Aurélien Fiévez et Natasha Noben, « Les usages du numérique actuels dans le supérieur en Suisse et en Belgique », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 40(2) | 2024, mis en ligne le 29 décembre 2024, consulté le 01 janvier 2025. URL : http://journals.openedition.org/ripes/5922
1. Introduction
Différentes politiques visant à soutenir et encourager l’intégration numérique dans le monde de l’éducation voient le jour depuis les années 2000. Ces politiques sont également mises en place dans le contexte spécifique de l’enseignement supérieur (De Ketele, 2010) et un peu partout en Europe.
Malgré ces efforts, le développement du secteur pédagogique universitaire sur les réseaux numériques a été lent, comme le souligne Albero (2013). En 2012, Endrizzi a également noté que l’impact du numérique dans l’enseignement supérieur était faible dans les pays francophones d’Europe.
Cependant, la COVID-19 semble avoir accéléré l’intégration du numérique dans l’enseignement supérieur, surtout dans les pays à revenu élevé et grâce aux aides publiques, malgré les défis et les inégalités qu’elle a exacerbés (UNESCO, 2021).
Selon Albero (2013, p.104) « une meilleure connaissance des usages du numérique dans le supérieur permet de stimuler et d’étayer la réflexion sur les stratégies à conduire ». Pour Charlier (2011), il est nécessaire de mener des recherches relatives aux pratiques existantes en lien avec l’intégration du numérique dans le supérieur. L’étude de l’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement et d’apprentissage semble indissociable de la notion d’usage pédagogique du numérique ou encore d’usages éducatifs des technologies (Baron et Fluckiger, 2021).
Ces usages ont fait l’objet de nombreuses typologies et même de typologie des typologies (Basque et Lundgren-Cayrol, 2002). Il semble donc pertinent de se baser sur une typologie des usages du numérique en lien avec les pratiques d’enseignements et d’apprentissage pour comprendre et identifier les usages actuels des enseignants.
Entre la lenteur de l’intégration du numérique dans l’enseignement supérieur et l’accélération liée à la mise à distance de l’enseignement suite à la COVID-19, cette recherche vise à comprendre les usages du numérique mis en place dans l’enseignement supérieur aujourd’hui. Et plus particulièrement dans les contextes de la Belgique et de Suisse, pays considérés comme à revenu élevé (UNESCO, 2021). Pour mieux comprendre ces usages, et ainsi actualiser les connaissances à ce sujet, en situation post COVID-19, une typologie des usages sera utilisée pour catégoriser et identifier les usages des enseignants.
Après avoir exploré la notion d’usages du numérique et de pratiques, les usages du numérique dans le supérieur (y compris la typologie utilisée pour étudier les usages des enseignants) et les contextes spécifiques de la Suisse et de la Belgique dans une brève revue de la littérature, la méthodologie mise en place sera présentée. Les caractéristiques des répondants, leur profil numérique, leurs usages, les liens entre ces usages et les facteurs impactant l’intégration du numérique ainsi que les pistes d’amélioration de la typologie seront développés dans les résultats. Des réponses aux questions de recherches seront proposées dans la discussion ainsi qu’une série de perspectives.
2. Revue de la littérature
2.1. Les usages et les pratiques
Puisque cette recherche vise à comprendre les usages du numérique dans l’enseignement supérieur, il semble nécessaire de préciser ces notions.
Chaptal (2007) distingue l’utilisation, de l’usage et de la pratique. Ainsi l’utilisation fait référence à une action spécifique et ponctuelle, souvent liée à la manipulation d’un outil ou d’un objet. En revanche, l’usage est compris comme un comportement social (Baron et Bruillard, 1996), une action couramment observée au sein d’un groupe. Pour Leplat et Hoc (1983), les usages sont relatifs à ce qu’un individu doit ou peut faire, ils sont donc fortement en lien avec ses tâches et les fonctions ou services disponibles. La stabilité est le critère qui permet de distinguer les usages des utilisations (Lacroix et al., 1993).
Bien que la notion d’usage soit souvent utilisée en lien avec le numérique ou le rapport à la machine (Perriault, 1989), elle l’est aussi en lien avec les représentations. Ainsi, les usages sont une notion qui permet de voir la construction des contextes sociaux, pour fabriquer quelque chose avec les technologies, que ce soit pour soi-même ou pour d’autres (Le Marec, 2001).
La notion de pratiques s’applique, quant à elle, à des comportements habituels, à une expérience ou une habitude approfondie et stabilisée, caractéristique d’une culture professionnelle. Pratiques et usages pédagogiques sont donc des notions proches.
2.2. Les usages du numérique dans le supérieur
Dans le cadre de cette recherche, une distinction entre pratiques d’enseignement (usages de l’enseignant) et d’apprentissages (usages des apprenants sollicités par l’enseignant) est effectuée. Cette distinction reflète notamment les observations de Raby (2004) qui constate que l’intégration de la technologie numérique dans l’éducation modifie à la fois les pratiques des enseignants et les apprentissages des élèves. De la même manière, Bachy (2019) a insisté sur le fait que pour comprendre le lien entre la pédagogie et la technologie, il est essentiel de distinguer les utilisations liées à l’apprentissage des élèves de celles associées à l’enseignement.
Pour Endrizzi (2012), au milieu des années 2000, le numérique dans le supérieur était plutôt exploité en complément pour améliorer la qualité de l’expérience étudiante, mais sans modifier les curriculums. Lebrun (2011) observe une lente progression d’usages plutôt transmissifs (dépôt de documents et d’informations relatives aux contenus des cours et à l’organisation pédagogique) vers des usages plus interactifs. Alors, qu’Endrizzi (2012) souligne que peu de recherches offrent une description de l’intégration du numérique dans l’enseignement supérieur.
