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Influence des caractéristiques individuelles sur la réussite académique au sein d’un système pédagogique sélectif

2 novembre 2015 par Hervé Leyrit Retours d’expériences 4872 visites 0 commentaire
Notre étude porte sur l’impact de la personnalité, la motivation autodéterminée et le sentiment d’incompétence sur la réussite des élèves de 1ère année d’une école d’ingénieurs en cinq ans. Les implications théoriques et pratiques de ces caractéristiques insistent sur l’impact du système de sélection en école d’ingénieurs.


Mots-clés : Personnalité, Big five, sentiment d’incompétence, motivation autodéterminée, réussite

Hervé Leyrit

Institut Polytechnique LaSalle Beauvais, Beauvais, France
Herve.leyrit [at] lasalle-beauvais.fr

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Un article publié au VIIIe Colloque des Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur, Brest, 17, 18 et 19 Juin 2015.

I. INTRODUCTION

Dans cet article, nous tenterons d’étudier l’impact de plusieurs variables sur la réussite en fin de première année d’une formation d’ingénieur en cinq ans. Les caractéristiques individuelles retenues sont les traits de personnalité, les sentiments de compétence et d’incompétence, ainsi que les facteurs de motivation des étudiants vis-à-vis de leurs études. Pour cela, nous nous appuyons sur le modèle du Big Five [Costa et McCrae, 1985] et la théorie de l’autodétermination [Deci et Ryan, 1985 ; 2008].

II. PROBLEMATIQUE

Le modèle des cinq facteurs de personnalité ou Big Five est une approche axée sur l’analyse statistique des qualificatifs décrivant les personnes. Cinq dimensions essentielles sont répertoriées : Extraversion, Névrotisme, Ouverture, Agréabilité et Conscience. Elles matérialisent des entités stables (des traits) de la personnalité à l’âge adulte [John et Srivastava, 1999]. Par exemple, les individus obtenant un score élevé sur l’échelle d’Extraversion ont tendance à rechercher un maximum d’activités, de sensations, de contact social et d’échange avec leur environnement. Les individus qui ont un score élevé sur l’échelle de Névrotisme tendent à ressentir des émotions négatives telles que l’anxiété, la culpabilité et sont caractérisés par une faible estime d’eux-mêmes. Les personnes avec des scores élevés en Ouverture tendent à être ouvertes à la nouveauté, tolérantes, très curieuses et ont plutôt une attitude non conformiste. Les scores élevés sur l’échelle d’Agréabilité reflètent des personnes chaleureuses, amicales, empathiques et altruistes alors que les individus ayant des scores élevés de Conscience sont raisonnables, organisés, contrôlent leurs impulsions, sont capables d’agir à long terme et de supporter les efforts nécessaires pour parvenir à leurs buts [Rolland, 2004].
Plusieurs travaux récents ont établi l’existence d’un lien entre les traits de la personnalité telles qu’elles sont mesurées par le Big Five et la performance académique telle que mesurée par les grades dans les études universitaires ou équivalent (GPA). En particulier, cinq méta-analyses mettent en évidence que la dimension Conscience présente toujours des corrélations positives avec la performance (grades et GPA) dans la gamme 0,19–0,27 [O’Connor et Paunonen, 2007 ; Poropat, 2009 ; Richardson, et al, 2012 ; Trapmann et al, 2007 ; Vedel, 2015]. Or, la dimension Conscience est souvent interprétée en termes de motivation c’est-à-dire de choix de faire un effort, de niveau d’effort et de persistance de cet effort [Campbell, 1990 ; Chamorro-Premuzic et Furnham, 2005]. Les quatre autres traits de personnalité ont des résultats mitigés : l’Ouverture à l’expérience est plutôt légèrement positive, l’Extraversion est plutôt légèrement négative, le Névrotisme est plutôt légèrement négatif et l’Agréabilité est plutôt légèrement positive.
Aussi, nous faisons l’hypothèse H1 qu’il existe une corrélation entre les résultats scolaires et les traits de personnalité, en particulier le trait Conscience.
La motivation aux études est une clé déterminante de la réussite scolaire [Komarraju et al, 2009]. La motivation peut être décrite sous l’aspect de la théorie de l’autodétermination [Deci et Ryan 1985 ; 2008, Ryan et Deci, 2000] qui distingue différents degrés d’autodétermination qui sous-tendent le comportement. La motivation est conceptualisée comme un continuum allant du degré d’autodétermination le plus faible (l’amotivation) au degré le plus élevé (la motivation intrinsèque) en passant par différents stades de motivations extrinsèques (externe, introjectée, identifiée et intégrée). Selon cette théorie, l’origine de la motivation peut être interne aux individus, donc à rechercher dans les besoins de l’organisme (compétence, autonomie) ou bien d’origine externe c’est-à-dire sous l’influence déterminante de l’environnement [Ryan et Deci, 2000]. Pour Komarraju et al. [2009], seule la motivation intrinsèque explique 4% de la variance de la performance représentée par le Grade Point Average (GPA) alors que pour Chédru [2013], seule l’amotivation explique 5% de la variance de la moyenne annuelle des élèves ingénieurs de l’ISMANS. De ce fait, nous faisons l’hypothèse H2a que la motivation intrinsèque est associée positivement à la performance et l’hypothèse H2b que l’amotivation est liée négativement à la réussite académique.
Dans un contexte scolaire, la réunion de la compétence perçue et du sentiment d’autodétermination donne une motivation intrinsèque mais la diminution de l’un de ces facteurs implique que l’individu s’oriente vers la motivation extrinsèque. Ryan et Deci [2000] ont attiré l’attention sur des besoins qui peuvent amplifier la motivation. Le sentiment de compétence se définit comme un jugement qu’une personne porte sur ses capacités à atteindre un type de performance donnée dans un contexte donné. Ainsi, un élève qui a une bonne opinion de sa compétence désire entreprendre des activités dont le niveau de difficulté est moyen ou élevé plutôt que faible car celles-ci lui donnent l’occasion d’évaluer plus précisément sa compétence et de progresser [Lens, 1991]. Inversement, les élèves en difficulté visent à protéger leur estime de soi, leur compétence et leur valeur personnelle. C’est par ce biais que les émotions jouent un rôle important. Aussi, généralement, ils fournissent moins d’effort ou procrastinent [van Eerde, 2003 et 2004].
Nous faisons l’hypothèse H3a que le sentiment de compétence est corrélé avec les résultats académiques et H3b que le sentiment d’incompétence est anti-corrélé à la moyenne annuelle.

