Un article de la revue Adjectif, de Judith Gourmelin, Sociologue indépendante, une publication sous licence Creative Commons by nc sa
Numéro thématique numéro 2 de la revue Adjectif
Introduction
Dans un ouvrage entièrement dédié aux enquêtes sur et par le numérique en sciences sociales, la contribution de Latzko-Toth & Proulx (2013) apportait tout un ensemble de questionnements autour de l’éthique des enquêtes en ligne. À partir des propriétés techniques des dispositifs numériques, ces auteurs relevaient plusieurs pistes d’interrogation : comment penser le consentement [1] sur des terrains où le chercheur peut rester invisible, par exemple lors de la consultation de forums sans s’y inscrire ? Dans quelle mesure des échanges librement accessibles par n’importe quel internaute peuvent-ils être qualifiés de publics et d’intimes ? En raison de l’anonymat (relatif) permis en ligne, comment s’assurer de l’identité de ses enquêtés ? Ou encore, comment garantir la confidentialité des propos tenus par les enquêtés lorsque ces mêmes propos restent accessibles dans la durée au tout-venant, et peuvent facilement être retrouvés à partir de moteurs de recherche ?
Si toutes ces questions soulèvent de véritables enjeux, sont-elles vraiment si inédites et propres au numérique ? Le chercheur épiant dans l’ombre des forums de discussion est probablement aussi invisible que celui noyé dans la foule réalisant des observations dans des lieux publics. Ces discussions tenues dans des lieux publics se tiennent certes dans des lieux à la vue de tous, et pourtant ces échanges sont-ils réellement publics ? Sans affirmer que le numérique ne viendrait que reproduire le hors-ligne, il convient plutôt d’exposer que celui-ci n’entre pas en rupture directe avec le hors-ligne, il prolonge l’existant tout en y apportant quelques spécificités (Martin & Dagiral (dir.), 2016).
Ainsi, l’élucidation des enjeux en terrain numérique gagne à s’inspirer des réflexions qui précèdent ces terrains, qu’il s’agisse de réfléchir aux modalités de consentement des populations et de transparence du chercheur (Broqua, 2009), d’envisager les effets politiques de nos recherches et dispositifs d’enquête tant au niveau du terrain que par-delà (Lepoutre, 2001) ou de saisir les articulations entre le droit et nos pratiques. Sur ce dernier aspect, le numérique a attiré le feu des projecteurs avec l’adoption du Règlement général sur la protection des données (RGPD) en 2016, prolongeant en réalité une tradition française de législations protectrices des données personnelles (avec notamment la loi Informatique et Libertés de 1978). Ce cadre juridique apporte un ensemble de garanties aux enquêtés : toute opération portant sur des données personnelles doit reposer sur une base légale, le consentement attendu doit respecter plusieurs propriétés fortes (être spécifique, univoque, révocable, éclairé et libre), toute la chaîne entourant ces données de la constitution à la diffusion ouvre des droits aux enquêtés et apporte des obligations aux responsables de traitements.
Cependant, en ligne comme hors-ligne, ce cadre juridique pose plusieurs difficultés. À l’instar d’autres dispositifs d’encadrement de la recherche, tels que les comités d’éthique étudiés par Bosa (2008), le formalisme exigé rompt avec les usages des groupes sociaux étudiés, celui-ci peut nuire à la recherche (par la relation plus bureaucratique instaurée) tout en n’apportant pas de garanties opérationnelles pour les enquêtés De plus, ces comités tout comme le droit de la protection des données postulent des situations où la chaîne de données est déjà intégralement prévue dès le début, or ce n’est bien souvent pas le cas des chercheurs en sciences sociales ayant recours à des démarches inductives. Cette inadéquation fait courir le risque d’éloigner les chercheurs de ces dispositifs d’encadrement et de limiter la protection effective des enquêtés à la bonne volonté du chercheur.