Cependant, certaines recherches portant sur les usages du numérique dans le supérieur ont pu être identifiées. Ainsi, Lameul et Heutte (2010) ont mené une enquête auprès de 2899 enseignants de 89 établissements de l’enseignement supérieur en France. Cette enquête montre que 67% des enseignants estiment que l’usage du numérique est plutôt bien développé dans leur établissement. Les enseignants ayant participé à une formation soulignent presque exclusivement l’objectif de maîtrise des outils des formations suivies. De plus, ils expriment clairement une demande de formation et d’accompagnement.
Raby et al. (2011) ont mené une recherche auprès de 10 266 étudiants universitaires du Québec. Les résultats montrent que les étudiants considèrent que certaines pratiques pédagogiques faisant appel au numérique favorisent davantage leurs apprentissages que d’autres. Ainsi, l’utilisation du numérique améliore la présentation et l’organisation des travaux (89,9%), la communication avec les professeurs (88,7%), la collaboration avec les autres étudiants (83,2%), la rétroaction des enseignants sur le travail des étudiants (68%). Ces résultats sont particulièrement intéressants puisqu’ils permettent de démontrer que ce sont les pratiques pédagogiques sous-jacentes à l’usage des outils technologiques qui font toute la différence. Ils font écho aux recherches de Wang (2007) qui souligne une augmentation des interactions entre les étudiants ainsi qu’entre le formateur et les étudiants en lien avec l’intégration du numérique dans l’enseignement. L’étude de Margaryan et al. (2008) démontre quant à elle que le numérique soutient de nouvelles formes de collaboration et de partage de savoirs.
Mocquet et Vieira (2019) présentent les résultats d’une recherche sur les usages des étudiants et ils identifient notamment les usages suivants : accéder à ses cours, communiquer en réseau, communiquer entre individus, consulter des fichiers, produire des documents, rechercher et accéder à des documents, utiliser des logiciels, utiliser les services de l’université. Ces auteurs proposent également une typologie des usages qui reprend des idéals types (apprenant en présentiel ou à distance, débutant en numérique ou expert). Ces idéaux types sont mis en lien avec la mise à distance du dispositif de formation, l’autonomie par rapport aux contenus et le besoin d’accompagnement dans la maitrise des outils numériques.
Figure 1. typologies des usages du numérique en éducation (Noben et Fiévez, sous presse)
Noben et Fiévez (sous presse), ont également construit une typologie des usages du numérique en combinant des catégories d’usages identifiées dans différentes typologies préexistantes (Bégin, 2008 ; Denis, 2001 ; Paquette, 2002 ; Peraya, 2008 ; Redecker et Punie, 2017 ; Vuorikari et al., 2022). Cette typologie a été soumise à un panel d’experts en utilisant la méthode Delphi (Okoli et Pawlawski, 2004), pour aboutir au résultat suivant.
Cette typologie reprend donc 10 catégories principales subdivisées en sous-catégories. Le tableau ci-dessous indique dans quelles typologies les différentes catégories ont pu être identifiées.
Tableau 1. catégories identifiées dans les différentes typologies
Cette typologie est une lecture, une organisation, parmi de nombreuses autres possibles, des types d’usages pédagogiques du numérique en éducation. Sa richesse figure, notamment, dans la distinction effectuée entre les usages relatifs aux pratiques de l’enseignement et ceux en lien avec les pratiques d’apprentissage (sollicités par l’enseignant). Elle vise à donner une vue d’ensemble des usages pédagogiques qu’il est possible de mettre en place dans des pratiques d’enseignement-apprentissage. natasha.noben@uliege.be2024-06-13T09:49:00naNicolas Tregan2024-05-30T17:48:00NTNicolas Tregan2024-05-30T17:48:00NTNicolas Tregan2024-05-30T17:48:00NTCette typologie est donc plutôt technocentrée et les usages identifiés, pour pouvoir étudier le processus d’intégration du numérique, doivent être contextualisés et inscrits dans le dispositif numérique dans lequel ils s’inscrivent (Peeters et Charlier, 1999 ; Peraya, 2019).
Dans le cadre de cette recherche, cette typologie sera utilisée pour identifier et comprendre les usages du numérique mise en place par les enseignants de hautes écoles (pratiques d’enseignement ou pratiques d’apprentissage). Cependant, la typologie vise à couvrir les usages du numérique, quel que soit le niveau d’enseignement et/ou de formation des apprenants.
En plus de ces usages et typologies d’usages, différents facteurs favorisant l’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement et d’apprentissage ont pu être identifiés dans la littérature. Nous pouvons notamment citer l’ancienneté et l’âge des enseignants (Inan et Lowther, 2010), l’accompagnement technopédagogique, le matériel disponible, les formations suivies (Lawrence et Tar, 2018). L’intégration du numérique étant liée aux usages, ces facteurs impactent donc probablement ces derniers. Il semble dès lors intéressant d’étudier d’éventuels liens entre ces facteurs et les usages des enseignants.
2.3. L’intégration du numérique dans l’enseignement supérieur en Suisse et en Belgique
Cette recherche s’inscrivant dans le contexte de l’enseignement supérieur en Suisse et en Belgique, quelques éléments clés en lien avec les politiques et aides mises en place pour soutenir l’intégration du numérique dans ces contextes vont maintenant être décrits.
Ces deux pays font partie, comme précisé dans l’introduction, des pays dits à revenu élevé (UNESCO, 2021). C’est dans cette catégorie de pays que les aides ont été les plus massives pour soutenir l’intégration du numérique dans l’enseignement supérieur suite à la crise de la COVID-19 et la mise à distance de l’enseignement (UNESCO, 2021).