III. METHODOLOGIE

III.1 Participants
Les données ont été recueillies auprès de 3 promotions successives de première année d’ingénieurs en géologie à LaSalle Beauvais. Le taux de participation est de 95% (214 des 226 élèves inscrits). La gamme d’âge est comprise entre 16 et 19 ans avec une répartition homme-femme équilibrée (53,8 % d’hommes).

III.2 Instrumentation et procédure
La performance académique sera considérée par la moyenne des résultats scolaires ce qui a l’avantage d’agréger plusieurs composantes d’une même dimension. La moyenne retenue est celle des résultats à la fin de l’année scolaire.
Le modèle des « Big Five » rencontre aujourd’hui un large consensus pour l’évaluation de la personnalité. Le Big Five Inventory (BFI), développé par John et al. [1999], a été traduit et validé en France (BFI-Fr) sur un échantillon de 2499 étudiants [Plaisant et al, 2009].
S’appuyant sur la théorie de l’autodétermination [Deci et Ryan, 1985 ; 2000], la motivation est déclinée en sept dimensions et comporte 21 items [Chédru, 2011]. Elle distingue sept construits : la motivation intrinsèque, les motivations extrinsèques par régulation i) identifiée (altruisme), ii) introjectée (ego et conscience) et iii) externe (sécurité et prestige social) et enfin l’amotivation. Pour notre étude, l’ensemble des dimensions ont des valeurs alpha de Cronbach compris entre 0,708 et 0,844, conformes aux données de Chedru [2011].
Le sentiment de compétence est approché par deux dimensions complémentaires intégrant des approches négative et positive. L’approche négative ou sentiment d’incompétence est basée sur 4 items agrégeant le doute sur ses capacités et des difficultés ressenties dans trois domaines (géologie, sciences en général et expression écrite). L’approche positive ou sentiment de compétence comprend 4 items agrégeant la croyance dans ses capacités pour réussir et des facilités dans différents domaines (géologie, matières concrètes, matières abstraites). L’échelle de Likert est basée sur 6 niveaux, noté de 1 à 6.
Tous les tests ont été passés lors d’une séance spécifique sur PC en groupe de travaux dirigés. Les étudiants sont prévenus de la confidentialité des données personnelles et de l’utilisation des données sur une base de comparaison statistique. Ils ont la possibilité de ne pas remplir les tests s’ils le souhaitent.

