Un article repris du site Pédagogie universitaire, du réseau de l’université du Québec, une publication sous licence CC by sa nc
Le parcours culturel : oser sortir du cadre universitaire
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Dans ce numéro spécial, la professeure Anne-Marie Leclerc, de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), présente son projet d’innovation pédagogique « Le parcours culturel : oser sortir du cadre universitaire ». Elle partage le contexte du projet, ses intentions pédagogiques et ses retombées sur les apprentissages des personnes étudiantes et les pratiques d’enseignement.
Le contexte du projet
Le Parcours culturel est une activité d’apprentissage optionnelle proposée aux personnes étudiantes du cours Perspectives sociales et culturelles de la santé, au baccalauréat en sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Concrètement, les personnes étudiantes sont invitées à participer à deux activités culturelles à l’extérieur de l’université, en lien avec les différentes thématiques du cours (ex., inégalités sociales, immigration, diversité corporelle, Premiers Peuples). Sept types d’activités sont suggérés afin d’approfondir le contenu du cours et d’expérimenter d’autres stratégies :
1) visiter une exposition / un musée ;
2) participer à une conférence ;
3) visionner un film d’un réalisateur étranger ;
4) assister à un Pow Wow ;
5) apprendre des salutations dans une autre langue ;
6) participer à une activité d’engagement social ;
et 7) suivre une formation en ligne sur les réalités autochtones.
L’objectif du Parcours culturel est d’offrir un apprentissage immersif et ludique. C’est donc un moyen efficace pour favoriser la rencontre culturelle et la mise en action des savoirs théoriques. Le projet a été proposé à l’automne 2022 auprès de 121 personnes étudiantes sur les campus de Trois-Rivières et de Drummondville. Plus de la moitié d’entre elles ont complété le Parcours culturel.
Les intentions pédagogiques
Tout au long de la session, les personnes étudiantes ont eu l’occasion de s’engager dans deux activités culturelles à l’extérieur des heures de cours. Régulièrement, il y avait un moment en classe de partage sur la complétion du Parcours culturel afin de :
1. Démontrer l’importance des dimensions socioculturelles de la santé dans la pratique infirmière ;
2. Faciliter le développement du savoir-agir des personnes étudiantes en contexte interculturel ;
3. Mobiliser les savoirs collectifs pour partager les activités disponibles près des campus de Trois-Rivières et de Drummondville ;
4. Porter un regard critique et échanger sur les différents apprentissages.
Les moyens déployés
Le Parcours culturel est inspiré de plusieurs initiatives développées au Québec, dont La boîte à outils décoloniale de l’organisme Mikana (2022), qui propose un cheminement d’auto-éducation par le biais de ressources sur les réalités autochtones. L’esprit de cet outil a été adapté pour répondre de manière plus large aux objectifs du cours. Une infographie a été créée pour illustrer l’idée du parcours. Le choix des activités était à la discrétion de chaque personne étudiante, mais une preuve de participation était requise (ex. photo, résumé, enregistrement vidéo ou audio). Deux points bonus étaient attribués à la fin de la session pour la réalisation des deux activités. Les retours ponctuels en classe impliquaient une mobilisation des personnes étudiantes afin de favoriser l’ouverture aux aspects culturels, et ce, dans une vision plus holistique de la santé. Par exemple, les arts peuvent être des vecteurs puissants de transmission culturelle et permettre une compréhension de la perspective de l’A(a)utre.
Les barrières sont nombreuses dans l’enseignement des soins interculturels et les ressources humaines et financières limitées ne permettent pas toujours d’inviter une conférencière ou un conférencier ou d’avoir du soutien pour l’organisation d’activités en grand groupe. Aussi, l’évaluation des apprentissages demeure un enjeu, notamment parce que le savoir-faire est rarement évalué (Comité de la formation infirmière de l’OIIQ, 2021). Le Parcours culturel permet donc de contourner ces obstacles, par sa flexibilité, tout en s’arrimant aux principes de la pédagogie inclusive, puisque diverses options d’apprentissage sont offertes aux personnes étudiantes en fonction de leurs intérêts.
Les impacts de l’innovation pédagogique sur les apprentissages des étudiantes et étudiants
L’engagement dont les personnes étudiantes ont fait preuve pour le Parcours culturel est étonnant. Certaines sont allées visiter le Musée des Abénakis et l’Hôtel-Musée Premières Nations à Wendake. D’autres ont écouté des documentaires ou webinaires en lien avec des expériences de racisme, d’itinérance et du vécu de personnes transsexuelles. Ces expériences immersives ont été réalisées souvent en solo et parfois entre amis, collègues de classe et même en famille, puisque plusieurs personnes étudiantes sont aussi parents. J’ai aussi croisé des personnes étudiantes du groupe dans des activités auxquelles j’assistais moi-même, ce qui favorisait une certaine complicité avec elles. Certaines activités ont suscité plusieurs émotions et réflexions qui ont été discutées en classe. À cet égard, un certain encadrement et une préparation aident à optimiser les apprentissages.