Ainsi, dans quelle mesure peut-on assurer une juste protection des enquêtés dans le respect du droit et de la pratique de l’enquête de terrain ? Plus que réfléchir à l’éthique à côté des enquêtes, mes propositions ont pour objet d’intégrer pleinement et directement l’éthique à l’enquête de terrain. Pour cela je présenterai mes terrains d’enquête et quelques fondements de l’éthique du care, à partir desquels je développerai ensuite des réflexions pour construire un consentement relationnel sur les terrains, réflexions que j’étendrai à la prise en compte des enjeux reliés au consentement, à savoir les enjeux de confidentialité.
Faire émerger des enjeux éthiques à partir de cas sensibles
L’analyse d’enquêtes en terrain numérique a permis de renouveler nos approches de l’éthique des enquêtes par-delà le numérique. Dans cette même perspective, l’enquête qui alimentera les réflexions de cet article a été sélectionnée pour les enjeux multiples qu’elle présente, par-delà son objet singulier.
Cet objet singulier était l’identité (au sens large) dans les communautés queer [2] en ligne, objet que j’ai approché en menant l’ethnographie virtuelle de deux espaces hébergés sur Discord [3], de vérifier l’adéquation des terrains avec mon projet et de créer des relations sociales plus ordinaires. Il est tout à fait possible de critiquer cette démarche dans la mesure où il serait possible d’imaginer que les enquêtés acceptent d’apporter leur contribution comme contredon de mes interactions passées ou en vertu du lien noué avec moi. Cependant, à la manière des joueurs étudiés par Berry (2012) ou des personnes âgées accompagnées par le personnel soignant étudiées par Lechevalier-Hurard, Vidal-Naquet, Le Goff, Béliard, & Eyraud (2017), passer directement à découvert aurait créé une suspicion davantage liée à l’incongruité d’une demande venant d’une inconnue qu’en raison de l’objet de la recherche. Thizy, Gauglin, & Vincent (2021) ajoutent même que ce partage (certes sélectif) de soi auprès des enquêtés est fondamental pour accéder à certaines informations déterminantes sur le terrain, il me semble alors bon d’en tenir compte sans dépasser la frontière entre influence et manipulation. Malgré cette entrée incognito, j’ai opéré un dévoilement progressif sur les terrains et ai répondu honnêtement aux demandes de mes enquêtés. Cette phase s’est achevée par un passage à découvert explicite à partir d’une annonce visible de tous, suivie d’une veille pour répondre aux éventuelles questions et tenir compte des remarques.
Ces annonces se sont conclues par un accord global, sans objection affichée. Cependant, je défends la nécessité d’envisager des alternatives en cas d’échec sur le terrain, alternatives à envisager en amont de l’entrée sur le terrain ou relativement tôt. En effet, ne pas prévoir d’alternatives aurait pu faciliter des ruptures avec les attendus déontologiques, face à quelques refus et des délais d’enquête serrés, il aurait été facile de ne pas tenir compte desdits refus. Ayant prévu des alternatives ex ante, si des refus s’étaient manifestés, j’aurais supprimé le matériau que j’avais commencé à constituer et aurais cessé de récolter les échanges en ligne. Toutefois j’aurais compensé en réalisant davantage d’entretiens avec des membres volontaires et en compensant l’absence de conversations récoltées par d’autres moyens qui exigent le consentement de moins de membres (récolte ciblée de conversations avec consentement des parties) ou n’exigent pas de consentement (journal de terrain sans données personnelles, à la manière des post-it ethnographiques de Berry, 2012).