IV. RESULTATS ET INTERPRETATION

IV.1 Analyse descriptive
La performance scolaire présente une distribution normale avec une moyenne scolaire des trois promotions à 11,75 ± 1,45 sur 20.
Pour les différents traits de personnalité, les valeurs moyennes des 214 élèves de premières années sont de 3,3 ± 0,7 pour l’Extraversion, 4,0 ± 0,6 pour l’Agréabilité, 3,5 ± 0,7 pour la Conscience, 2,7 ± 0,8 pour le Névrotisme et 3,7 ± 0,6 pour l’Ouverture. Elles diffèrent des valeurs de référence de France [Plaisant et al. 2009] pour l’Agréabilité (z = 2,45 ; p ≤ 0,01), l’Ouverture (z = 3,80 ; p ≤ 0,001) et le Névrotisme (z = -5,62 ; p ≤ 0,001). La population des étudiants de 1ère année est donc, en moyenne, plus chaleureuse, empathique, altruiste mais aussi plus ouverte et curieuse ainsi que plus confiante et moins anxieuse que la population de référence.
Par ailleurs, les moyennes obtenues pour les sept types de motivation autodéterminée indiquent que les scores des élèves sont plus élevés que la borne centrale (délimitée par le chiffre 4) pour 4 des 7 sous-échelles. Ainsi, les valeurs moyennes sont de 5,0 ± 0,6 pour la motivation intrinsèque de la connaissance, 4,3 ± 0,8 pour la motivation identifiée altruiste, 4,0 ± 0,9 pour la motivation introjectée d’égo, 3,7 ± 1,1 pour la motivation introjectée de conscience, 4,4 ± 1,0 pour la motivation externe de sécurité, 3,6 ± 0,9 pour la motivation externe de prestige et 1,5 ± 0,7 pour l’amotivation. La valeur moyenne de la motivation extrinsèque est de 4,1 ± 0,5. Ces résultats signifient que les élèves de 1ère année sont plutôt motivés de manière autodéterminée mais que la motivation extrinsèque n’est pas négligeable.
Enfin, le sentiment d’incompétence vaut 3,86 ± 0,69 alors que le sentiment de compétence est de 5,60 ± 0,93.

IV.2 Test de comparaison
Lors de notre analyse préliminaire, nous avons vérifié pour chaque variable que les 3 promotions sont quasi-identiques. Pour cela, nous avons employé le test post-hoc de Bonferonni d’analyse de variance. Pour un seuil de signification fixé à p < 0,05, aucune différence significative n’est notée. On considère par la suite que les étudiants de première année forment une population homogène.