En Belgique, une stratégie numérique pour l’enseignement supérieur et l’enseignement de promotion sociale a vu le jour fin 2020 avec un budget de 24,44 millions d’euros (Next Gen Belgium, 2024). Cette stratégie numérique vise notamment à soutenir l’équipement numérique. En 2021, la Fédération Wallonie-Bruxelles a lancé des appels à projets dans le cadre de la stratégie numérique du plan de relance européen et a accordé plus de 21 millions d’euros à des établissements d’enseignements supérieurs pour permettre une meilleure adaptation à une évolution des pratiques pédagogiques intégrant le numérique (FWB, 2022).
En Suisse, le Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) a développé le plan d’action « Numérisation pour le domaine FRI durant les années 2019 et 2020 ». Celui-ci visait à renforcer les compétences numériques dans la formation et la recherche. Parallèlement, des financements ont été introduits tels que le programme P-8 de swissuniversities « Renforcement des digital skills dans l’enseignement », doté de 30 millions de francs. Par la suite, des mécanismes de financements conçus spécifiquement pour faire face à l’accélération de la transformation numérique induite par la Covid-19 ont également été mis en place. C’est notamment le cas de l’initiative Flagshipd’Innosuisse, qui visait à accompagner l’intégration du numérique dans différents domaines, dont la formation, l’apprentissage et l’enseignement.
L’enseignement supérieur dans ces deux pays a donc bénéficié de financements importants ces dernières années pour soutenir l’intégration du numérique.
3. Méthodologie
3.1. Problématique, questions et objectifs de recherche
Après une intégration du numérique relativement lente dans les années 2000-2010 (Albero, 2013 ; Endrizzi, 2012) et une progression également lente d’usages plutôt transmissifs vers des usages plus interactifs (Lebrun, 2011), la COVID-19 et les financements débloqués en lien avec celle-ci semblent avoir accéléré cette progression. Cependant, peu de recherches se sont penchées sur les usages du numérique actuels dans l’enseignement supérieur.
Cette étude a donc pour objectif principal d’identifier et de comprendre les usages du numérique d’enseignants de hautes écoles suisses et belges à la fois dans leurs pratiques d’enseignements et dans les pratiques d’apprentissage qu’ils sollicitent de leurs étudiants. La question de recherche principale, à visée compréhensive, est donc la suivante :
Quels sont les usages actuels du numérique dans les hautes écoles suisses et belges ?
Pour comprendre de manière approfondie ces usages, différentes sous-questions ont également été formulées :
– En quoi les usages des enseignants suisses et belges, dans des contextes relativement comparables, sont différents et/ou similaires ?
– Comment est-ce que les facteurs impactant l’intégration du numérique (ancienneté des enseignants, le niveau d’enseignement, et la présence d’un accompagnement technopédagogique) influencent les usages du numérique des enseignants ?
Enfin, dans l’objectif de poursuive la validation de la typologie des usages du numérique en éducation (Noben et Fiévez, sous presse) utilisée pour identifier les types d’usages mis en place par les enseignants dans le cadre de cette recherche, une dernière sous-question vise à identifier des pistes d’amélioration et à vérifier sa correspondance avec les usages actuels d’enseignants de hautes écoles :
– Comment améliorer la typologie des usages du numérique en éducation utilisée pour la faire correspondre davantage aux usages actuels des enseignants du supérieur ?
3.2. Échantillon et outil de récolte des données
Pour répondre à ces questions de recherche, nous utilisons une étude transversale (Setia, 2016). Dans le cadre de cette étude, un échantillon de convenance (Martin, 2014) a répondu à un questionnaire. Cet échantillon est composé d’enseignants suisses provenant de 6 hautes écoles (n=93) et d’enseignants belges issus de 16 hautes écoles (n=118). Cet échantillon est donc peu quantitatif et représentatif au vu de la population concernée.
Le questionnaire a été soumis aux enseignants entre fin janvier et fin février 2023 grâce à des listes de diffusion au sein de la HES-SO (Haute École spécialisée de Suisse occidentale) pour la Suisse (n=1179) et du projet COMHET (Communauté des Hautes Écoles Techno-pédagogiques) pour la Belgique (n=1130).
Bien qu’ayant un âge moyen comparable, les enseignants suisses ont une ancienneté moyenne (12,68) inférieure à celle des enseignants belges (20,19). Les enseignants suisses de notre échantillon ont donc probablement eu une expérience professionnelle autre avant de devenir enseignants en haute école.
Tableau 2. Ancienneté et âge moyen des répondants
Concernant le niveau d’enseignement, 87 % des répondants suisses et 93 % des répondants belges enseignent en bachelier. Cela correspond bien à l’offre disponible dans les hautes écoles qui est majoritairement de ce niveau.
Les disciplines enseignées par les répondants sont très diversifiées. Elles ont été catégorisées par domaine pour en faciliter la lecture. Les domaines principaux (comptant plus de dix enseignants) pour les répondants belges sont la santé (n=24), les langues (n=15), la pédagogie (n=14), les sciences (n=10) et les usages pédagogiques du numérique (n=10). Pour les répondants suisses, on retrouve l’économie (n=26) et la santé (n=24).
Le questionnaire (Annexe 1) créé par les chercheurs dans le cadre de cette étude est composé d’items ouverts et fermés (dichotomiques, classement, choix multiples et à échelles de Lickert). Alors que les questions fermées visent à établir le profil sociodémographique des répondants et leur « profil numérique » (matériel numérique utilisé, usages, fréquences d’usages…). Les questions ouvertes permettent de comprendre plus finement les usages des enseignants en leur demandant de donner des exemples concrets des usages mis en place. Cette recherche se concentre donc sur les pratiques autodéclarées des enseignants. Une synthèse décrivant la typologie des usages du numérique, adaptée pour être davantage compréhensible pour les enseignants (forme, exemples, description des catégories d’usages…) a été jointe au questionnaire pour les enseignants souhaitant plus d’informations à ce sujet (Annexe 2).
