quotidien. Les smartphones, les ordinateurs et les réseaux sociaux nous permettent de communiquer instantanément avec des personnes du monde entier, de partager des informations et des expériences, de travailler à distance, d’organiser notre vie personnelle et professionnelle, et même de faire des rencontres amoureuses.
Toutefois, cette omniprésence peut avoir des effets négatifs sur nos relations sociales. En effet, lorsque nous les utilisons en présence d’autrui, les outils numériques peuvent interférer avec nos interactions en face à face. Pour décrire ce phénomène d’interférence technologique, Brandon McDaniel a proposé en 2014 le terme de technoférence. Décrite au sein de la relation de couple puis au sein de la relation parent-enfant et coparentale, la technoférence correspond aux « moments où les appareils technologiques s’immiscent, interrompent et/ou entravent la communication et les interactions en couple ou en famille dans la vie quotidienne ».
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La technoférence englobe, mais ne se limite pas, aux situations de phubbing (contraction de « phone snubbing », soit de téléphone et de snober) qui consiste à accorder plus d’attention à son téléphone qu’à la personne avec qui on est.
Plusieurs facteurs de technoférence commencent à être identifiés dans la littérature scientifique. On peut notamment citer le fait d’avoir un usage très important, voire problématique, de son smartphone, d’avoir des difficultés à délimiter des frontières entre ses usages numériques et d’autres activités. L’aspect disruptif des notifications ainsi que le design de certaines applications et jeux qui peuvent capter l’attention y participeraient aussi.
Cependant, tout le monde n’a pas la même perception de ces interférences. Au sein du couple, celle-ci peut varier selon des facteurs individuels, comme le fait d’avoir un attachement insécure (c’est-à-dire de type anxieux) envers son ou sa partenaire. Le fait d’avoir des enfants ayant des difficultés de comportements, de percevoir son enfant comme difficile ou de ressentir du stress parental pourraient aussi conduire à des comportements de technoférence parentale.
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La technoférence peut nuire à la qualité des échanges directs. En réduisant l’attention portée à l’autre, elle conduit au paradoxe de la présence-absence où la personne est physiquement présente mais partiellement absente psychiquement. Dans la relation de couple, elle va de pair avec plus de conflits et à une moindre satisfaction dans la relation. Lorsqu’il y a des enfants dans le couple, elle est aussi associée à la perception d’une moins bonne relation coparentale.
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Entre parents et enfants, la technoférence est liée à une moindre disponibilité du parent et conduit à des réponses plus rudes lorsque l’enfant se comporte mal. La technoférence se conjugue aussi avec un attachement ou une relation parent-enfant de moindre qualité chez les jeunes enfants, les enfants d’âge scolaire ou encore les adolescents. On observe également plus d’expressions d’affects négatifs chez les tout-petits au moment de l’interruption des échanges et plus de problèmes de comportements chez les enfants et adolescents. Cependant, des études longitudinales montrent que les liens entre technoférence et difficultés comportementales chez l’enfant et l’adolescent seraient bien souvent à double sens, l’une provoquant les autres, et inversement.
Avoir conscience de ses usages numériques et savoir poser son smartphone quand on est avec quelqu’un peut limiter ces désagréments. Certains adolescents auraient d’ailleurs commencé à s’engager dans cette voie et à abandonner leurs smartphones…
Cet article s’intègre dans la série « L’envers des mots », consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?
De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.
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Marie Danet a reçu des financements de l’I-SITE ULNE.
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