IV.3 Corrélations
Nous avons fait des analyses de corrélation afin de documenter les relations qui existent entre les différentes variables du modèle.
Pour ce qui est des résultats annuels de première année, nous observons pour les traits de personnalité une corrélation significative uniquement pour la dimension Conscience (r = 0,502, p ≤ 0,001). Par ailleurs, la performance académique présente des corrélations négatives avec l’amotivation (r = -0,201, p ≤ 0,01) et la motivation introjectée d’égo (r = -0,137, p ≤ 0,05). Enfin, le sentiment d’incompétence (perception négative) présente une corrélation négative (r = -0,386, p ≤ 0,001) avec la moyenne annuelle.
La motivation intrinsèque est corrélée aux traits de personnalité Conscience (r = 0,202, p ≤ 0,01) et Ouverture (r = 0,203, p ≤ 0,01). La motivation identifiée est corrélée à l’Agréabilité (r = 0,278, p ≤ 0,01), l’Ouverture (r = 0,188, p ≤ 0,01) et la Conscience (r = 0,135, p ≤ 0,05). La motivation externe de prestige est corrélée avec l’Extraversion (r = 0,203, p ≤ 0,01) et la Conscience (r = 0,183, p ≤ 0,01). Enfin, l’amotivation est anti corrélée à la Conscience (r = -0,376, p ≤ 0,001) et corrélée à l’Ouverture (r = 0,181, p ≤ 0,01).
La motivation intrinsèque est corrélée au sentiment de compétence (r = 0,302, p ≤ 0,001) et anti-corrélée au sentiment d’incompétence (r = -0,251, p ≤ 0,001). A l’inverse, l’amotivation est anti-corrélée au sentiment de compétence (r = -0,137, p ≤ 0,05) et corrélée au sentiment d’incompétence (r = 0,312, p ≤ 0,001). Le sentiment de compétence est également corrélé avec la motivation introjectée d’égo (r = 0,193, p ≤ 0,01), la motivation introjectée de conscience (r = 0,156, p ≤ 0,05) et la motivation externe de prestige (r = 0,211, p ≤ 0,01).
Le sentiment d’incompétence présente une corrélation négative avec la Conscience (r = -0,321, p ≤ 0,001) et une corrélation positive avec le Névrotisme (r = 0,234, p ≤ 0,001). Quant au sentiment de compétence, il est anti-corrélé au Névrotisme (r = -0,281, p ≤ 0,001) et corrélé à l’Extraversion (r = 0,157, p ≤ 0,05).

IV.4 Régressions
Nos résultats ont été complétés à l’aide d’analyses de régression multiple pour étudier le pouvoir explicatif des traits de personnalité sur la motivation, des traits de personnalité sur la performance, de la motivation sur la performance et de l’ensemble motivation-personnalité-sentiment de compétence sur la performance.
Le pouvoir explicatif des variables du Big Five au sein de la variance "motivation intrinsèque" est de 7,2% avec un taux de significativité inférieur à 0,01 avec F (5, 209) = 4,526. Les variables Ouverture (β = 0,222 ; p < 0,01) et Conscience (β = 0,217 ; p < 0,01) sont les plus contributives. D’autre part, les résultats de l’analyse de régression confirment que les variables du Big Five parviennent à expliquer 4,8% de la motivation extrinsèque (avec F(5, 209) = 3,181), essentiellement par les variables Extraversion (β = 0,192 ; p < 0,01) et Conscience (β = 0,186 ; p < 0,01). Enfin, les variables du Big Five permettent d’expliquer 16,1% de la variance de l’amotivation avec un taux de significativité inférieur à 0,01 avec F(5, 209) = 9,224. L’explication est due aux variables Conscience (β = -0,367 ; p < 0,01) et Ouverture (β = 0,159 ; p < 0,05). Un individu est d’autant plus amotivé que son score en Conscience diminue et que son score en Ouverture augmente.
D’autre part, les variables du Big Five permettent d’expliquer 25,3% de la variance de la performance avec un taux de significativité inférieur à 0,01. La variable Conscience (β = 0,502 ; F (5, 209) = 15,50 ; p < 0,01) est la plus contributive.
L’ensemble des sept variables de la motivation permet d’expliquer 5,7% de la variance de la moyenne du cursus avec un taux de significativité inférieur à 0,01 soit F (7, 207) = 2,860. L’explication est due aux variables de motivation extrinsèque par régulation de l’égo (β = -0,190 ; p < 0,05) et d’amotivation (β = -0,180 ; p < 0,05) dont les influences sur la moyenne du cursus sont négatives.
A l’aide d’une régression hiérarchique, nous avons souhaité vérifier que le sentiment de compétence et la motivation expliquent la performance au-delà des dimensions de la personnalité. Alors que 25,3% de la variance de la performance est expliqué essentiellement par la contribution de la dimension Conscience du Big Five, le sentiment d’incompétence associé au Névrotisme explique 6,5% de variance supplémentaire et les types de motivation expliquent 3,2% de variance supplémentaire. Au total, le modèle explique 34,2% de la performance académique de 1ère année lorsque l’effet des variables du Big Five est contrôlé. Il s’agit d’une contribution significative au seuil 0,01. Les variables les plus contributives sont la variable Conscience (β = 0,433 ; p < 0,01), le sentiment d’incompétence (β = -0,280 ; p < 0,01), le Névrotisme (β = 0,200 ; p < 0,01), la motivation extrinsèque par régulation de l’égo (β = -0,223 ; p < 0,01). Alors que les dimensions Conscience et Névrotisme ont une influence positive sur la moyenne annuelle du cursus, les variables sentiment d’incompétence et motivation introjectée d’égo ont quant à elles une influence négative.
Cette dernière analyse met également en évidence le rôle de médiateur partiel du sentiment d’incompétence entre les variables de la personnalité, en particulier la Conscience, et la performance académique. En effet, selon la méthodologie de Baron et Kenny [1986], nous avons montré que les trois variables ont des corrélations mutuelles significatives (voir IV.3). Par ailleurs, l’introduction de la variable sentiment d’incompétence se traduit par une diminution de la signification statistique de la Conscience (passage de β = 0,506 à β = 0,433) sur la prédiction de la performance académique.