Après avoir validé le contenu du questionnaire auprès de deux experts en technopédagogie, il a été prétesté auprès d’une dizaine d’enseignants du supérieur.
3.3. Traitement des données
Les données récoltées, qualitatives ou quantitatives, ont fait l’objet d’une analyse descriptive. Des traitements statistiques simples (sommes, moyennes et fréquences) ont été réalisés pour analyser les données quantitatives. Les données qualitatives ont été codées à l’aide du logiciel atlas.ti sous forme d’un codage thématique. Un double codage a été réalisé pour s’assurer de la qualité de celui-ci.
4. Résultats
Les résultats du questionnaire vont maintenant être présentés. Ils sont structurés en quatre parties. Dans un premier temps, le profil numérique des répondants est décrit. Les usages du numérique des enseignants et ceux qu’ils sollicitent de leurs apprenants sont ensuite détaillés en précisant les catégories d’usages les plus fréquemment mises en place, des exemples associés aux catégories d’usages et une réflexion quant à l’adéquation entre les exemples donnés et les catégories associées. Puis ce sont les liens entre les usages et les facteurs impactant l’intégration du numérique qui sont explorés. Enfin, les pistes d’amélioration de la typologie pour augmenter son adéquation avec les usages actuels des enseignants du supérieur sont proposées.
4.2. Profil numérique
Afin d’établir le profil des enseignants en lien avec l’intégration du numérique dans leurs pratiques d’enseignement et d’apprentissages, différentes thématiques ont été explorées : le matériel à disposition, leur rythme d’adoption des nouvelles technologies, la présence d’un conseiller techno pédagogique dans l’établissement, l’aide de collègues et les formations en lien avec l’intégration du numérique dans leurs pratiques. Chacune de ces thématiques va être détaillée.
4.2.1. Matériel numérique
Pour ce qui est du matériel personnel qui est utilisé par les enseignants dans leurs pratiques professionnelles, ce sont les ordinateurs portables (87 % en Belgique et 76 % en Suisse) et les smartphones (59 % en Belgique et 63 % en Suisse) qui sont les plus souvent utilisés par les répondants.
Quant au matériel mis à disposition des enseignants par les établissements dans lesquels ils travaillent, on retrouve principalement les projecteurs (91 % en Belgique et 87 % en Suisse) ainsi que les écrans ou tableaux interactifs (69 % en Belgique et 38 % en Suisse).
Enfin, pour ce qui est du matériel mis à disposition des étudiants, les répondants indiquent que les établissements ne fournissent rien aux étudiants (30 % en Belgique et 47 % en Suisse), des tablettes (30 % en Belgique et 11 % en Suisse) et des ordinateurs portables (25 % en Belgique et 11 % en Suisse).
Nous pouvons remarquer que le matériel mis à disposition par les établissements au sein de notre échantillon est majoritairement composé des supports visant un apprentissage transmissif (tableaux interactifs et projecteurs) et dans une bien moindre mesure des supports pouvant être utilisés directement par les étudiants (tablettes et ordinateurs). Nous remarquons aussi que davantage de matériel est mis à disposition des répondants belges que des répondants suisses que ce soit au niveau des écrans interactifs ou des tablettes et ordinateurs portables pour les étudiants.
4.2.2. Rythme d’adoption des nouvelles technologies
Concernant le rythme d’adoption des nouvelles technologies, les répondants sont 49 % en Belgique et 59 % en Suisse à affirmer « J’ai tendance à adopter rapidement les technologies quand leurs avantages semblent évidents ». Ils sont 26 % des répondants belges et 19 % des répondants suisses à sélectionner « J’ai tendance à adopter les technologies numériques au même rythme que la majorité de mes collègues ». Ils sont moins d’un cinquième à répondre « Je fais habituellement partie des premières personnes qui essayent les nouvelles technologies » (18 % en Belgique et 16 % en Suisse) et moins d’un dixième à affirmer « J’ai tendance à adopter les technologies numériques après la majorité de mes collègues » (7 % en Belgique et 5 % en Suisse).
La perception d’avantages d’une technologie semble donc prépondérante pour les répondants quant à leur choix de l’adopter rapidement.
4.2.3. Conseillers technopédagogiques et aide des collègues
Différentes tendances peuvent donc être identifiées au sein de notre échantillon. Alors que seulement 45 % des répondants suisses affirment qu’il y a un conseiller technopédagogique dans leur établissement, ils sont 92 % des répondants belges à le faire.
Les raisons de solliciter les conseillers technopédagogiques sont souvent des questions techniques, des questions relatives à la découverte de nouveaux outils (50 % des répondants belges et 43 % des répondants suisses) et des demandes de formation (23 % des répondants belges et 5 % des répondants).
Plus d’un tiers des répondants des deux pays affirment ne pas demander et recevoir d’aide de leurs collègues (39 % en Belgique et 33 % en Suisse). L’aide reçu est davantage technique pour les répondants belges (27 % contre 17 % en Suisse) alors que le partage de séquence est plus fréquent pour les répondants suisses (25 % contre seulement 8 % en Belgique).
4.2.4. Formations en lien avec le numérique
Pour ce qui est des formations suivies en lien avec le numérique, alors que 74 % des répondants belges affirment avoir bénéficié de formations en lien avec l’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement, ils ne sont que 33 % des répondants suisses de notre échantillon.
