Chaque année dans le monde, des phénomènes naturels et technologiques majeurs (inondations, feux de forêt, cyclones, accident technologique…) provoquent des catastrophes qui causent des dommages considérables à la vie humaine et aux biens. Il existe un large consensus sur l’importance de sensibiliser et de préparer le public par une communication efficace aux risques.
Il s’agit d’un enjeu mondial, porté par les Nations unies notamment au travers du Cadre de Sendai (2015-2030) pour la réduction des risques de catastrophe. L’objectif est d’atteindre le plus grand nombre possible de personnes et d’informer et d’aider les individus à prendre une décision en connaissance de cause (en leur expliquant comment comprendre les alertes, trouver une zone de refuge ou préparer un kit de secours…)
Or, il est reconnu qu’un seul outil n’est pas suffisant pour atteindre tous les publics ; il s’agit alors de construire une stratégie de communication sur la prévention des risques plus large intégrant plusieurs dispositifs de sensibilisation adaptés au public cible. En France, « l’information préventive » est l’un des piliers de la prévention des risques : elle permet à chaque citoyen et citoyenne d’être informé des risques auxquels ils sont exposés (par l’intermédiaire du DICRIM (Le document d’information communal sur les risques majeurs) ou de l’IAL (L’information des acquéreurs et des locataires) par exemple).
Depuis octobre 1990, la loi impose aux collectivités locales de mettre en place différentes mesures de communication (documents municipaux, affiches, réunions, repères de crues, etc.) pour permettre aux citoyens et citoyennes d’être conscients des risques majeurs auxquels ils peuvent être exposés. L’information préventive contient ainsi les moyens d’action (bons réflexes, identification de signes précurseurs…) que chaque citoyen peut mettre en place avant ou pendant un événement, devenant ainsi acteur à part entière. Les autorités ont une obligation de moyens mais pas d’efficacité.
Des jeux pour sensibiliser les plus jeunes aux risques
Le format de communication de l’information préventive et le mode de diffusion ne sont pas imposés. Il existe une variété d’outils proposés au grand public : documentation papier, sites Internet, pièces de théâtre, expositions, jeux. Ces derniers font une percée depuis 2020 : 80 % des 93 jeux sur les risques majeurs disponibles en France ont été développés ces trois dernières années (source : AFPCNT, 2023).
Les acteurs de la gestion des risques sont très demandeurs d’outils innovants en particulier vers la jeunesse. En effet, les mesures de communication actuellement développées sont très orientées vers un public adulte, y compris les jeux qui paraissent pourtant être un moyen naturel pour éduquer les jeunes populations.
Si les risques naturels et technologiques sont intégrés dans les programmes scolaires tout au long du cursus, il manque des outils pour la mise en pratique : sortir des connaissances, assurer les réflexes et les bons comportements, comprendre des situations dans différents contextes, laisser libre la discussion. Le lien entre la prévention avec l’enseignement thématique peut-être une opportunité.
Il a été montré que les jeux sérieux améliorent l’apprentissage : on apprend plus, dans les situations où ils sont utilisés que dans celles où ils ne le sont pas. Dans un cadre ludique, on peut rejouer, se tromper ou perdre sans aucune conséquence, essayer différentes options, s’améliorer. Les enfants découvrent les risques sur leur territoire, les comportements à adopter, les différents acteurs, les décisionnaires, les responsabilités des adultes, etc.
Le jeu offre l’opportunité de tester des procédures (qualité des messages, type d’information), de faire jouer/dialoguer des personnes de fonctions/niveaux différents : par exemple enfants/parents qui jouent leur rôle ou le rôle de quelqu’un d’autre.
Des initiatives voient le jour depuis quelques années vers ce public : Stop Disaster existe en plusieurs langues depuis 2018. En France, un escape game dédié aux bons comportements en cas de risques naturels a été développé par la DREAL Nouvelle-Aquitaine en 2020. Ouragame a été conçu par deux laboratoires de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour appréhender la reconstruction d’un territoire après un cyclone. La Croix-Rouge a produit en 2021 plusieurs jeux sur la thématique de la prévention des cyclones et inondations (Paré Pas Paré Cyclone, Paré Buzz, Sauv’ out kaz !), etc.