Même si l’accord a été obtenu, s’en contenter ma ramènerait vers les problèmes décrits avec le consentement libéral. Donc une fois pleinement passée à découvert, j’ai incarné de manière plus ostensible mon rôle de sociologue afin d’être identifiée comme telle. Du point de vue éthique, cela constituait un rappel récurrent de ma position afin que les membres n’ayant pas lu mon annonce, ou encore l’ayant oubliée, n’omettent pas mon rôle. Du point de vue sociologique, être ostensiblement assignée au rôle de membre qui à la fois comprend les personnes queer (car étant concernée et car ayant aidé des membres) et pose des questions parfois naïves m’a aidé à répondre directement à certaines de mes interrogations (telles que la possibilité pour certains membres de se dire à la fois bisexuels et asexuels). Ce rôle ostensiblement affiché avait également un autre but, à la manière de Barrère (2017) présentant des analyses de sociologie de l’éducation à des enseignants puis étudiant leurs retours [4], jouer explicitement mon rôle permettait de confronter des hypothèses. Là encore l’intérêt est double : clarifier ce que j’étudie en posant des questions concrètes aux membres des espaces tout en les incluant sérieusement au processus d’enquête ; et mettre à l’épreuve mes catégorisations intermédiaires à la manière de l’induction analytique (Becker, 2002), le tout au cours même de l’enquête. De la même manière que Marchive (2012) ne délègue pas non plus le rôle interprétatif du sociologue à ses enquêtés, je maintenais une frontière entre mes analyses et ce que m’apportaient les échanges avec les membres des espaces (autant des clarifications factuelles que des discours à analyser). Tout en donnant un rôle plus important aux enquêtés que dans l’étude de Marchive (2012), je partage avec cet auteur l’usage de ces discussions comme moyen de vérification d’informations.
Enfin, j’ai poursuivi ma présence sur le terrain une année après la fin de mon enquête. Cette présence longue était bien sûr favorisée par la médiation numérique de ses dispositifs (il est plus simple de consulter tous les jours un espace en ligne que se rendre spatialement dans un local et s’y consacrer pleinement) et s’inscrivait dans ma démarche d’ensemble. Par-delà des restitutions sous divers formats (synthèses accessibles, discussions collectives sur les salons vocaux des espaces...), j’ai voulu instaurer cette optique communautaire et sur la durée proposée par Soulier & Cambon-Thomsen (2016) en rendant à nouveau palpable ce pourquoi le consentement m’a été accordé, qu’il s’agisse de proposer des mesures pour enrayer des dynamiques de violences sexuelles identifiées sur un des espaces ou d’aider à penser des outils au service desdites communautés.
À l’issue de cette présentation, il convient de rappeler qu’il ne s’agit que d’une application possible de l’éthique du care en terrain avec un consentement pensé comme relationnel. Cet investissement sur le terrain m’a été rendu possible par son caractère numérique, ma propre aisance avec la fréquentation d’espaces en ligne, ma proximité avec la cause portée par mes enquêtés... Ainsi, ces développements n’invitent pas systématiquement à chercher une visée opérationnelle aux savoirs produits ni à impliquer autant les enquêtés. L’éthique du care étant contextuelle, le respect de ses principes permet des applications variées et adaptées aux enjeux locaux, tant via la recherche du consentement que dans la manière de garantir la confidentialité.
Articuler confidentialité et scientificité
La confidentialité s’impose pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les questionnements précédents sur le consentement sont intimement liés à la confidentialité, plus les informations sont confidentielles, plus on peut estimer que le consentement doit être fort. Une autre raison est particulièrement déterminante sur mes terrains d’enquête : s’agissant d’espaces en ligne, il y a de nombreux lurkers (membres de l’espace qui ne participent peu ou pas) donc des membres qui ont pu participer par le passé mais dont je n’ai pas pu recueillir le consentement puisque silencieux.
Sans bien sûr substituer le consentement à la garantie de confidentialité, cette seconde me semble peut-être encore plus importante tant elle conditionne davantage les conséquences de l’enquête. Par ailleurs, cette question peut interroger sur sa nécessité. Roux (2010) a par exemple choisi dans son enquête sur la prostitution en Thaïlande de n’assurer la confidentialité et le consentement que des prostituées mais pas du syndicat promouvant la prostitution. Tant pour des raisons d’intelligibilité (anonymiser le syndicat aurait complexifié la compréhension du contexte) que politiques (ne pas protéger les dominants), il est possible de s’interroger sur ce qui exige un consentement et de la confidentialité, par-delà le droit. Ce raisonnement est par ailleurs compatible avec l’éthique du care dans la mesure où celle-ci tient bien compte des articulations entre agency et vulnérabilités, donc n’applique pas les mêmes réponses selon le pouvoir des parties en jeu sans pour autant fermer toute compréhension ou raisonnement éthique auprès des dominants (Paperman & Laugier (dir. ), 2011).