V. DISCUSSION ET CONCLUSION

Notre étude a porté sur les facteurs qui impactent la réussite des élèves inscrits en première année d’une école d’ingénieurs en cinq ans. Pour cela, trois promotions successives (214 élèves) ont complété des questionnaires de personnalité (Big Five), de sentiment de compétence et de motivation autodéterminée. Dans notre étude, les traits de personnalité permettent d’expliquer 25,3% de la variance de la performance alors que dans les travaux antérieurs, les dimensions du Big Five expliquent 10 à 15% de variance de la performance [Chamorro-Premuzic et Furnham, 2003 ; Komarraju et al, 2009]. Ce pouvoir explicatif plus élevé peut s’expliquer par la mesure de la performance par les moyennes annuelles au lieu des GPA et/ou par la population d’ingénieurs qui diffèrent des étudiants en psychologie, population généralement interrogées dans les études anglo-saxonnes. Par ailleurs, la dimension Conscience a une forte influence positive sur la performance académique (hypothèse H1 vérifiée). Ainsi, la moyenne annuelle est d’autant plus élevée que les étudiants sont ambitieux, exigeants, disciplinés, organisés et persévérants. Il s’agit d’un trait de personnalité c’est-à-dire stable dans le temps et indépendant des situations (académique ou extra-académique). La grande homogénéité de la population utilisée dans notre étude aussi bien en termes d’âge, de niveau d’étude, de domaine d’étude spécifique (géologie) que de culture ne semble pas être une limite à la généralisation de nos résultats car la méta-analyse de Trapmann et al. [2007] a mis en évidence que seule la dimension Conscience de la personnalité est corrélée avec les mentions (GPA ou équivalent) sans effet modérateur de la spécialisation choisie (Major), de l’âge ou de la culture.
En ce qui a trait au lien présumé entre la performance scolaire et la motivation intrinsèque (hypothèse H2a), aucune relation n’a été validée. Cette absence de lien statistique s’explique par les hautes valeurs obtenues sur cette dimension pour la quasi-totalité de l’échantillon. De ce fait, la motivation intrinsèque n’est pas le critère qu’explique la répartition des moyennes annuelles. Pour notre hypothèse H2b, l’étude de régression multiple à 7 variables de motivation montre que l’amotivation est une variable prédictive de la performance. Elle est associée à la motivation extrinsèque introjectée par l’égo pour expliquer 5,7% de la variance de la moyenne annuelle en première année. Nous interprétons ce lien significatif entre performance et amotivation plutôt qu’avec la motivation intrinsèque comme un indicateur d’un système sélectif plutôt basé sur l’élimination des individus amotivés. De plus, les analyses de régression sur la motivation indiquent qu’un individu est d’autant plus amotivé que son score en Conscience diminue et que son score en Ouverture augmente. Ainsi, l’amotivation se caractérise par l’absence de mécanisme de régulation. Ces personnes supportent difficilement les contraintes et l’absence de récompense immédiate liées aux objectifs à long terme. Elles ont tendance à procrastiner. Elles aiment faire les choses à leur manière et quand bon leur semble. Ces individus peuvent être perçus comme ayant des difficultés à tenir leur engagement, comme manquant d’autodiscipline, d’organisation, de persévérance [Rolland, 2004]. Selon Ryan et Deci [2000], la motivation par régulation introjectée est reliée positivement aux efforts fournis mais elle est également associée à plus d’anxiété et de difficultés à faire face en cas d’échec.