Concernant l’objet de ces formations, pour les 88 répondants belges ayant suivi une formation, 40 précisent qu’elles se centraient uniquement sur l’aspect technique, 32 en soulignent à la fois les aspects techniques et pédagogiques et 16 ne le précisent pas. Pour les 31 répondants suisses, 14 indiquent uniquement l’aspect technique des formations, 13 indiquent à la fois l’aspect technique et pédagogique et 4 ne le précisent pas.
Les répondants ont marqué un intérêt à participer à une formation relative à la typologie des usages et ses différentes catégories (64 % en Belgique et 72 % en Suisse) et un accompagnement en lien (63 % en Belgique et 75 % en Suisse).
Plusieurs tendances, propres à notre échantillon, sont donc identifiables en lien avec les profils numériques des répondants. Ainsi davantage de matériel est mis à disposition pour les répondants belges (projecteurs et tableaux interactifs). La présence d’un conseiller techno pédagogique dans l’établissement est plus fréquente dans les établissements des répondants belges (92% pour 45% des répondants suisses). Et les répondants belges sont plus nombreux à avoir suivi des formations en lien avec l’intégration du numérique dans leurs pratiques (74% pour 33% des répondants suisses).
4.3. Usages du numérique
Comme précisé précédemment, les usages en lien avec les pratiques d’enseignement et les usages que les enseignants sollicitent de leurs étudiants sont au cœur de cette recherche.
4.3.1. Usages du numérique des enseignants dans leurs pratiques d’enseignement
Dans un premier temps, les résultats en lien avec les usages des enseignants dans le cadre de leurs pratiques d’enseignement vont être détaillés.
Tableau 3. Usages du numérique des enseignants dans leurs pratiques d’enseignement
Lorsque les répondants classent les dix catégories d’usage du numérique dans leurs pratiques par ordre d’importance, c’est la catégorie « Recherche » qui est le plus souvent reprise en tête de classement (48 % pour les répondants suisses et 47 % pour les répondants belges). Les catégories « Création » et « Transmission/Réception » sont celles qui sont le plus fréquemment sélectionnées en deuxième et troisième position. Ces trois catégories d’usage dominent le sommet du classement et représentent à elles seules 70 % des usages classés dans le top 3 des enseignants que ce soit pour les répondants belges ou les répondants suisses.
4.3.2. Usages du numérique des apprenants (sollicités par les enseignants)
Pour ce qui est des usages sollicités par les enseignants auprès de leurs étudiants, on retrouve également ces trois catégories dans le haut des classements des répondants.
Tableau 4. Usages du numérique des étudiants sollicités par les enseignants
Les catégories « Transmission/réception », « Recherche » et « Exercisation » dominent le top trois du classement des usages du numérique que les enseignants sollicitent de leurs étudiants. Bien que des catégories similaires se retrouvent en haut du classement pour les répondants suisses et belges, on note que ce sont la « Transmission/Réception » (25 %) et la « Recherche » (27 %) qui dominent la tête de classement pour les répondants suisses, alors que ce sont les catégories « Recherche » (30 %) et « Exercisation » (29 %) pour les belges.
4.3.3. Exemples d’usages
Pour illustrer ces usages, il a été demandé aux enseignants de donner un exemple concret pour chaque catégorie d’usage de leur top 3 relatif à leurs pratiques d’enseignement et aux usages qu’ils sollicitent de leurs étudiants. Les exemples repris dans les catégories « Transmission/Réception », « Recherche », « Création », « Exercisation » et « Organisation », catégories le plus fréquemment sélectionnées par les répondants, vont être détaillés ci-dessous.
Dans la catégorie « Transmission/réception » (n=241), on retrouve le fait de présenter un cours, un travail de groupe ou un projet à l’aide d’un support (n=147), de regarder des vidéos, une animation 3D, des tutoriels (n=68), de lire des documents, des supports de cours, un syllabus, une synthèse (n=25) ou encore d’écouter un podcast (n=1).
Les exemples d’usages donnés en lien avec la recherche (n=234) sont, notamment, la recherche d’articles, de vidéos, d’audios, d’applications, d’exemples, d’exercices, d’images, d’informations (n=138), la réalisation de revue de la littérature, analyse bibliographique (n=51), la mise en place d’une veille : alertes, mettre à jour (n=28) ou la mise en place d’un cours d’initiation à la recherche (n=12).
Pour la catégorie « création » (n =210), les répondants identifient la réalisation de diaporama, poster (n=86), de supports de cours (n=26), d’exercices en ligne (n=19), de vidéos, podcast (n=18), de carte mentale, cartes (n=7), de documents, document collaboratif (n=3), de portfolios (n=2).
La catégorie « Exercisation » (n=83), présente uniquement dans les usages sollicités des étudiants, est caractérisée le fait d’effectuer des quiz, exercices, questionnaires, test en ligne (n=70) pour vérifier la compréhension, connaissances (n=4) ou encore lors de rappel, révision (n=2).
Enfin, on retrouve dans les exemples en lien avec la catégorie « Organisation » (n=50) l’idée de planification (n=27), de calendrier ou calendrier partagé (n=7), d’agenda en ligne (n=7) ; d’organisation des cours (n=5) et de suivi de projet (diagramme de Gantt…) (n=4).
Les enseignants ont également précisé l’outil (logiciel, service) utilisé pour réaliser l’usage décrit. C’est « Power point » qui est cité le plus fréquemment (n=238). On retrouve ensuite les plateformes d’apprentissage (« Moodle » en Belgique et « Cyberlearn » en Suisse) (n=91). Le tableau suivant reprend les outils cités plus de 20 fois et les catégories d’usages associées.
Tableau 5. Outils associés aux exemples d’usages
On retrouve donc une grande diversité d’outils utilisés par les enseignants.
