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Remise en cause du numérique éducatif par l’UNESCO

11 octobre 2023 par admin Veille, par Bruno Devauchelle 532 visites 0 commentaire

Un article repris de http://www.brunodevauchelle.com/blo...

Un article repris du blog de Bruno Devauchelle, une publication sous licence CC by nc nd

Intitulé « Les technologies dans l’éducation, QUI EST AUX COMMANDES ? » ce « rapport mondial de suivi sur l’éducation » proposé par l’UNESCO (liens en base de page) mérite notre attention. C’est une approche globale, mondiale, que celle proposée par l’UNESCO qui remet en cause les politiques et les actions menées dans le domaine du numérique éducatif. Nos décideurs pourront surement penser que ce rapport ne les concerne que pour ce qui va bien. Et, pourtant il serait nécessaire d’examiner l’ensemble des remarques faites dans ce rapport pour évaluer ce qui se passe réellement dans nos écoles et au-delà. Nous proposons ici d’extraire plusieurs remarques (appelées messages clés par les auteurs) de ce texte pour les mettre en perspective face à notre contexte français et/ou ouest-européen. Les 6 points présentés ici sont autant d’analyses qui amènent à prendre du recul sur la place à donner aux technologies en éducation en regard de l’ensemble des priorités éducatives actuelles.

1 – On manque de données solides et impartiales sur l’impact des technologies éducatives.

Rejoignant les travaux des chercheurs la question des effets de l’utilisation des technologies éducatives sur les apprentissages est d’autant plus difficile à évaluer que les conditions de mise en oeuvre sont extrêmement variables d’un contexte à l’autre. l’UNESCO dénonce aussi la cacophonie des publications et autres propos sur le sujet qui sont le plus souvent réalisées soit par les entreprises elles-mêmes soit financées par celles-ci. Outre la qualité scientifique difficile à évaluer, il y a surtout les « a priori » des acteurs sur les bienfaits ou non des technologies éducatives… pour le dire autrement même les décideurs et leurs relais institutionnels sont très influencés par le volontarisme positif sur le sujet. Toutefois, des voix dissonantes qui se font entendre sont aussi empreintes de parti pris divers et s’ils sont parfois fondés scientifiquement, ils rejoignent la cohorte des incertitudes nombreuses autour de l’effet des technologies éducatives sur les apprentissages. Et c’est sur ce dernier point que les questions doivent être aussi posées : de quels apprentissages parle-t-on ? Quelles formes d’évaluation sont utilisées ?

2 – La technologie offre une bouée de sauvetage éducative à des millions de personnes, mais en exclut bien d’autres.

L’utopie d’Internet a rejoint celle de l’informatique des années 70 – 80 : une révolution dans l’accès au savoir et une ouverture pour tous. L’histoire semble se répéter inlassablement dès lors que l’on évoque les questions liées au « partage » dans la société. Ce sont donc ceux qui ont et ceux qui savent qui dominent (ce que déplore Condorcet en 1791). Malgré les prises de conscience des politiques, les utopies de rêveurs, le système ne s’est pas renversé. L’accès à l’informatique et à Internet a d’abord été le fait des catégories sociales favorisées. Pour asseoir leur domination, ces catégories ont encouragé l’adoption par tous des moyens techniques numériques. Les entreprises du secteur ont bien vite compris l’intérêt financier de ce mouvement. Dans le même temps, la domination s’est déplacée de la possession à l’usage. C’est désormais dans ce deuxième registre que se développent les inégalités, non seulement entre pays, sociétés, mais aussi au sein même de nos lieux de vie.

3 – Certaines technologies éducatives peuvent améliorer certains types d’apprentissage dans certains contextes.

On retrouve ici ce que des chercheurs et des praticiens ont pu mettre en évidence depuis plusieurs années. L’idée d’une amélioration, d’un enrichissement, d’une augmentation est à la base d’enthousiasmes, parfois naïfs, face aux technologies informatiques en éducation. Elles sont en particulier fondées sur la métaphore ou l’analogie de l’ordinateur et du cerveau. Toutefois, la formulation de cette assertion amène à deux interrogations : quels types d’apprentissage ? et quels contextes ? Il est intéressant de noter que les mathématiques sont le plus souvent convoquées pour illustrer cela. La proximité de cette discipline avec celle de l’informatique n’est pas totalement étrangère à cela. Mais la notion de type d’apprentissage peut aussi s’appliquer à de conceptions du fonctionnement mental en particulier dans le domaine de l’entraînement mental que constitue la « répétition » considérée parfois comme la base de tout apprentissage (cf. l’apprentissage dit « par coeur »). Quant aux contextes, il faut aller dans une salle de classe pour le comprendre. Si l’on compare l’activité d’un enseignant passionné de technologies avec un autre enseignant plus distant, outre l’effet pygmalion, il y a surtout une relation aux directives et aux moyens disponibles qui expliquent les possibles améliorations ou non.

4 – La rapidité de l’évolution des technologies complique l’adaptation des systèmes éducatifs.