Une panoplie d’objectifs et d’approches
Les objectifs de ces jeux sont variés : utiliser un vocabulaire adapté à l’âge du public, leur apprendre à reconnaître les alarmes, transmettre les consignes de sécurité (évacuation, gestes de premiers secours…) auxquelles les enfants pourraient être confrontés et aussi améliorer la gestion de crise en général.
Certains jeux insistent sur des consignes difficiles à accepter par les familles comme de ne pas aller chercher les enfants qui sont à l’école en cas d’événement. Les approches sont diverses : il peut s’agir de reproduire un schéma de jeu connu des enfants et le transférer (jeu de l’oie, sept familles), d’adapter des mécaniques existantes, en les combinant, voire en développer de nouvelles. Le format diffère aussi : jeu de plateau, jeu vidéo, escape game…
L’implication des futurs joueurs dans le développement des jeux est cruciale : il s’agit a minima de réaliser des phases de tests, de favoriser les échanges, de permettre l’adaptation des règles du jeu, de co-produire des éléments de jeu.
Lors des séances de jeu, certains éléments doivent être appris par cœur (numéro de secours), d’autres doivent surtout être compris (analyse de la situation, trajet d’évacuation, ne pas se mettre en danger), d’autres permettent une meilleure compréhension de la société (qui sont les acteurs ? Quelles sont leurs responsabilités ?…), d’autres encore abordent l’organisation dans la famille (constituer un kit de secours, ne pas aller chercher les enfants à l’école). Le niveau d’autonomie est variable : d’un jeu sans accompagnement à la nécessaire présence d’un maître du jeu.
Toutefois, cet outil comporte aussi des limites. Premièrement, si le jeu se déroule dans le cadre scolaire, il s’agit de distinguer apprentissage du jeu et évaluation des compétences de l’école (orthographe, lecture, logique, calcul…). Les connaissances apportées par le jeu arrivent en complément des autres compétences essentielles : savoir nager, connaître son territoire, savoir décrire une situation. Deuxièmement, dans la thématique des risques des situations compliquées ou tragiques sont abordées : les événements catastrophiques pouvant entraîner blessés, morts, pertes ainsi qu’un possible rappel de situations déjà vécues, anxiogènes. Enfin, la mise en place d’un jeu peut être coûteuse et contraignante : jeux payants avec animateur, décor, petits groupes par exemple.
Des perspectives de recherche
Du point de vue de la recherche, peu de travaux ont porté sur l’évaluation de la qualité de l’information préventive, et encore moins sur l’évaluation de l’intérêt réel de l’apport des jeux. Cette thématique se décline en particulier selon les questions suivantes : La « gamification » des situations face aux risques favorise-t-elle les apprentissages et permet-elle une réduction de la vulnérabilité ? Comment hiérarchiser les messages de prévention à retenir au cœur d’un scénario ludique ?
Les aspects positifs et sans conséquences d’un jeu ne sont-ils pas contre-productifs pour transmettre la gravité d’une situation réelle ? Comment les enfants peuvent-ils transférer à la réalité des situations « déjà jouées » et inversement comment « rejouer » des situations vécues dans des zones déjà affectées par un événement ?
Le développement des jeux doit être accompagné d’outils adaptés à leur évaluation. On peut par exemple penser à des débriefings après une séance, à des exercices de mise en situation, à une transformation d’un jeu de plateau en jeu d’extérieur.
Enfin, pour se placer dans un cadre de changement global, les effets attendus (augmentation de la fréquence, de l’intensité des événements, accroissement de l’exposition des populations) ne peuvent que renforcer l’intérêt de développer des jeux pour la sensibilisation des plus jeunes aux risques majeurs : ceux-ci ouvrent des perspectives de recherche tant en termes de développement de jeux que d’analyses de leur performance.
Delphine Grancher a reçu des financements d’ ANR, du CNRS, du labex Dynamite, de la Fondation de France, de l’AFPCNT, de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.
Corinne Curt a reçu des financements de INRAE.
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