4.3.4. Adéquation entre exemples d’usages et catégorie associée
Afin de vérifier la compréhension des différentes catégories d’usages par les enseignants, nous nous sommes penchés sur le lien entre les exemples donnés et la catégorie identifiée par les enseignants. Pour ce qui est des usages des enseignants, les exemples correspondent à la catégorie identifiée dans 82 % des cas pour les répondants suisses et 84 % pour les répondants belges. Ces pourcentages sont inférieurs pour les exemples relatifs aux usages sollicités des étudiants (64 % d’exemples correspondant à la catégorie d’usages pour les répondants suisses et 69 % pour les répondants belges). Il semble donc plus facile pour les enseignants de notre échantillon de donner des exemples correspondant à la catégorie d’usage pour leurs propres usages que pour les usages sollicités des étudiants.
Pour affiner cette compréhension de la correspondance entre usages et exemples, nous avons analysé les résultats par catégorie d’usage.
C’est dans la catégorie « Enregistrement » que les exemples correspondent le moins. En effet, pour ce qui est des usages des enseignants, les exemples correspondent dans 17 % des cas pour les répondants suisses et 38 % pour les répondants belges. Pour ce qui est des usages sollicités des étudiants, le pourcentage d’exemples correspondant est de 21 % pour les répondants suisses et 37 % pour les répondants belges. Cette catégorie désigne les usages relatifs à la collecte et au stockage de fichiers ou de données dans un ordinateur ou un cloud, sans vocation d’échange ou de partage. Les enseignants ont souvent donné des exemples de dépôt de travaux sur une plateforme ou d’envoi par mail de travaux. Or, ce type d’exemple est associé, dans la typologie utilisée, à la catégorie « Interactions ».
Les deux exemples donnés en lien avec la catégorie « Awareness » ne correspondent pas. Celle-ci désigne les usages numériques qui permettent à l’enseignant de manifester sa présence à distance afin de maintenir un lien avec les étudiants, par exemple à travers l’envoi de notifications. Ce manque de compréhension de la part des enseignants souligne la nécessité de redéfinir cette catégorie plus clairement, voire de l’intégrer dans la catégorie « Interactions ».
Les exemples donnés pour les catégories « Organisation » (11 % pour les répondants suisses et 71% pour les répondants belges) et « Expérimentation » (18 % pour les répondants suisses et 38 % pour les répondants belges) dans les usages sollicités des étudiants présentent également de faibles taux de correspondance. Dans la catégorie « Organisation » cela est dû et de nombreuses abstentions de réponses des enseignants suisses alors que dans la catégorie « Expérimentation » cela peut être mis en lien avec une confusion avec l’« Exercisation ».
4.4. Liens entre usages du numérique et les facteurs impactant l’intégration du numérique
D’une part, nous avons collecté et analysé des données sur les usages des enseignants. D’autre part, nous avons identifié dans la littérature différents facteurs en lien avec l’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement-apprentissage. Dans le cadre de cette étude, il nous a semblé intéressant d’effectuer un croisement de ces données afin d’identifier d’éventuelles corrélations. Seules les données clés ont été traitées.
4.4.1 Usages et ancienneté
Au niveau des répondants suisses, les enseignants avec le plus d’ancienneté (plus de 31 ans) sélectionnent davantage la catégorie création (33 % pour les usages des enseignants) que les enseignants des autres catégories d’âge. Ce constat n’est pas présent au niveau des enseignants belges.
4.4.2. Usages et rythme d’adoption des nouvelles technologies
Plus les enseignants de notre échantillon adoptent rapidement les nouvelles technologies, moins ils sélectionnent la catégorie transmission/réception dans les usages enseignants, que ce soit en Belgique ou en Suisse.
Tableau 6. Rythme d’adoption des nouvelles technologies et « transmission/réception »
Les enseignants qui font partie des premières personnes qui essayent les technologies sont ceux qui sélectionnent le plus la catégorie « Recherche » dans les usages sollicités des étudiants en Belgique. C’est l’inverse en Suisse, où les enseignants de notre échantillon qui adoptent les technologies numériques en premier sont ceux qui sélectionnent le moins la catégorie « Recherche ».
Tableau 7. Rythme d’adoption des nouvelles technologies et « recherche »
4.4.3. Usages et présence d’un conseiller techno pédagogique
79Pour les répondants belges et suisses, lorsqu’il y a un conseiller techno pédagogique dans l’établissement, les enseignants de notre échantillon sélectionnent davantage la catégorie « Création » au niveau des usages des enseignants.
Pour les autres catégories, il n’y a pas de tendances claires entre la présence d’un conseiller et les usages sélectionnés par les enseignants.
4.4.4. Usages et niveau d’enseignement
81Concernant les usages des enseignants, en Belgique comme en Suisse, les répondants de notre échantillon sélectionnent davantage la catégorie « Recherche » lorsqu’ils enseignent au niveau bachelier (81 %) que lorsqu’ils enseignent en master (63 % et 60 %). Des différences se marquent entre les répondants des deux pays au niveau de la catégorie « Transmission/réception » qui est davantage plébiscitée par les enseignants suisses de bachelier (77 %) que de master (50 %), ou encore la catégorie « Organisation » qui est davantage sélectionnée par les enseignants belges de master (38 %) que de bachelier (19 %).
4.5. Pistes d’amélioration de la typologie des usages du numérique
La dernière catégorie de questions abordait les pistes d’amélioration du modèle. À la question « avez-vous des catégories à modifier dans le schéma ci-joint », 87 % des répondants suisses et 89 % des répondants belges répondent que non. Ils sont 9 % des répondants suisses et 7 % des répondants belges à préciser que le modèle est trop complexe.