Dès le début des années 1980, lors des premiers équipements massifs des établissements scolaires en matériel informatique, la question de l’obsolescence et donc de la mise à niveau des matériels et des logiciels s’est imposée. Les entreprises du secteur, portées par les recherches et par un potentiel marché ont rapidement mis en place une culture de l’évolution : il faudrait suivre les évolutions et constamment se mettre à jour, fondé en partie en cela par la loi de Moore sur la multiplication par 2 de la vitesse des processeurs et leur miniaturisation. Comparer un smartphone de dernière génération à un ordinateur distribué dans les classes en 1985 permet de mesurer cette évolution constante. Outre l’envie de suivre, la nécessité d’adaptation a été fondée aussi sur l’épuisement des ressources anciennes qui ne sont plus utilisables pour les nouvelles générations de machines (de leurs systèmes) et inversement. Le système éducatif ne parvient pas à suivre, lui qui est amené à vivre dans une forme de stabilité, une forme de lenteur pour faire face aux turbulences du monde environnant. Les enseignants ont souvent signalé cette difficulté qu’ils ont traduite par un attentisme et une défiance relative : il faut s’adapter, disent-ils, mais les enfants et les programmes eux, ne changent pas à la même vitesse. Les écarts de temporalité sont importants, mais cela ne freine pas les entreprises du secteur portées par un impératif économique à court terme.

5 – Le contenu en ligne s’est développé en l’absence de réglementation suffisante concernant le contrôle qualité ou la diversité.

N’importe qui peut mettre à disposition n’importe quoi ! Les tentatives successives de réglementation, de normalisation (label RIP et récemment GAR – indirectement) se heurtent à une réalité du web. La libre consultation et la libre publication sont à la base de l’impossibilité de contrôle. D’autant plus que dans un système centralisé comme celui de la France, ce contrôle est soumis à une hiérarchie que les acteurs de base sont souvent enclins à critiquer et à contourner au nom, parfois, de la liberté pédagogique inscrite dans la loi. L’UNESCO, comme nombre de pays, ne parvient pas à sortir de cette idée de contrôle a priori. Or le monde de l’éducation est un monde de controverses et de vérités scientifiques très fragiles. Si les manuels scolaires ont été contrôlés par leur acceptation du respect des programmes, le web est lui ouvert à toutes les initiatives. La multiplication des offres de contenu, de ressource est le reflet de nos sociétés en concurrence (cf les GAFAM ou les EdTech). Du particulier aux multinationales, chacun y va de ses propositions. Cela renvoie donc à l’enseignant la culture du « contrôle qualité » des ressources et contenus qu’il utilise. Ont-ils les moyens culturels et scientifiques de le faire ? Y sont-ils formés ? Quid de cette question dans une institution riche d’une culture descendante : Conseil Scientifique, Inspection Générale, Rectorats et autres inspecteurs (trices).

6 – Les technologies sont souvent achetées pour combler une lacune, sans s’interroger sur les coûts à long terme…

Le terme lacune recouvre des réalités multiples. La première est celle des équipements. C’est pourquoi la multiplication des distributions d’équipements est emblématique de ces politiques de dépenses. La base de ces choix est celle de la fracture d’équipement (cf la crise sanitaire). Mais cela est sans compter les évolutions d’équipements (passage de l’ordinateur au smartphone pour les plus défavorisées) et leur obsolescence programmée. Désormais la question semble se tourner vers les ressources. Là encore, les tentatives connues depuis de nombreuses années montrent qu’il ne suffit pas de mettre à disposition pour qu’il y ait utilisation voir usage. Désormais, la question de fond est celle de la culture. C’est-à-dire, sur le long terme, les décideurs, soutenus par les entreprises du secteur n’ont pas de vision à long terme : entre évolutions techniques et propositions à visées électoralistes, les choix faits sont très situés, conjoncturels. On s’étonne d’ailleurs de l’amnésie dont font preuve nombre de promoteurs de ces technologies et de leur renouvellement. Alors que certains pays voient apparaître des dérives (cf. La Chine en cet été 2023) et sont tentés d’encadrer (cf. La France et la protection des enfants), les politiques globales restent trop associées à des évènements du moment et ne portent pas un discours plus global. Même l’UNESCO est aussi pris dans ces dilemmes.

Conclusion

Chacun sera tenté de lire ce rapport pour amener des arguments à ses choix. Cependant, reconnaissons à ce document de poser quelques bonnes questions qu’il faudra travailler rapidement. En France, l’opération Territoires Numériques Éducatifs devrait être interrogée à l’aune de ces questionnements. De même la stratégie du numérique éducatif présentée en janvier 2023 mériterait un examen approfondi en regard de ces critiques de l’UNESCO. On ne peut que craindre que la question de fond, la question culturelle, soit encore une fois mise de côté au profit des sujets dits « fondamentaux ». Comme s’il suffisait de savoir lire et compter pour comprendre le monde dans sa complexité.

Sources à consulter

« Rapport GEM 2023 : Les technologies dans l’éducation, QUI EST AUX COMMANDES ? » le résumé est accessible ici https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000386147_fre , le rapport complet ici : https://www.unesco.org/gem-report/fr/technology (accessible en entier ici en anglais https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000385723 )

Licence : CC by-nc-nd

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