Innovation Pédagogique et transition
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Marcos Lima, Joëlle Forest (dir.) (2023). Entrepreneuriat et innovation dans l’enseignement supérieur

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/9139

Un article repris de la revue Distances et médiations des savoirs, une publication sous licence CC by sa

Le thème de ce numéro est d’étudier la façon dont l’enseignement supérieur s’est saisi de l’injonction de développer la culture de l’entrepreneuriat et de l’innovation.

Il s’agit de faire de l’innovation un enjeu de connaissances et de pratiques pour développer une capacité effective pour innover en s’appuyant sur des dispositifs tournés vers la créativité et le design thinking accompagnant une pédagogie où la pluridisciplinarité est un élément clé. D’autres dispositifs comme les incubateurs ou les fablabs visent à sensibiliser, développer la vocation étudiante et améliorer leurs attitudes à l’égard de l’entrepreneuriat.

Le paradoxe des cas étudiés dans cette revue est d’essayer de faire dialoguer des étudiants en cours d’acquisition d’expertises alors qu’ils ne maîtrisent pas encore le savoir de leur domaine. Dans ces conditions, les étudiants peinent à comprendre des points de vue reposant sur des approches éloignées de celles enseignées dans leurs institutions. Il me semble qu’un dialogue interdisciplinaire serait d’autant plus productif qu’il s’établirait entre des professionnels expérimentés capables de se décentrer pour enrichir leur point de vue et celui de leur interlocuteur.

Une autre difficulté est de pouvoir estimer le bénéfice d’un enseignement pour chacun des étudiants alors que la participation en équipe de ceux-ci à un projet est des plus variables.

Le premier article – l’expérience interdisciplinaire comme vecteur de décentrement critique : le cas d’un programme d’innovation inter-écoles – d’Estelle Berger, Emmanuelle Le Nagard et Éléonore Mounoud, propose d’étudier la possibilité d’un changement d’état d’esprit et de posture suscités par une collaboration interdisciplinaire entre étudiants de trois écoles différentes (de commerce, d’ingénierie et de design) utilisant la méthodologie du design thinking. Les auteurs essaient de comprendre comment cette expérience interdisciplinaire affecte les participants. Ils arrivent à la conclusion que la transformation vécue est la matérialisation d’un décentrement critique par lequel les étudiants développent un savoir-agir en situation d’incertitude et de complexité.

Avant d’analyser les résultats, la motivation de l’étude est précisée ainsi que le cadre théorique et conceptuel. Le design thinking est présenté en tant qu’outil pédagogique. Puis, la problématique de la recherche et la méthode de l’étude sont commentées. Ces précisions sont très utiles pour apprécier les résultats de l’expérimentation : visions des étudiants et visions de trois tuteurs sur l’utilité relative de ce type de cours. La recherche a permis d’établir les liens entre la singularisation de l’action pédagogique en entrepreneuriat et l’impact de la formation entrepreneuriale. Ce liens est plus ou moins perçus par les étudiants en fonction de leurs expériences préalables. Pour finir, une analyse du « penser ensemble » est structurée autour de la maîtrise personnelle de sa discipline, de la remise en question des modèles mentaux et assomptions de chacun, de la vision partagée, des apprentissages par le dialogue et de la pensée systémique.

L’étude se poursuit par une interrogation : que faire du design thinking comme outil d’enseignement ?

Se confronter à un problème réel avec un vrai client peut être formateur dans la mesure où les étudiants acceptent de travailler sur leurs préjugés et apprennent à dialoguer avec des interlocuteurs ayant des cultures différentes. L’expérimentation étudiée de courte durée ne peut conduire au mieux qu’à une sensibilisation aux avantages et aux limites du travail interdisciplinaire.

Le design thinking est consommateur de temps et peut s’apparenter à une méthode de plus pour les ingénieurs alors qu’il se veut une démarche pour sortir du cadre. Travailler en lien direct avec le client met l’accent sur le côté pratique à court terme d’une solution, mais risque de manquer de perspective d’évolution.

Le deuxième article – la mobilisation du Design Thinking pour favoriser l’innovation dans l’enseignement supérieur : Étude de dispositifs « plateformes d’innovation » – est rédigé par Nathalie Lameta et Graziella Luisi. Il s’agit d’une étude de cas portant sur quatre plateformes hétérogènes du point de vue de leur notoriété, maturité, localisation géographique et taille de l’établissement de rattachement (la D.school Paris, l’Université Catholique de Lille, l’Université de Corse et le programme IDEA à Lyon) afin de vérifier s’il existe des caractéristiques communes saillantes. L’examen de ces plateformes de ressources pédagogiques au regard des trois dimensions de chaque dispositif (People, Place, Process), conduit les auteurs à identifier les ressources organisationnelles indispensables à la conception de ces plateformes d’innovation.

