Un nouvel Accord national interprofessionnel (ANI) a été conclu le 22 février dernier pour l’accompagnement des évolutions professionnelles, l’investissement dans les compétences et le développement de l’alternance.
Si les acteurs, syndicats et ministère du Travail, continuent actuellement de discuter plusieurs points spécifiques afin d’élaborer le projet de loi définitif, il est une chose sur laquelle tous sont d’accord : la nouvelle définition d’une action de formation.
En effet, selon l’article 33 de cet ANI, l’action de formation s’entendrait désormais comme
« le processus pédagogique d’apprentissage par lequel tous les moyens sous quelque forme que ce soit sont déployés au regard de la situation de la personne pour lui permettre d’adapter, d’acquérir ou de développer des compétences professionnelles ou d’obtenir une qualification, sur la base d’objectifs préalablement déterminés ».
Cette définition a ceci d’intéressant qu’elle s’ancre dans le monde contemporain du travail et rompt avec la vision linéaire et mécaniste de la formation.
Demandez le programme !
Tout d’abord, si nous revenons aux origines et à la perspective antérieure de la formation, l’Article L6353-1 du code du travail stipulait qu’une action de formation devait répondre à quatre caractéristiques : la définition d’objectifs, l’élaboration d’un programme de formation, la définition des moyens (pédagogiques, techniques et d’encadrement) à mettre en œuvre et l’élaboration du dispositif de suivi de l’exécution de la formation comme des résultats obtenus (à comprendre ici comme le système évaluation à déployer).
Cette manière de comprendre la formation a été critiquée dès 2011 dans un article académique (Alves, 2011), considérant que cette définition de l’action de formation était réductrice, voire contre-productive.
En effet, s’il suffisait de déployer un programme (de formation) pour transformer les compétences d’un individu, nous serions tous à l’heure actuelle des personnes compétentes ! Cet automatisme est en réalité mis à mal par les marques du monde moderne dans les organisations de travail (voir notamment les travaux de Boutinet, 2005) parmi lesquelles l’on retrouve la discontinuité, l’imprévisibilité, la complexité (voire la complexification), l’immédiateté ou encore l’instantanéité.
Ceci amène certains auteurs à penser que gérer l’évènement et l’imprévu (Zarifian, 2001) constitue désormais le quotidien des individus dans leurs organisations.
Or, l’action de formation ne pouvait/ne peut échapper à ces phénomènes. Les actions de formation composent en effet avec le groupe d’apprenants, avec les contextes organisationnels de ces derniers comme avec les contextes de formation, avec les limites (temporelles et financières) imposées ou négociées qui imposent de suivre un programme « sans possibilité de déborder », avec les questions (parfois imprévues et inattendues) qui émergent des stagiaires, avec les objectifs négociés en amont qui peuvent différer des besoins immédiats exprimés par les apprenants…
Bref, construire et animer une action de formation ne peut se résumer au seul découpage séquentiel et organisé des thèmes à aborder d’une part (le programme), pour produire les nouvelles compétences visées d’autre part. Ce que pourtant sous-entend le programme de formation (voir pour plus de détails le Guide des Organismes de Formation établi par le gouvernement en 2011).
Aussi, en défendant le bannissement du programme de formation dans la définition de l’action de formation, nous défendions dès 2011 l’idée d’une transition vers une approche moins normative et déterministe de ce type de processus. À l’instar du programme, nous proposions plus volontiers à l’époque l’élaboration d’une carte conceptuelle en guise de contenu de formation.
Cette pratique, que la nouvelle définition de l’action de formation autorise entre les lignes, permet plus facilement une co-construction de l’action de formation, entrant en résonance avec les stagiaires de la formation, leurs profils, leurs attentes et leurs besoins qui sont, par essence, protéiformes. Cette pratique en particulier semble in fine plus adaptée au contexte actuel car elle est agile et permet de gérer plus facilement ces marques du monde moderne que nous décrivions précédemment.
Apprendre hors des frontières
Les différentes formes que peut adopter le processus pédagogique a également été précisé dans l’ANI et élargit le spectre précédent (voir Article L6353-1 du code du travail) : si le présentiel et le distanciel demeurent, des dispositifs moins formels et la formation en situation de travail sont désormais acceptés. En cela, cette pluralité de formes permet de penser hors des frontières spatiales et temporelles pour l’apprentissage.
Car, c’est bien ainsi que les choses se passent aujourd’hui : un individu apprend en toute situation, au fil de ses expériences, au fil de ses lectures, au fil de ses observations, au fil de ses réflexions, au fil de ses conversations, etc. De surcroît, du fait de la forte croissance des flux d’informations et de l’exposition technologique grandissante !
Ces phénomènes transforment notre rapport au savoir et à la connaissance (Carré, 2016 ; Charbonnier, 2016) au moins sur deux niveaux. En premier lieu, il n’y a plus d’unité de lieu, de temps et d’action pour apprendre ! L’école au sens large, et le stage de formation en particulier, ne sont plus les seuls lieux pour apprendre ; l’enseignant et le formateur ne sont plus les seuls délivreurs de savoirs et de connaissances ; le rapport au savoir devient donc plus autonome. En second lieu, apprendre passe par le sujet social avec ses logiques d’action, ses motivations, ses dynamiques propres et ses interactions avec autrui.
Or, c’est bien ainsi que l’ANI, en faisant référence à des approches moins formelles et expérientielles, comprend l’acte d’apprendre ! Mais apprendre pour quoi ? Si l’objectif principal de la formation professionnelle a toujours été de développer des compétences, l’ANI propose en préambule du chapitre 12 (qui nous intéresse dans cet article) de poser « clairement le décors » de façon à partager le même langage.
Ainsi, une compétence est à comprendre comme « une combinatoire de ressources (connaissances, savoir-faire techniques et relationnels) finalisée (vise l’action), contextualisée (dépend de la situation), construite (acquise ou apprise) et reconnue ».
Si cette définition est le fruit des réflexions menées sur la compétence individuelle sur les trente dernières années, elle a le mérite de poser les espaces de responsabilité de chacun des acteurs dans la construction des compétences individuelles et d’éloigner une fois de plus la formation de la « magie mécaniste » qu’on pouvait/pourrait lui prêter.
Si l’action de formation, comme processus pédagogique, vise à apprendre et/ou à développer des ressources pour un savoir agir avec compétence, les individus restent bien les maîtres d’œuvre de la combinatoire à opérationnaliser et les organisations de travail garantes des contextes de réalisation.
En conclusion, l’ANI aurait pu être encore plus audacieux et trouver une autre terminologie en sus et place « d’action de formation ». Cette terminologie rend en définitive peu compte des autres formes pour apprendre, contrairement à l’esprit qui ressort de l’accord sur ce point. « Acte de formation » ou « acte d’apprentissage » ou encore « acte d’apprendre » mettrait certainement plus en évidence la contemporanéité du texte et sa rupture avec le passé. A méditer pour la future loi !
Sarah Alves ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.
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