Enfin, l’analyse de régression la plus complète montre que les traits Conscience et Névrotisme, le sentiment d’incompétence (hypothèse H3b) et la motivation extrinsèque introjectée d’égo expliquent 34,2% de la variance de la moyenne scolaire annuelle. Ainsi, l’introduction du sentiment d’incompétence annule le pouvoir explicatif de l’amotivation, tout en augmentant le rôle du trait Névrotisme. Ainsi, ces étudiants croient qu’ils ont de faibles capacités et qu’ils sont dans l’impossibilité d’obtenir des résultats malgré leurs efforts. Cela est fortement associé à une large gamme d’émotions négatives. Ces étudiants génèrent un univers cognitif fait de pessimisme, de contrariétés, de difficultés, d’inquiétudes, d’insatisfaction, de mauvaise estime de soi et de réalité menaçante. Ces étudiants ont tendance à être affectés cognitivement et émotionnellement de manière intense et durable par des évènements que d’autres considèrent comme peu importants [Rolland, 2004].
Ainsi, d’un point de vue théorique, nos résultats montrent que dans un système sélectif français de type ingénieur, certains traits de personnalité (faible Conscience et fort Névrotisme) et l’amotivation sont les variables qui ont une incidence majeure sur la performance académique lors d’une première année. Ces résultats sont cohérents avec ceux de Chédru [2013] obtenus sur les ingénieurs de l’ISMANS dont le système pédagogique présente des critères sélectifs comparables. Par ailleurs, le sentiment d’incompétence est un médiateur partiel entre la Conscience et la réussite scolaire en première année d’école d’ingénieurs.
D’un point de vue pratique, compte tenu de la stabilité des traits de personnalité et en considérant que le système pédagogique sélectif soit conservé, on peut envisager d’utiliser des tests de personnalité dans le processus de recrutement des élèves soit de manière directe par l’utilisation des questionnaires, soit de manière indirecte en intégrant des questions spécifiques lors des entretiens du processus de sélection ou bien en analysant certains éléments des dossiers scolaires comme, par exemple, les commentaires des enseignants. Dans le cas des entretiens, les questions peuvent toucher toutes les sphères de la vie, en particulier les activités extrascolaires (loisirs, culture, sport, voyage…). L’objectif est donc, au sein d’une population intrinsèquement motivée, de ne pas recruter les personnes qui évitent les situations de compétition ou les situations comportant un enjeu parce qu’elles se focalisent sur l’éventualité d’un échec et de ses conséquences. Ces personnes sont très sensibles à leurs envies mais ont du mal à se contrôler.
Pour aller plus loin, nos résultats invitent à pousser la réflexion sur le choix du système pédagogique dominant (compétitif vs coopératif) et son adéquation aux débouchés de l’école. En effet, on peut aussi considérer que les critères de sélection du système pédagogique ne sont pas adaptés car éliminant certaines personnalités à haut potentiel à l’aise dans les environnements coopératifs plutôt que compétitifs. De ce fait, la moyenne annuelle pourrait être basée sur d’autres critères ou avec une pondération différente des critères d’évaluation. Ainsi, par exemple, la part de contrôle continu ou d’évaluation formative pourrait être augmentée afin de réguler la peur de l’échec. Une autre manière serait d’augmenter la part des évaluations basée sur la coopération lors des travaux en groupe.
Les résultats de notre étude mettent en évidence que les écoles d’ingénieur tendent à utiliser des critères de sélection basés sur la peur de l’échec, eux-mêmes favorisés par un système d’évaluation basé sur le classement et la compétition. La société actuelle n’a-t-elle pas besoin d’autres critères ?

REFERENCES

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