Une revue des différentes approches des universités dans le monde pour favoriser l’innovation montre la prédominance des questions d’économie : il s’agit de contribuer au développement économique des entreprises situées dans l’environnement de l’université. Le design thinking qui se veut centrer sur les attentes des utilisateurs permet-il d’interroger le bien-fondé de ces attentes en lien avec des finalités plus large de la société ? L’accent mis sur le prototypage ne risque-t-il pas de privilégier des visions à court terme ?

Cette étude a bien identifié les ressources nécessaires pour le bon fonctionnement de plateformes favorisant l’innovation. Cependant, le seul point de vue des représentants des plateformes – de janvier à mars 2017 – ne permet pas d’identifier les limites de leurs usages. Qu’en est-il de leur évolution dans un contexte de remis en cause de la globalisation de l’économie ?

Le troisième article – la relation entre la formation en entrepreneuriat et l’intention entrepreneuriale dans l’enseignement supérieur au Maroc : le cas de l’université Cadi Ayyad – de Si Mohamed Ben Massou, explore cette relation en appliquant la Théorie du Comportement Planifié (TCP), un modèle d’équations structurelles qui est développé pour tester les influences des normes subjectives, des attitudes et du contrôle entrepreneurial perçu sur l’intention d’entreprendre. Contrairement au consensus dans la vaste littérature sur le sujet, il n’est pas trouvé d’effets directs significatifs entre l’âge, le genre ou l’existence d’un parent entrepreneur et la décision à entreprendre dans le cas marocain. Même s’il faut admettre que cela puisse être dû à un problème d’échantillonnage, ces résultats ouvrent néanmoins le débat sur une possible spécificité du cadre institutionnel/culturel marocain par rapport aux études similaires réalisées ailleurs.

Après une revue de la littérature sur le TCP, une méthodologie de recherche est établie, reposant sur 7 hypothèses. 202 étudiants ont répondu à un questionnaire en avril 2020. Le dépouillement a fait l’objet d’un traitement statistique approfondi. Si la relation entre l’intention d’entreprendre et la formation entrepreneuriale a été validée, qu’en est-il de la réalisation de cette intention ?

Le quatrième article – ce que la formation à l’entrepreneuriat n’est pas : une esquisse des contours des formations à l’entrepreneuriat à partir de leur singularité perçue par des étudiants tunisiens – rédigé par Ilia Taktak-Kallel, analyse la perception des étudiants tunisiens. Comparés aux autres enseignements, les cours d’entrepreneuriat sont perçus comme étant plus utiles dans la vie professionnelle et personnelle, contribuant à des compétences de savoir-être et savoir-devenir. En utilisant le cadre des théories de la catégorisation et, à partir d’entretiens avec des étudiants participant à des formations en entrepreneuriat, cette singularité perçue proviendrait en grande partie de la spécificité pratico-pratique du domaine même de l’entrepreneuriat et induirait surtout des apprentissages dans les registres des connaissances appliquées et de l’enclenchement de certains changements attitudinaux.

Une analyse fine des enjeux de l’enseignement en vue de préparer à la création d’entreprise est réalisée. Pour moi, il y a une ambiguïté de la formation à finalité professionnelle à l’université : les enseignants sont formés à enseigner des disciplines académiques, mais méconnaissent le monde de l’entreprise.

Le cinquième article – Réduire l’ambiguïté d’un cours en ligne de global entrepreneurship : pertinence du cadre Weickien – de Christine Marsal, applique ce cadre pour comprendre les ambiguïtés perçues par des étudiants dans le cadre d’un cours en ligne de « Global Entrepreneurship ». Un cours international d’entrepreneuriat, délivré au sein de plusieurs établissements différents, mais selon le même calendrier, permet d’analyser comment les étudiants parviennent à surmonter cette ambiguïté par des efforts de communication ou par des actions qui modifient parfois le cadre auquel ils sont soumis. Le caractère positif des ambiguïtés comme source de créativité et d’innovation renforçant la capacité des étudiants à faire face à des défis complexes dans la « vraie vie » est mis en avant.

C’est un retour d’expériences à propos d’un cours à distance de management s’adressant à 47 étudiants (2017-2018) par le biais du récit d’un enseignant. À distance, les nouvelles connaissances provoquent des conflits cognitifs, l’interaction avec les enseignants n’est pas automatique, le cheminement est imposé. Les interactions entre étudiants permettent de résoudre des ambiguïtés du cours les obligeant à faire varier leur cadre d’action. Ils apprennent ainsi à agir. Il s’agit de s’intéresser au processus de création de sens via l’interprétation des messages pour étudier les activités de groupe dans un contexte multiculturel.