La confidentialité soulève enfin une dernière question, celle qui sera au cœur de cette partie, son articulation avec la scientificité. Davantage protéger ses enquêtés peut rendre moins transparentes ses données, soit porter atteinte à la réinterprétation de nos analyses. Pourtant, avec les exemples tirés de ma pratique sur les terrains mentionnés, je défendrai plutôt l’idée que confidentialité et scientificité ne sont pas nécessairement antagonistes et peuvent même devenir complémentaires.
Ma stratégie en matière de confidentialité repose sur cette expression de Schwartz (cité par Bosa, 2008 : 206) au sujet des enquêtés, « dévoiler leur intimité sans révéler leur identité ». Pour cela, j’ai procédé à des traitements analogues à ceux suggérés par Beaud & Weber (2007), à savoir aller plus loin que l’anonymisation simple en permutant des propriétés sociales entre enquêtés, en créant du bruit sur des variables ne rentrant pas dans l’analyse (ou sur des verbatims). Pour aller plus loin dans la mesure où certains enquêtés sont des personnalités aisément identifiables dans le milieu queer français, j’ai été amenée à fusionner ou dupliquer certains enquêtés sur certains verbatims. Tout le défi était alors que ce qui est conservé reste sociologiquement juste, sans compromettre des propos confidentiels d’enquêtés. Le fait que je croise des extraits de conversation en ligne, des verbatims d’entretiens ou encore d’autres sources a pu faciliter ces croisements, même si j’ai dû veiller à ce que ces permutations ne nuisent pas aux ré-analyses que pourraient mener les lecteurs (un propos tenu en entretien avec une sociologue et un propos tenu lors d’un échange sur un salon privé entre initiés ne rentrent pas dans les mêmes activités, il ne s’agit alors peut-être pas des mêmes logiques sociales à l’œuvre).
Les propos sur les espaces en ligne étudiés étant recherchables, j’ai aussi dû adopter d’autres stratagèmes. Lorsque certains sujets étaient des plus confidentiels (tels que les échanges sexuels sur des salons réservés), j’ai préféré limiter le recours à des matériaux recherchables, qu’il s’agisse de privilégier les entretiens ou des formes plus narratives (exposer la dynamique à partir d’un cas mais sans reprendre les échanges précis). Cette méthode a été étendue par le recours à des schématisations (Vorms, 2009), l’idée étant d’utiliser d’autres formulations d’un même énoncé pour en produire des interprétations nouvelles. Par exemple, il m’aurait été très difficile de reprendre de manière brute les selfies des enquêtés dans mon mémoire lorsque je souhaitais analyser les performances sexuées, ainsi j’ai privilégié une mise en série statistique pour mettre l’accent sur certaines propriétés saillantes (moyens de performance sexuée, réactions sous les photos, nombre de photos et leur variation, étiquettes utilisées par les membres postant leurs photos...). Autrement dit, j’ai évité de reprendre des selfies pour des raisons de confidentialité, et analytiquement ça m’a permis de réduire la densité du matériau pour plus facilement cerner certaines propriétés que je souhaitais analyser. Un dernier moyen consiste à agir sur la diffusion des résultats, tant pour des raisons de confidentialité de certaines données que d’accessibilité, je diffuse assez largement la synthèse que j’ai rédigée de mon mémoire, tandis que le mémoire brut est diffusé sélectivement à destination du monde de la recherche ou de personnes intéressées par mon mémoire pour qui je juge que l’accès au mémoire ne présente pas de risque (refus de diffusion auprès de publics promptes à organiser des actions de harcèlement contre les personnes queer).