Dans les propositions de catégories à ajouter, on retrouve le fait de développer la créativité, de critiquer, l’apprentissage du numérique, l’adaptive learning, l’articulation d’informations et le fait de synchroniser.
Dans les propositions de modifications, un enseignant propose que la catégorie « soutien » ne soit pas uniquement dans les usages des enseignants, mais aussi dans ceux sollicités des étudiants. Deux enseignants demandent l’ajout d’autres exemples pour illustrer les différentes catégories. Le manque de lisibilité a été souligné tout comme l’ajout de l’ « usage critique du numérique ». Enfin, un enseignant propose de remplacer « réguler » par « motiver » et d’inclure « transmettre » dans « communiquer ».
5. Discussion et perspectives
Concernant les usages des enseignants des hautes écoles suisses et belges ayant participé à notre étude, l’analyse des résultats nous a permis de souligner de grandes similitudes entre ceux-ci. Les catégories « Recherche », « Création » et « Transmission/Réception » dominent les classements des usages des enseignants. Pour les usages sollicités des étudiants, ce sont les catégories « Transmission/réception », « Recherche » et « Exercisation » qui arrivent en tête de classement, que ce soit en Belgique ou en Suisse.
Ces catégories d’usages, à l’exception de la catégorie « Exercisation », vont de pair avec un enseignement plutôt transmissif. Ce constat est renforcé par les exemples d’usages donnés par les enseignants qui consistent fréquemment en la création de supports de cours, la recherche d’informations relatives aux contenus et la présentation de ceux-ci (plus de la moitié des exemples formulés par les enseignants). L’accès aux ressources d’apprentissages semble bien avoir été transformé par l’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement-apprentissage dans l’enseignement supérieur comme les soulignaient Han et Shin (2016). Toutefois, les rôles des enseignants et des apprenants ne semblent pas avoir été révolutionnés contrairement à ce que constataient Henderson et al. (2017). Ainsi, alors que Lebrun (2011) observait une lente progression d’usages plutôt transmissifs vers des usages plus interactifs, cette progression ne semble pas s’être accélérée suite à la COVID-19.
La typologie pourrait être utilisée afin de mettre en exergue la part d’usages transmissifs et interactifs dans les pratiques des enseignants dans un contexte donné. Des mesures pourraient être mises en place pour encourager le développement d’usages interactifs pertinents, telles que l’achat de matériel ou la mise à disposition de formations adaptées.
La communication et la collaboration, soulignées dans la recherche sur les usages du numérique des apprenants de Raby et al. (2011), ne sont pas identifiées comme des usages centraux par les enseignants ayant participé à notre étude. Les perceptions des enseignants et des étudiants semblent donc présenter de grandes nuances quant à l’importance des différentes catégories d’usage.
Pour évaluer la compréhension des différentes catégories d’usages par les enseignants, nous avons analysé la correspondance entre les exemples fournis et les catégories identifiées. Dans notre échantillon, il semble donc que les enseignants trouvent plus aisé de fournir des exemples qui correspondent à leur propre usage qu’aux usages qu’ils attendent des étudiants. Les répondants ont marqué un intérêt à participer à une formation relative à la typologie des usages et ses différentes catégories (64 % en Belgique et 72 % en Suisse) et un accompagnement en lien (63 % en Belgique et 75 % en Suisse). Une des perspectives concrètes de cette étude pourrait être de concevoir de tels dispositifs de formation en se focalisant sur les catégories les moins bien comprises par les enseignants.
Contrairement aux résultats de la recherche menée par Lameul et Heutte (2010) qui mettait en évidence que les enseignants soulignent presque exclusivement l’objectif de maîtrise des outils des formations suivies, environ un tiers des répondants soulignent à la fois l’aspect technique et l’aspect pédagogique des formations suivies (n=13/31 pour les répondants suisses et n=32/88 pour les répondants belges). La majorité des répondants de notre échantillon indiquent vouloir des formations et des accompagnements, ce qui concorde, en revanche, avec les résultats de Lameul et Heutte (2010).
Les liens entre différents facteurs comme l’ancienneté des enseignants, le rythme d’adoption des nouvelles technologies, la présence d’un accompagnement technopédagogique ainsi que le niveau d’enseignement (Inan et Lowther, 2010 ; Lawrence et Tar, 2018) et les usages du numérique ont également été explorés. C’est au niveau de la présence d’un conseiller en technopédagogie que la différence entre les répondants suisses et belges est la plus marquée. En effet, 45 % des répondants suisses affirment avoir un conseiller techno pédagogique dans l’établissement contre 92 % en Belgique. Bien que les enseignants, qu’ils soient belges ou suisses, sélectionnent davantage la catégorie « Création » lorsqu’ils ont un conseiller techno pédagogique dans l’établissement dans lequel ils enseignent, il n’y a pas de tendance claire entre ces facteurs et les usages des répondants des deux pays.
Enfin, la typologie des usages proposée dans le cadre de cette recherche semble couvrir la quasi-totalité des usages des enseignants et ceux qu’ils sollicitent de leurs étudiants. Dans les propositions de catégories à ajouter formulées par les enseignants, on retrouve le fait de développer la créativité qui, bien que ne faisant pas l’objet d’une catégorie d’usage peut se retrouver dans l’idée de créer. L’aspect critique, bien qu’essentiel, est à nos yeux davantage un point de vigilance qu’un usage du numérique. Nous avons, comme précisé précédemment, fait le choix explicite de ne pas intégrer l’apprentissage du numérique dans la typologie. Par ailleurs, l’adaptive Learning se retrouve dans différentes catégories comme « Exercisation », « Soutien », « Transmission/réception ».
