L’éducation primaire et secondaire est en route vers le changement. Le ministère de l’éducation français réforme les programmes pour plus d’apprentissage en mode projet ou thématique, le système d’évaluation évolue vers une disparition partielle des notes en primaire et secondaire, le mouvement Colibri en France fait de plus en plus d’adeptes… la Finlande vient même d’annoncer l’abandon de l’approche par matières pour les lycées en 2017. L’éducation supérieure en revanche semble s’adapter moins vite.
Pourtant l’insatisfaction des étudiants est grandissante et palpable dans les établissements supérieurs. De moins en moins de motivation pour les cours en amphithéâtre, une information à portée de smartphone qui concurrence directement le professeur, une perte de sens dans la plupart des matières fondamentales.
Si les raisons sont multiples, il ne s’agit pas ici de lister tous les causes et effets de ce ralenti, mais plutôt d’entrevoir les pistes de transformation.
Vers un enseignement supérieur « de fiancé »
Quelles sont les amorces vers un enseignement supérieur « de fiancé » dont parle Freinet ? C’est-à-dire une éducation favorisant les méthodes d’enseignement et d’apprentissage qui motivent intrinsèquement les étudiants (cette même motivation qui nous donne des ailes lorsque nous allons rencontrer notre fiancé), des programmes guidés par le sens, des objectifs d’apprentissage orientés sur des pratiques professionnelles et le développement des compétences clés pour agir de façon responsable dans la société.
Un des points de départ est le pourquoi de l’enseignement. Quels sont les profils d’étudiants que nous souhaitons former ? Des personnes capables de porter le changement, d’agir par des pratiques éthiques et durables, de penser de façon critique et créative ou des managers adaptatifs, très bons techniciens certes, mais qui ne peuvent porter le changement induit par le monde interconnecté, complexe et très incertain dans lequel nous vivons ?
Aujourd’hui, le MIT prédit que 48 % des métiers auront disparu en 2030… 1 500 PDG interviewés pour une étude d’IBM affirment que les deux qualités d’un leader de demain sont l’adaptabilité et la créativité. Mais forme-t-on les étudiants à ces compétences (soft skills) ? À un savoir-vivre en société, à l’adaptabilité permanente et la gestion de l’incertitude ?
Développer les compétences
Cela nous rappelle fortement « La tête bien faite » d’Edgard Morin qui préconisait déjà en 1999 une école de vie, une école de la découverte de soi, une école de la complexité́ humaine qui nous initie à vivre avec des êtres et des situations complexes.
Alors pourquoi les programmes d’enseignement supérieur restent-ils encore majoritairement construits autour d’une accumulation de matières et de connaissances et non sur le développement de compétences ? Il ne s’agit pas de supprimer l’acquisition de connaissances dans les programmes, mais bien d’un rééquilibrage en faveur du développement des compétences et d’un savoir-vivre. Il s’agit aussi de développer l’aptitude à contextualiser et globaliser les connaissances
« La connaissance pertinente est celle qui est capable de situer toute information dans son contexte (…). Contextualiser, c’est situer tout événement, information ou connaissance dans sa relation d’inséparabilité avec son environnement culturel, social, économique, politique, technologique et naturel. » (Morin, 1999).
C’est pourquoi la vague de fond qui touche l’éducation primaire et secondaire agit sur la disparition des matières en tant que telles au profit de thématiques multidisciplinaires pour enseigner. Pour agir sur le sens de ce que l’on apprend, moteur fondamental de l’apprentissage.
Le rôle des nouvelles technologies dans cette transformation
Ce n’est pas par les nouvelles technologies que la réforme de l’éducation va se jouer en profondeur. Très utiles dans de nombreux dispositifs d’apprentissage, notamment les avancées sur l’apprentissage personnalisé grâce aux learning analytics et bientôt à l’intelligence artificielle, les nouvelles technologies offrent d’indéniables avantages de facilitation dans l’accès, le contrôle et la gestion des savoirs. Elles permettent aussi de jouer sur la motivation de l’apprenant dans le cas des serious games.
Toutefois elles ne sont que des moyens technologiques pour faciliter l’apprentissage et ne peuvent résoudre à elles seules les défis énoncés ci-dessus : redonner du sens à ce que l’on apprend, ré-equilibrer l’apport de connaissance avec le développement des savoir-faire et savoir-être, proposer une école de vie, une école de découverte de soi…
À titre d’illustration, 800 étudiants de SKEMA Business School ont identifié les besoins de transformation vers une « éducation idéale » dans le cadre d’un défi innovation ; les gagnants ont proposé du mobilier « do it yourself » réalisé par les étudiants selon leurs besoins, des systèmes d’évaluation sans note, des semaines de cours ancrées dans la pratique des entreprises et non des études de cas fictives, etc. Une minorité de solutions concernait les outils technologiques.
Si elle n’est pas technologique, la transformation prend plutôt la forme d’un programme transversal ou de création d’écoles (Ecole 42, La Scuola Opensource, Singularity University…).
Alors que Stockholm School of Economics vient d’ouvrir un module transversal transdisciplinaire autour du durable, SKEMA Business School propose un programme de L3 très disruptif, autogéré par les étudiants, qui se définit comme une école de vie pour jeunes innovateurs transformateurs, qui seront en capacité de porter la transformation durable de leur environnement (dans une organisation, dans diverses institutions et associations, dans leurs métiers respectifs ou en créant leur entreprise/start-up). Cette initiative, née il y a deux ans, a déjà formé presque 60 innovateurs transformateurs, avec un taux de satisfaction de 95 %.
En conclusion, des initiatives marquent clairement le début d’un mouvement de transformation de fond de l’éducation supérieure, qui certes nécessite du temps de déploiement (sans doute 5 à 10 ans) mais dont l’amorce est bien réelle et… irréversible.
Mélanie Ciussi est responsable de projets innovants au Skema KCenter.
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