En lien avec mes développements précédents sur le consentement relationnel, j’ai voulu faire de la confidentialité un objet de discussion. En même temps que j’exposais certaines analyses pour m’assurer de la véracité des faits sur lesquels elles reposent, et obtenir des retours dessus, j’ai pu animer quelques échanges collectifs sur ce qui était considéré comme confidentiel ou non. Ces échanges collectifs étaient bien sûr d’ordre général (plutôt sur des types de matériaux que des matériaux précis), tandis que je contactais individuellement certains membres pour m’assurer de leur accord dans mon traitement de certains aspects sensibles. Je n’ai pas eu l’occasion d’exploiter ces discussions dans mes analyses, il était néanmoins instructif de repérer différentes constructions de ce qui relève du confidentiel, et de la sorte d’adapter mes pratiques de protection des enquêtés.
Dans l’ensemble, j’ai fait en sorte de proportionner les finalités probatoires et de protection des données, en offrant une priorité à la protection des données. De manière conséquentialiste, il me semble défendable d’affirmer que les conséquences en cas de confidentialité mal assurée sont plus fortes que les apports à la science et à la société de mes analyses en usant de matériaux moins protégés. Néanmoins, comme affirmé au début de cette partie, plus qu’opposition il y a eu une complémentarité entre ces dimensions. J’ai bien sûr dû réfléchir aux conséquences éthiques et scientifiques lorsque je constituais les matériaux et les analysais, mais bien souvent ces réflexions éthiques ont nourri mon approche scientifique. La schématisation en est l’exemple le plus marquant, en attirant mon regard sur des saillances analytiques (par exemple autour de la trajectoire des victimes de violences sexuelles sur ces espaces), mon analyse a pu se concentrer sur ce qui importait à mon analyse et éviter d’affaiblir la réflexion par un ensemble de traits accessoires.
Conclusion
Au terme de cette analyse illustrée, le lecteur pourrait très bien avoir l’impression que nombre des pratiques exposées ne sont pas si inédites (voire remontent aux textes fondateurs sur la relation d’enquête en ethnographie), ou que les propositions formulées invitent à nouveau à s’en remettre à soi-même. Ces remarques fondées exigent toutefois quelques nuances. Les propositions prises individuellement sont certes toutes déjà existantes à leur manière, mais leur formulation conjointe au sein d’un cadre particulier leur offre une direction commune. Là où la garantie de confidentialité peut parfois se limiter à l’anonymisation et l’assurance du consentement à une validation spontanée, ces réflexions invitent à se reposer la question même sur des cas où la confidentialité comme le consentement sembleraient bien plus facilement acquis. Cela va également dans le sens, certes quasi-normatif, de conseils formant une boîte à outils pour expliciter des pratiques qui ne le sont pas si souvent (comme plus largement formulé autour de l’écriture chez les doctorants par Kapp, 2015).
Quant à l’invitation à s’en remettre à soi-même, mon propos est plutôt une invitation à l’autorégulation collective. Stratégiquement, renforcer notre capacité en tant que chercheurs en sciences sociales à nous autoréguler peut constituer un moyen de limiter l’emprise de régulations institutionnelles parfois peu adaptées à nos pratiques et besoins. Plus concrètement, cela me paraît inévitable avec les conseils formulés, l’éthique ne saurait se limiter à une suite de principes universels à appliquer, et en même temps, elle ne saurait être balayée sur ce fondement. Il faut donc la penser, avec plus ou moins de subtilités selon les terrains, l’expliciter et la discuter dans nos espaces d’échange pour éviter qu’elle ne reste qu’au stade de bonnes volontés. L’ethnographie en particulier, pour éviter de nuire aux populations enquêtées [5], exige une écoute avertie de nos pairs scientifiques et une prise au sérieux des intérêts de nos enquêtés.
