Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd
Après le suicide d’un adolescent victime de harcèlement scolaire, le ministre de l’Éducation nationale a décidé de mettre en place des « cours d’empathie » dans les écoles.
À l’instar des compétences psychosociales, l’empathie est un levier potentiel de mieux vivre et faire ensemble. En encourageant la prise en compte des autres dans toute leur diversité, l’empathie pourrait jouer un rôle clé dans le processus d’inclusivité sociale et scolaire en mouvement. Il est cependant important de noter que l’empathie est un concept protéiforme et multidimensionnel (composantes affective, cognitive, motivationnelle et de régulation) qui suscite des débats et comporte des paradoxes à la fois sur le plan théorique, clinique et moral. On pourrait d’ailleurs parler des « empathies », tant elles sont protéiformes (émotionnelle, cognitive et mature).
En mettant à l’agenda des « cours d’empathie », en s’inspirant de ce qui se fait par exemple au Danemark depuis 2013, il ne faudrait pas penser avoir trouvé une panacée. Se préoccuper de l’empathie exige d’aller au-delà de seuls cours en les inscrivant dans un cadre maitrisé, collaboratif, soutenu et maintenu dans le temps.
Comment rendre un programme autour de l’empathie opérant ?
Pour proposer un programme autour de l’empathie qui puisse avoir de réels bénéfices, il est indispensable d’adopter une approche systémique. Concrètement, cela signifie qu’il faut prendre en compte la totalité du système – ici scolaire –, les interactions dynamiques et interrelations complexes entre ses différentes composantes, plutôt qu’une mosaïque de situations disjointes. En effet, tout élément d’un système influence et est influencé par les autres éléments du même système.
Une approche systémique évite une organisation cloisonnée, en silo. À l’école, elle suppose que tous les acteurs (élèves, personnels enseignants, non enseignants, famille, partenaires de l’éducation) soient sensibilisés à la relation empathique (dans le cadre de formations entre pairs par exemple). En somme, qu’ils soient en interrelation et partie prenante du projet éducatif projeté. Si la relation empathique est étendue dans un système à la majorité des individus le composant, alors « plus puissante sera la transformation », pour obtenir les effets positifs voulus.
Dans ce cadre, quelques précautions s’imposent :
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On ne peut pas plaquer, ni reproduire à l’identique ce qui se fait ailleurs dans un autre contexte, une autre culture et société d’appartenance. L’adaptabilité est de mise pour l’apprentissage de l’empathie.
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Ce n’est pas l’affaire de quelques-uns (les élèves), cela concerne tout le monde. L’école n’est pas une institution totale, les interactions fourmillent aussi hors de ses murs où notre « capital empathique » doit également être sollicité. Une « civilisation empathique » requiert un Homo-Empathicus – loin de l’Homo œconomicus maximisant sa satisfaction personnelle, son utilité – qui pense global, qui est altruiste.
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Le rapport au temps est primordial : le temps pour soi, pour les autres, pour les loisirs, la culture, les activités physiques et sportives, la famille et les amis doit être pensé en conséquence. À l’école, le temps curriculaire, des apprentissages et des pauses méridiennes (récréation, restauration…) demandent une organisation collégiale favorable au bien-être individuel et collectif. Or, trop souvent, le temps des institutions n’est pas celui des usagers de l’école… ni des empathies. Le temps de la transmission des connaissances domine trop largement celui du savoir-être et du savoir-faire ensemble.
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Les lieux ne peuvent être un impensé. L’empathie est aussi liée aux espaces dans lesquels on évolue, aux émotions qu’ils procurent. Ils ne sont pas de simples décors. Par exemple, la configuration spatiale de la classe (en îlots, en U, etc.) ou de la cour peut favoriser ou contrarier les interactions corporelles et verbales, et donc l’empathie. Certains sous-espaces sont propices au harcèlement et aux jeux dangereux.
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Les parties prenantes doivent être convaincues par le projet et y adhérer librement pour susciter un désir réel de changer. S’il y a intention, il y aura attention à l’autre et donc une meilleure mobilisation.
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Le volume du capital empathique acquis ou conquis peut s’amenuiser au fil du temps s’il n’est pas entretenu dans des conditions favorables à son épanouissement. Éprouver l’autre dans sa diversité, notamment celles et ceux ayant des besoins éducatifs particuliers est un construit fragile et fragilisant : la relation d’aide empathique impose une implication émotionnelle parfois lourde à porter, qui peut mener jusqu’à l’épuisement professionnel. La rencontre de l’autre demande donc une dynamique partagée, porteuse de sens dans un élan collectif maîtrisé pour éviter toute forme de stress ou d’anxiété.
Quelle forme pourrait prendre un « cours » d’empathie ?
« Eduquer » à l’empathie demande la mobilisation d’au moins trois composantes :
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Le partage des émotions (éveil affectif, stimulation émotionnelle, face-à-face).
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La préoccupation empathique (motivation à se soucier de l’autre), notamment en régulant son potentiel trop-plein d’émotions.
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La prise de perspective (empathie cognitive, raisonnement social), en adoptant le point de vue de l’autre.
Si ces différentes dimensions se distinguent tout en étant en interaction, chacune peut être plus ou moins sollicitée selon les besoins. Par exemple, si l’on souhaite développer l’empathie vis-à-vis de personnes en situation de handicap, les composantes à travailler varieront selon le degré de connaissance, de sensibilisation et de relation avec une personne handicapée.
À l’université de Bordeaux, dans le cadre de la mission handicap, nous concentrons nos efforts sur ce sujet. Nous construisons actuellement un jeu « physique » (en coprésence) et un jeu digital (à distance) fondés sur la préoccupation empathique afin de favoriser l’inclusivité du personnel et des étudiants. Il s’agit, dans une approche systémique, de sensibiliser, informer et/ou former autour du handicap ces deux publics en interaction. Il est prévu que ces deux prototypes soient adaptés et déclinés dans d’autres contextes et publics, notamment à l’école.
D’autres dispositifs sur l’éducation aux empathies et aux émotions existent déjà en France. Le « jeu des trois figures », le « jeu des mousquetaires », les « jeux traditionnels » et « jeux physiques didactiques » peuvent se révéler d’excellents supports pour développer le processus empathique. À travers ces jeux, les interactions physiques dans lesquelles on s’éprouve et on éprouve l’autre sollicitent la résonance émotionnelle avec autrui.
Au-delà des jeux, des dispositifs de « formation empathique » (avec informations, ressources, simulations, jeux de rôles alternatifs, verbalisations interactives, des situations stimulant l’imaginaire) aideraient les acteurs dans la rencontre à l’autre, dans l’agir et la réflexivité. Il s’agit de façon plus large de mettre en lumière le rôle des émotions, de l’empathie dans le développement des compétences sociales et émotionnelles chez l’enfant, mais aussi l’adolescent et l’adulte.
En considérant les différentes précautions évoquées dans cet article, il apparait que pour révéler, maintenir ou développer le capital empathique à l’école, agréger de simples cours risque de ne pas porter les fruits espérés. Notre société subit les affres d’un contexte incertain mettant en tension les relations humaines, propices au repli sur soi. Un Homo empathicus s’inscrit dans un projet plus englobant, systémique et certaines recherches appliquées restent à mener.
Enfin, si le défaut d’empathie est propice à des comportements déviants, inadaptés, violents ou de harcèlement, attention toutefois de ne pas tomber dans le piège de l’injonction à l’empathie, à l’instar de la « tyrannie » du bien-être ou du bonheur. Le libre arbitre est de mise.
Eric Dugas a reçu des financements de la Région Nouvelle-Aquitaine 2023
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