Plusieurs personnes étudiantes ont partagé avec moi leurs apprentissages et réactions. Par exemple, ce commentaire est très éloquent sur le cours dans sa globalité :
« Grâce à ce cours, je pourrai communiquer efficacement avec un éventuel patient issu de ces communautés. Honnêtement, en tant qu’immigrante j’avais peur au début du cours quand l’enseignante disait qu’il y aurait des sujets sensibles, mais finalement, j’ai plutôt beaucoup aimé son cours, car j’ai appris des notions que je n’aurais pas peut-être eu la chance de savoir ailleurs. Merci pour le cours et l’ouverture face à la nouveauté ».
Bref, le contact avec la différence ouvre la porte à une plus grande sensibilité à l’Autre, à une meilleure compréhension des différentes réalités, qui je l’espère, aura ultimement un impact sur la qualité des soins offerts par ces personnes étudiantes en sciences infirmières.
Les impacts de l’innovation pédagogique sur les pratiques d’enseignement
Oser innover demande une dose de courage et un certain investissement de temps, mais la récompense est de voir les étoiles dans les yeux de nos apprenantes et apprenants. Ce projet est un premier pas vers un changement de paradigme dans ma pratique d’enseignement, en ne misant pas uniquement sur une transmission théorique et magistrale, mais plutôt en proposant aux personnes étudiantes de vivre une expérience pour favoriser leurs apprentissages. Il y a parfois de la résistance face au changement et aux nouveautés, comme un faible taux de participation, ce qui n’a pas été le cas lors de l’introduction du Parcours culturel.
Par ailleurs, les personnes étudiantes ont nommé qu’elles aimeraient changer les modes d’évaluation dans ce cours afin de pouvoir être évaluées sur leur savoir-faire. Ces propos sont encourageants puisqu’ils indiquent qu’il y a de l’espace pour proposer des innovations pédagogiques en classe. Le Parcours culturel pourrait donc avoir une place plus officielle dans les évaluations du cours et s’arrimer aux autres activités. Actuellement, il est plutôt en marge des stratégies pédagogiques déployées. Il faut dire que le Parcours culturel est une initiative plutôt intuitive, qui semble se rapprocher en fait de la pédagogie de l’expérience (apprentissage par le vécu immédiat) et les pédagogies antiracistes (Eser Davolio, 2002 ; Chrona, 2022). Il s’agit essentiellement de créer des espaces de rencontre qui permettent aux personnes étudiantes de créer des liens et de faire des apprentissages de manière autonome. Alors que je suis convaincue de la pertinence du projet, je suis aujourd’hui plus sensible aux appuis théoriques derrière cette pédagogie et je me sens davantage engagée dans le déploiement du Parcours culturel et de son impact.
Des conseils ou des réflexions à partager…
Voici deux réflexions pour améliorer les retombées du Parcours culturel :
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Une plus grande reconnaissance du Parcours culturel aurait certainement induit un engagement encore plus important (ex., un pourcentage plus élevé dans l’évaluation sommative des apprentissages ou libérer un cours pour participer au Parcours culturel).
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Aucune personne étudiante n’a participé à une activité d’engagement social (ex., marche de solidarité, bénévolat). Puisque l’humanité est une valeur de la profession, je pense qu’il faut l’encourager pour mobiliser le personnel infirmier dans son rôle de défense des intérêts des personnes soignées et de lutte contre les injustices en santé.
Pour en savoir plus...
Pédagogie universitaire (2024, 25 avril). Lumières sur l’innovation pédagogique – Les Prix du GRIIP 2023-2024. Projet d’Anne-Marie Leclerc [vidéo]. Youtube. https://youtu.be/yAYxLv-k9gw
Références
Chrona, J. (2022). Wayi Wah ! Indigenous pedagogies : An act for reconciliation and anti-racist education. P & M Press.
Comité de la formation infirmière de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec [OIIQ] (2021). Avis : La sécurisation culturelle dans la formation initiale | Enrichir la formation initiale des infirmières pour une prestation de soins culturellement pertinente, sécuritaire et équitable auprès des Premières Nations et des Inuit [en ligne]. Repéré à https://www.oiiq.org/w/cfi-avis-pni.pdf
Eser Davolio, M. (2002). Chapitre 5. Sensibiliser par la pédagogie de l’expérience. Dans M. Eckmann et M. Eser Davolio (dir.), Pédagogie de l’antiracisme (63-72). Éditions loisirs et pédagogie. https://doi.org/10.4000/books.ies.1438
Mikana (2022). La boîte à outils décoloniale : le parcours éducatif. https://www.mikana.ca/wp-content/uploads/2022/06/FR_Parcours_educatif_final_juin2022_V2.pdf
Notice biographique
Anne-Marie Leclerc est professeure agrégée au département des sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elle enseigne les aspects socioculturels de la santé et supervise les stages en santé communautaire. Elle est reconnue au sein de son université pour son engagement auprès des Premiers Peuples et ses travaux de recherche avec cette population. Depuis quatre ans, elle est membre du conseil d’administration du Centre d’amitié autochtone de Trois-Rivières. Elle a aussi mené plusieurs projets pédagogiques au sein de son département pour décoloniser les apprentissages et favoriser un programme plus inclusif pour l’ensemble des personnes étudiantes.
Mentions de responsabilité
Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)
Rédaction : Anne-Marie Leclerc
Comité éditorial : Marilyn Baillargeon, Elisabeth Boily, Marie-Christine Dion, Isabelle Gallard, Alain Huot, Laurence-Olivier Tardif
Coordination : Marie-Ève Gagnon-Paré
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