Cette chronique est dans la droite ligne et se nourrit des recherches et rencontres publiées sur mon site Les cahiers de l’imaginaire.
Nous nous plaignons souvent du fait que notre mémoire flanche. Nous avons parfois l’impression que nos souvenirs s’évaporent, ou au contraire, réapparaissent soudainement au moment où l’on s’y attend le moins.
On oublie que le fait même de se souvenir est une construction continuelle. Nous revisitons constamment notre mémoire et, à chaque fois, nos souvenirs sont revus, corrigés, reclassifiés.
Nous sortons de ces voyages dans le temps quelque peu étourdis, avec au cœur un voile de tristesse ou, à l’inverse, la conscience nimbée d’une lumière heureuse à l’évocation d’événements réjouissants, de petits souvenirs que nous pensions perdus.
Sans que nous en ayons conscience, c’est avec des émotions que nous construisons notre mémoire. Et, par un effet de complémentarité et de renforcement, nos souvenirs consolident nos émotions. Nos émotions et notre cerveau coconstruisent notre mémoire.
Une étude italienne récente de Deborah Pascuzzi et d’Andrea Smorti met en lumière l’importance du récit autobiographique pour réguler nos émotions.
Mais qu’entend-on au juste par régulation ? Sur le plan psychologique, la régulation d’une émotion implique :
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La prise de conscience et la compréhension d’une émotion.
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Son acceptation.
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La capacité à contrôler notre comportement lorsqu’une émotion négative se manifeste.
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Le recours à différentes stratégies afin de réguler nos émotions en fonction d’une situation donnée.
Nous utilisons principalement deux stratégies pour réguler nos émotions :
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La réinterprétation cognitive : réviser la signification accordée à une émotion afin d’en modifier le ressenti.
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La suppression expressive : contrôler, voir supprimer le comportement déclenché par la manifestation d’une émotion.
Le récit autobiographique est un des meilleurs outils à notre disposition pour tenter de mieux nous comprendre. Nous y avons recours de manière consciente lorsque nous décidons d’y mettre la forme et d’en faire un exercice de rédaction formel. Mais, consciemment ou pas, et souvent de manière implicite par le biais d’une petite voix intérieure, nous amorçons le récit de soi dès la fin de l’adolescence en tentant de reconstruire notre passé pour envisager un futur qui est cohérent et qui a du sens.
Écrire, structurer le récit de soi exige un effort particulier. Le récit autobiographique exige d’externaliser nos souvenirs selon une structure et de se plier à des règles narratives.
Le récit autobiographique est un artefact culturel. Et une extériorisation de l’intérieur de l’individu vers l’extérieur.
Deux vases communicants
La mémoire influence la régulation de nos émotions. Et nos émotions influencent à leur tour notre mémoire selon un mouvement de va-et-vient continuel, à l’instar de deux vases communicants.
La régulation de nos émotions joue un rôle clé dans l’encodage et la récupération de nos souvenirs autobiographiques. La réinterprétation cognitive semble particulièrement efficace pour nous permettre d’interpréter de manière positive les évènements importants de notre vie. À l’inverse, le recours à la suppression expressive provoque, paradoxalement, l’effet contraire que celui initialement recherché : elle nous fait revivre d’abord et avant tout les événements négatifs de notre vie, ceux-là mêmes que nous souhaitions oublier.
Or, le récit autobiographique favorise justement l’emploi de la stratégie de la réinterprétation cognitive, car il est une co-construction activement influencée par celui à qui le récit est destiné.
Le récit autobiographique en tant qu’outil de régulation de nos émotions agit à différentes occasions :
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Lorsqu’un événement se produit.
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Lorsque cet événement est encodé dans la mémoire.
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Lorsque l’on se souvient de l’événement en question.
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Lorsque le souvenir de l’événement est raconté à quelqu’un.
Les émotions, régulées de la sorte, permettent d’encoder correctement les souvenirs, de les récupérer et apporte plus de cohérence à notre vie. Ainsi, nos antécédents ne nous échappent plus ; la réinterprétation cognitive nous permet de les apprivoiser et de leur donner un sens. Si cet exercice est répété plusieurs fois, nos émotions sont revisitées, réorganisées en fonction du sens constructif et de la cohérence que nous leur donnons.
Les anneaux de saturne est un roman écrit par W.G.Sebald. C’est un roman qui n’en est pas un. Il s’agit plutôt d’une nébuleuse d’histoires et de rêves évanouis. L’écrivain, interviewé par Joseph Como, tente de s’expliquer sur le mode opératoire auquel il a eu recours pour la rédaction du livre. Cette technique, qu’il apparente à la balade errante d’un chien, peut être employée avec profit dans le processus d’élaboration d’un récit autobiographique.
Un chien, lors d’une promenade, donne museau à l’avenant, et se précipite partout où son flair l’y invite. Sa trajectoire est en apparence erratique. Elle est impossible à retracer. Pourtant, souligne Sebald, invariablement, le chien finit toujours par trouver ce qu’il cherche.
Il en est de même de nos souvenirs. Un souvenir en entraîne un autre. La contemplation d’une photo nous entraîne dans le passé, nous rappelle un lieu que l’on a autrefois fréquenté. Petit à petit, des connexions se créent. Souvent, il faut se creuser les méninges pour repérer le lien entre un objet et un souvenir lointain. Mais, si on se laisse attirer par ce qui nous intrigue, si on y accorde suffisamment de temps, une toile finit par se tisser. Il suffit de se laisser guider par la curiosité. Les petites révélations ainsi se succèdent et font parfois place à de plus grandes. Des surprises nous attendent.
Faiseurs de traces
Dans son livre, Un éloge de la marche, Macfarlane nous fournit une autre piste utile pour la construction de notre récit autobiographique.
Il débute son livre en nous rappelant que l’homme est un animal. Et qu’en tant que tels, nous laissons partout des traces de notre passage. Nous sommes des faiseurs de traces. Notre parcours est différent de ceux de nos ancêtres, et les parcours que nous empruntons ont bien changé au cours des siècles, mais nous laissons derrière nous une multitude de traces qu’il suffit de repérer et d’interpréter.
Nous sommes aussi les descendants de chasseurs-cueilleurs : une autre métaphore utile dans la pratique de l’autobiographie. Le chasseur à la poursuite de sa proie, c’est-à-dire lui-même. Sur la piste des traces qu’il a lui-même laissées derrière lui au fil des ans : des objets, des photos, des souvenirs. Autant d’artefacts qu’il a laissés derrière lui et qui lui permettent de reconstituer ce qu’il a été, ce qu’il est devenu et ce qu’il est en voie de devenir.
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