L’éthique du care, lorsqu’elle n’est pas pensée comme de bons sentiments sans incarnation, offre un cadre propice à la réflexion éthique en sciences sociales, un cadre aussi cohérent que sensible à la diversité des situations d’enquête. La dimension numérique des terrains a certainement influencé mes raisonnements et facilité l’émergence de ces pratiques (à la manière de celles de Berry, 2012, incitées par les temporalités et pratiques des jeux en ligne), toutefois ces propositions dépassent largement le cadre numérique pour s’inscrire avant tout dans une transposition méthodologique de l’éthique du care. Les autrices féministes à l’origine de l’éthique du care promeuvent cette autre voix à l’échelle de la société, à nous de l’incarner sans concession dans nos enquêtes aussi bien dans les dimensions méthodologiques ici explorées qu’épistémologiques.
Références bibliographiques
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Barrère, A. (2017). Au cœur des malaises enseignants. Armand Colin.
Beaud, S., & Weber, F. (2017). Guide de l’enquête de terrain : Produire et analyser des données ethnographiques. La Découverte.
Becker, H. (2002). Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales ? La Découverte.
Berry, V. (2012). Ethnographie sur Internet : Rendre compte du « virtuel ». Les Sciences de l’éducation—Pour l’Ère nouvelle, n°45(4), 3558.
Bosa, B. (2008). À l’épreuve des comités d’éthique : Des codes aux pratiques. Dans Les politiques de l’enquête (pp. 205225). La Découverte.
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Humphreys, L. (2007). Le commerce des pissotières : Pratiques homosexuelles anonymes dans l’Amérique des années 1960. La Découverte.
Jouan, M. (2017). L’acceptabilité morale de la gestation pour autrui. Les enseignements de la gestation pour soi au service de plus de justice. Travail, genre et sociétés, n°38(2), 3552.
Kapp, S. (2015). Un apprentissage sans normes explicites ? La socialisation à l’écriture des doctorants. Socio-logos, n°10. Repéré à http://journals.openedition.org/socio-logos/3008
Lallet, M., & Delias, L. (2018). La remédiation des savoirs en santé dans les communautés en ligne sur les transidentités. Revue française des sciences de l’information et de la communication, n°15. Répéré à http://journals.openedition.org/rfsic/4813
Latzko-Toth, G., & Proulx, S. (2013). Enjeux éthiques de la recherche sur le Web. Dans Manuel d’analyse du web en Sciences Humaines et Sociales (pp. 3252). Armand Colin.
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Lepoutre, D. (2001). La photo volée : Les pièges de l’ethnographie en cité de banlieue. Ethnologie française, n°31(1), 89101.
Marchive, A. (2012). Contrôle et autocensure dans l’enquête ethnographique. Pour une éthique minimaliste. Les Sciences de l’éducation—Pour l’Ère nouvelle, n°45(4), 7794.
Martin, O., & Dagiral, É. (dir. ). (2016). L’ordinaire d’internet : Le web dans nos pratiques et relations sociales. Armand Colin.
Paperman, P., & Laugier, S. (dir. ). (2011). Le souci des autres : Éthique et politique du care. Éditions de l’EHESS.
Parini, L. (2006). Le système de genre. Introduction aux concepts et théories. Seismo.
Roux, S. (2010). La transparence du voile. Critique de l’anonymisation comme impératif déontologique. Dans Enquêter de quel droit ? Menaces sur l’enquête en sciences sociales (pp. 139-153). Éditions Du Croquant.
Soulier, A., & Cambon-Thomsen, A. (2016). Promesses de biobanques : Se soucier de l’avenir dans l’éthique de la recherche biomédicale. Revue française d’éthique appliquée, n°2(2), 2947.
Thizy, L., Gauglin, M., & Vincent, J. (2021). « Se raconter » sur le terrain : Le récit de soi comme ressource méthodologique. Genèses, n°123(2), 115135.
Vorms, M. (2009). Théories, modes d’emploi : Une perspective cognitive sur l’activité théorique dans les sciences empiriques. Thèse de doctorat en philosophie dirigée par Jean Gayon et Anouk Barberousse, Université Panthéon-Sorbonne.
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