Cet article est issu de la finalisation d’un projet européen de capacity building IN2IT. Le défi (un Hackathon sur 3 jours) concernait le développement durable et l’avenir des cités. L’hétérogénéité des équipes et le manque de préparation ont limité la portée des résultats. La plateforme utilisée pour diffuser les cours en ligne est MOODLE mais le manque de formation des enseignants à son usage conduit à une sous-utilisation de ses fonctions.

Cette narration du déroulement d’un cours à distance permet de mieux comprendre les apports du dispositif et les difficultés à surmonter tant du côté des enseignants que celui des étudiants.

Le sixième article – Entrepreneurial Professional Competences and Research Skill as Response to the Needs of Mexican Laboral Market – de Yashiro Danahi Cisneros-Reyes, Diana del Consuelo Caldera González et María Guadalupe Arredondo Hidalgo, explore les compétences professionnelles entrepreneuriales (EPC) et la compétence de recherche (RS) acquises par un groupe de diplômés et d’étudiants d’un programme de Master en gestion, en réponse aux besoins du marché du travail du Mexique. Cet article présente l’évolution du programme de maîtrise en gestion des programmes d’études de l’Université de Guanajuato à l’aide de l’analyse de l’importance et des performances.

En préalable, le modèle de société de référence est tel que celui décrit dans les documents de l’OCDE : « Les compétences professionnelles sont devenues le principal moteur du bien-être individuel et de la réussite économique au xxie siècle ». L’enquête internationale sur la compétence des adultes (PIAAC) est également analysée.

Cette étude repose sur une enquête auprès de 45 étudiants en avril 2021. Elle met en évidence l’évolution de la formation universitaire au Mexique entre 2006 et 2014 pour répondre aux besoins des entreprises suivant les recommandations de l’OCDE. Toute la question est de savoir si ce type d’acquisition de savoir-faire est suffisant pour obtenir des managers effectivement compétents en entreprise.

Le dernier article – L’innovation dans la procédure d’évaluation des connaissances à l’aune de la montée dans la chaîne de valeur des connaissances : étude de cas dans le domaine des sciences et techniques des données – de Pierre Saulais, considère une innovation dans l’évaluation d’un cours de statistiques (techniques des données) à partir de la perspective de la gestion des connaissances. Il utilise l’approche de la recherche-action pour comprendre comment ses étudiants transforment les données en information puis en connaissance, et celle-ci en « sagesse » pratique (dans le sens anglophone de « wisdom » comme la capacité à prendre de meilleures décisions à partir du raisonnement critique et créatif). Ces compétences décisionnelles sont jugées essentielles à de futurs entrepreneurs et innovateurs, et donc des mécanismes de contrôle de la gestion des connaissances et des sciences des données peuvent être un puissant levier du curriculum « entrepreneuriat et innovation ».

L’étude de cas concerne 290 étudiants de première année d’ingénieur (2019/2020). L’enjeu est de stimuler la créativité des étudiants par la façon dont est construit l’énoncé du contrôle pour qu’ils puissent s’évaluer tout en étant évalués par l’enseignant. Par ce biais, l’enseignant s’assure que les étudiants ont assimilé les connaissances critiques nécessaires pour suivre avec profit les enseignements de 2e et 3e années. Ceci implique de la part de l’enseignant d’être lui-même créatif pour produire des sujets d’examen qui révèlent la capacité des étudiants à mettre en pratique les notions apprises.

Ces sept exemples permettent de mieux comprendre les questions qui se posent aux équipes universitaires pour répondre à l’injonction qui leur est faite à préparer les étudiants à devenir plus créatifs et à envisager de devenir entrepreneurs.

Ces enseignements correspondent à l’attente d’une société où la technique industrielle est à la fois un moyen de vivre et la fin première que l’on assigne à la vie. Ils sont des initiations pour donner envie d’en savoir plus sur la création d’entreprise et les démarches de créativité, mais sont insuffisants pour s’y connaître et passer directement à l’action.

Par ailleurs, le risque d’un management par les chiffres n’est pas abordé alors que le Business-plan est devenu un standard international.

Alors que le principal défi de notre époque et de faire face au dérèglement climatique, la question de responsabilité sociétale des entreprises n’est abordée dans aucun des projets y compris dans celui se référant au développement durable et bien que l’industrie joue un rôle majeur dans la production de CO2.

30En cherchant à mieux évaluer l’effet d’une formation sur ses étudiants, l’enseignant approfondit sa compréhension du sujet à étudier. Comme dans tout enseignement, les enseignants apprennent autant que les étudiants.

En accord avec Olivier Reboul, « si le but de l’enseignement est de former des compétences, rien ne garantit qu’elles seront créatrices » [1].

Licence : CC by-sa

Notes

[1REBOUL, Olivier, Qu’est-ce qu’apprendre, PUF, 2010 [1980].

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