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Le doctorat : une tradition à l’aube de sa (potentielle) transformation

Un article repris de http://theconversation.com/le-docto...

Jeune doctorant sur la scène du concours « Ma thèse en 180 secondes » à Polytechnique. Ecole polytechnique Université Paris-Saclay/Flickr, CC BY-SA

Le doctorat est sans conteste un des diplômes les plus prestigieux et fait partie d’une tradition séculaire en Europe. En sciences de gestion la situation est assez paradoxale : malgré le fait que cette discipline ait vocation à être appliquée (dans les entreprises et les organisations), les docteurs en management sont aujourd’hui principalement destinés au monde académique. Héritage d’une longue tradition, le doctorat semble avoir du mal à évoluer en France, malgré un contexte international en transformation : le format de la thèse et l’impact des contributions pour les organisations font débat. L’innovation s’arrêterait-elle donc à la porte du doctorat ?

Le cas de la France

Le doctorat en France remonte au XIIIe siècle avec la création de l’Université de Paris (la Sorbonne) et a connu quelques réformes importantes au cours des temps. Traditionnellement, la délivrance du doctorat est un monopole des universités publiques.

Avant la réforme de 1984, il existait deux types de doctorat : le doctorat de 3e cycle (ou de spécialité) et le doctorat d’État. Alors que la thèse de 3e cycle sanctionnait « une formation acquise dans la pratique de la recherche », la thèse d’État « sanctionnait la reconnaissance par un jury de l’aptitude du candidat à mettre en œuvre une recherche scientifique originale de haut niveau ».

Avec la réforme de 1984, ne va subsister qu’un doctorat unique, longtemps appelé doctorat « nouveau régime ». Cette réforme visait à aligner la pratique française à celle du monde anglo-saxon et son Ph.D. Cependant, pour diriger des travaux de recherche et des thèses au sein des universités françaises, le doctorat nouveau régime n’est pas suffisant, les maîtres de conférences doivent être titulaire de l’HDR (habilitation à diriger des recherches).

L’HDR est donc le grade le plus élevé en France, alors que dans les pays anglo-saxons, c’est toujours le Ph.D. Par ailleurs, la voie royale pour devenir professeur des universités dans les disciplines juridiques, économiques et de gestion demeure toujours l’agrégation du supérieur, un concours national très élitiste mais très franco-français.

Grandes écoles et doctorat : un sujet sensible en France

À ces spécificités du modèle universitaire français s’ajoute celle de l’existence des grandes écoles. Traditionnellement les grandes écoles (d’ingénieurs ou de commerce) n’avaient pas vocation à faire de la recherche mais à former des cadres pour l’industrie et le commerce en puisant dans le réservoir des classes préparatoires (un système encore une fois très franco-français).

Mais avec l’internationalisation de leur offre de formation et la nécessité d’obtenir des accréditations internationales (AACSB, AMBA, EQUIS) ces écoles se sont mises à faire de la recherche, à publier et à créer des programmes doctoraux. Cette évolution est récente et remonte au début des années 2000, notamment pour les Business Schools.

C’est ainsi que ces écoles ont créé des programmes doctoraux : des Ph.D. et des DBA (Doctorate of Business Administration). Ces programmes constituent une innovation et une réponse au monopole public de la collation des grades en France et au besoin d’internationalisation de ces écoles qui n’hésitent pas à recruter leurs professeurs sur le marché international.

Innover dans le format de la thèse : entrer dans le jeu des articles

Bien que les universités et les grandes écoles soient un lieu d’innovation scientifique et contribuent à la création de connaissances nouvelles dans tous les secteurs (santé, technologie, énergie, etc.), on observe un certain conservatisme en matière de format de la thèse. Pourtant la question du format de la thèse atteste d’une transformation déjà lancée.

La thèse par articles rassemble quelques articles publiés ou en cours de publication dans des revues scientifiques. Souvent un chapitre introductif permet d’introduire la problématique générale, la revue de littérature qui n’est pas présente dans les articles (en raison du format même des articles), la question de recherche, et la méthodologie générale. Ensuite deux, trois ou quatre articles permettent aux assesseurs d’évaluer la démarche et la contribution scientifique du travail du doctorant. Le chapitre conclusif revient sur les contributions théoriques principales, éventuellement les contributions managériales, et les limites de la recherche.

Pour les universitaires aspirants, faire une thèse non traditionnelle peut s’avérer être un pari risqué dans la mesure où sa reconnaissance n’est pas assurée car ce format se heurte à beaucoup de résistance en France – ce qui n’est pas du tout le cas dans des pays voisins comme la Hollande où le format par article est un standard. Pourtant, cela permet aux doctorants d’apprendre à écrire des articles scientifiques, comprendre le système de peer-review, et de se construire un pipeline de production scientifique.

Contributions théoriques versus contributions managériales et organisationnelles

La difficulté d’innover en matière de doctorat est encore accentuée par l’absence de vision partagée au niveau international. Un projet européen en cours ayant pour objectif de créer une vision commune du doctorat a renforcé la hiérarchie entre le « doctorat académique » et le « doctorat professionnel ».

La différence entre les deux types de programmes doctoraux tient essentiellement au caractère plus ou moins académique du travail de recherche et à leur public. C’est ainsi que généralement les candidats Ph.D. n’ont pas ou peu d’expérience professionnelle, font une thèse à temps complet et visent à travers leur thèse une carrière académique ; alors que les étudiants DBA sont généralement des cadres de haut niveau, font une thèse à temps partiel en parallèle de leur travail, et une grande partie d’entre eux restent dans l’entreprise.

À part pour les programmes de type DBA, les liens avec les entreprises ne sont pas généralement très développés. Citons néanmoins l’initiative des contrats CIFRE qui permettent aux entreprises d’accueillir des doctorants. Mais cela reste encore trop marginal en sciences de gestion. Il est vrai que dans cette discipline les recherches font très souvent appel à l’utilisation de bases de données, ce qui ne nécessite pas forcément une immersion permanente dans l’entreprise.

De plus, une thèse de doctorat – quel que soit le format – doit nécessairement avoir une contribution scientifique, mais pas obligatoirement une contribution pratique. Le doctorant est encouragé à valoriser sa recherche auprès du public des entreprises et des organisations, mais sa thèse n’est pas évaluée sur son impact dans les organisations. D’où l’éloignement que l’on constate entre les préoccupations des chercheurs et celles des entreprises.

Quelles innovations pour l’avenir ?

Dans un monde en profond bouleversement, les exigences des entreprises et de la société vont continuer à exercer de fortes pressions sur le monde académique pour innover et ceci à tous les niveaux, y compris celui de la formation doctorale. Les besoins de formation en matière de sciences de gestion qui s’expriment dans le monde entier et la pénurie d’enseignants-chercheurs constituent des moteurs très puissants pour faire évoluer les pratiques des universités et des écoles.

Le développement des collaborations internationales entre les institutions académiques en matière de recherche constituent également un facteur d’innovation. L’action des organismes internationaux d’accréditation (AACSB, EQUIS, AMBA) est un facteur supplémentaire d’innovation et de changement pour les écoles de management dans la mesure où ils permettent de questionner les modèles traditionnels et de briser les résistances au changement et à l’innovation.

Mais encore plus important : les innovations à venir devront intégrer les besoins de la société et permettre de développer, non seulement la connaissance, mais également l’impact et la pertinence des recherches pour l’ensemble des parties prenantes.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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