Différentes propositions de modifications ont été faites par les enseignants et seront intégrées à la typologie comme l’ajout de la catégorie « soutien » dans les usages sollicités des étudiants et l’ajout d’autres exemples pour illustrer les différentes catégories. Il sera également nécessaire de revoir la catégorie « Awareness » et d’expliquer davantage les catégories « Expérimentation » et « Enregistrement » au vu des exemples formulés par les enseignants pour celles-ci.
Une fois ces modifications effectuées, les responsables de la stratégie numérique des établissements d’enseignement supérieur pourraient s’appuyer sur la typologie pour concevoir et diffuser auprès des enseignants une auto-évaluation de leurs usages numériques. La diffusion de cette auto-évaluation permettrait d’initier une démarche de réflexivité de la part des enseignant·e·s sur leurs usages numériques et de les encourager à identifier ceux à fort potentiels qu’ils n’exploitent pas dans leurs pratiques pédagogiques.
Dans ce contexte, la typologie a également le potentiel d’être utilisée par les établissements d’enseignement supérieur comme un outil d’aide à la décision. Elle pourrait permettre de réaliser un bilan des usages numériques des enseignants, d’identifier les usages à développer en priorité et d’inciter les enseignants à intégrer ces usages dans leurs cours. Les priorités pourraient être décidées en fonction de la filière, des innovations technologiques en cours de diffusion dans le secteur économique concernée ou des usages numériques prévalents dans les emplois visés par les étudiants.
Nous pouvons prendre pour exemple les outils numériques qui sont utilisés de manière sporadique par les enseignant·e·s alors qu’ils ont un intérêt pédagogique important. Rappelons ici que ce qui permet de faire la différence entre utilisation et usage est le critère de stabilité. Les enseignants pourraient être invités à placer leurs différents usages sur une échelle qui détaille la fréquence d’utilisation. Cela permettrait d’identifier les usages ponctuels de ceux qui sont ancrés, afin de mettre en place des mesures concrètes qui permettent de développer les usages ponctuels si ceux-ci ont un intérêt pédagogique fort dans le contexte donné.
Pour ce qui est des perspectives de recherche, il serait intéressant d’explorer d’éventuelles différences dans les usages du numérique selon les établissements et d’ainsi étudier l’aspect systémique de l’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement-apprentissage.
Nous pensons qu’il serait intéressant d’étudier les potentielles corrélations entre les usages des enseignants et d’autres variables que celles présentées dans cette étude. Nous pouvons notamment citer la maturité numérique, les compétences numériques, le niveau techno pédagogique, le sentiment de compétence ou encore la formation initiale et continue. Des analyses statistiques plus poussées pourraient également être effectuées afin de comparer les échantillons.
Pour davantage comprendre l’intégration du numérique dans les pratiques des enseignants du supérieur, il serait nécessaire d’analyser de manière plus détaillée et approfondie leurs usages et les dispositifs dans lesquels ils prennent place. Ainsi des recherches-actions ou des recherches expérimentales pourraient être menées pour améliorer les pratiques pédagogiques.
Enfin, la mise en place d’études similaires dans d’autres pays francophones et anglophones, à plus larges échelles, permettrait de comprendre davantage les usages du numérique dans l’enseignement supérieur. Et ce, sur base de la typologie préalablement établie, revue et améliorée en fonction des retours des enseignants.
6. Conclusion
Notre étude sur les usages du numérique des enseignants de hautes écoles suisses et belges a révéler que les quatre catégories d’usages principales qui dominent les classements sont la « Transmission/réception, la « Recherche », la « Création », l’ » Exercisation » (usages apprenants) et l’ » organisation » (usages enseignants). Ces choix laissent à penser que l’enseignement reste majoritairement magistral et transmissif, et que l’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement-apprentissage a davantage modifié l’accès aux ressources et la création des supports que les méthodes d’enseignement ou les rôles des enseignants et des apprenants. La progression vers des usages plus interactifs ne semble donc pas s’être accélérée suite à la COVID-19.
Cette recherche a également mis en avant le fait que les enseignants décrivent mieux des exemples qui correspondent à la catégorie d’usage sélectionnée en lien avec leurs propres usages que des exemples qu’ils sollicitent de leurs étudiants.
En outre, contrairement aux résultats de la recherche menée par Lameul et Heutte (2010), environ un tiers des répondants soulignent à la fois l’aspect technique et l’aspect pédagogique des formations suivies en lien avec l’intégration du numérique. L’aspect pédagogique semble donc prendre davantage d’importance qu’il y a une dizaine d’année.
Enfin, la typologie des usages utilisée dans le cadre de cette recherche semble couvrir les usages des enseignants et ceux qu’ils sollicitent de leurs étudiants. Plusieurs modifications ont été proposées par les enseignants et y seront intégrées.
Ces constats sont cruciaux afin de réfléchir aux pistes et perspectives pour soutenir l’intégration du numérique dans les pratiques des enseignants du supérieur. Ils peuvent éclairer les responsables des établissements supérieurs en Belgique et en Suisse, ainsi que les politiques, quant à la situation actuelle et établir différents scénarios pour tendre vers un enseignement moins transmissif.
Pour ce qui est des perspectives de recherche, il serait intéressant d’explorer d’éventuelles différences dans les usages du numérique selon les établissements et d’étudier l’aspect systémique de l’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement-apprentissage. Des analyses plus approfondies des pratiques des enseignants notamment au niveau du lien avec la maturité numérique des enseignants, leurs compétences numériques et leur niveau techno pédagogique ou encore sur les dispositifs dans lesquels ils sont implémentés pourraient également être effectuées. Enfin, la mise en place d’études similaires dans d’autres pays francophones et anglophones, à plus larges échelles, permettrait de comprendre davantage les usages du numérique dans l’enseignement supérieur.
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