De l’anglais « commons », désignant à l’origine des terres partagées par des communautés villageoises, notamment pour le pâturage des animaux, la notion de « communs » ou « biens communs » désigne des ressources gérées de manière collective. Elle soulève de nombreux débats dans le champ intellectuel alors que domine depuis deux siècles le principe de la propriété privée.
Les économistes s’y sont intéressés en amont des juristes, notamment sous l’impulsion, du prix Nobel d’économie 2009, Elinor Ostrom, qui aborde cette question dès 1983, lors de la conférence d’Annapolis. Ils se sont attachés aux conditions dans lesquelles des communautés humaines de différents types d’écosystèmes peuvent à la fois vivre des ressources qu’elles prélèvent dans ces écosystèmes et veiller à leur reproduction à long terme, c’est-à-dire à leur « soutenabilité ».
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Ce lien central entre droit (ou faculté) de prélever et de jouir d’une ressource sous condition de préserver l’écosystème dans son ensemble est ici pensé d’une manière entièrement nouvelle par rapport à ce qui prévaut dans la relation jusqu’ici décrite entre droits de propriété et biodiversité.
C’est avec la commission Rodatà, mise en place en 2007 par le ministre italien de la Justice, qu’émerge une véritable piste de réflexion pour une définition de « bien commun » (beni comuni). Dans un contexte de privatisation des biens et des services publics, l’Italie connaît dans les années 2000 un mouvement social remettant en cause les ressources comme l’eau. Se posait la question de savoir si l’eau devait restait un bien public, question à laquelle les votants ont été majoritairement favorables.
Les biens communs étaient définis comme « les choses qui expriment des utilités fonctionnelles pour l’exercice des droits fondamentaux ainsi que le libre développement de la personne ». Quel que soit le propriétaire de ces biens, une personne publique ou privée, la loi devait en garantir « la jouissance collective » (la fruizione collettiva) dans des conditions et limites compatibles avec l’exigence prioritaire de leur préservation « au bénéfice des générations futures ».
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Ainsi, un régime approprié de contrôle juridictionnel et de responsabilité prévoyait que toute personne aurait eu la possibilité d’agir en justice pour garantir la sauvegarde des « biens communs » et l’accès à ceux-ci, en revanche, seul l’État aurait pu agir en réparation d’éventuels dommages. Cependant, la chute du gouvernement de Romano Prodi a mis fin aux prémices d’une avancée définitionnelle. Les biens communs sont alors restés, selon les mots du chercheur Benoît Grimonprez :
« un concept théorique explicatif de nombreuses situations juridiques (concernant l’eau, le climat, la biodiversité…). Ils s’inscrivent aussi dans un discours performatif, qui porte en lui une critique politique, au premier chef, de l’exercice des droits de propriété, mais également des libertés d’entreprendre et de circulation des marchandises. La catégorie juridique, si tant est qu’on puisse l’identifier, demeure orpheline d’un régime propre ».
Or, le « bien commun » ne peut exister que s’il est soutenu par la norme juridique et que si son existence est pleinement reconnue et sanctionnée positivement par le droit. En France une proposition de loi du 19 octobre 2021 entendait ajouter à l’article 714 du code civil qui définit les choses communes, un alinéa définissant la notion :
« Le statut de bien commun peut être attribué à des biens matériels ou immatériels, quel que soit leur régime de propriété, au regard de leur destination commune, de l’usage collectif qui en est ou pourrait en être fait, de leur caractère de ressource nécessaire à toutes et tous, des droits fondamentaux qui peuvent s’y rattacher, de l’histoire collective qui a permis leur constitution ou encore, de leur caractère de rareté et de leur caractère patrimonial remarquable eu égard aux menaces qui pourraient les mettre en danger ».
Le rapporteur de la commission des lois a modifié les critères de cette définition des biens communs afin de faire référence à l’« intérêt patrimonial ou environnemental », ce qui aurait pour avantage de prendre en considération plus largement les biens patrimoniaux et environnementaux, qu’ils soient remarquables ou ordinaires.
Cela étant, selon la définition proposée, tout est susceptible d’être catégorisé de « commun ». Le commun n’est pas tant lié à la nature même de l’objet qu’à la fonction qu’on lui donne et à la gouvernance qu’on lui applique comme Elinor Ostrom a déjà pu le démontrer. La proposition de loi du 19 octobre 2021 n’a pas été adoptée. Cet abandon marque l’absence d’avis sur la reconnaissance de biens communs à ce jour en France.
Cet article s’intègre dans la série « L’envers des mots », consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?
De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public. À découvrir aussi dans cette série :
Alexandra Bouard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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