Dans la plupart des pays développés, l’enseignement des sciences poursuit sa lente mutation. Les considérations méthodologiques occupent dans les discours une place croissante. Au moins sur le papier, les nouvelles générations d’enseignants sont encouragées à mettre davantage l’accent sur l’appropriation de la démarche scientifique, du raisonnement, et moins sur la mémorisation de faits ou de lois.
On rappelle à loisir que les enjeux dépassent la formation des futures générations de scientifiques, car il s’agit aussi, au travers de la maîtrise de la démarche scientifique, de développer l’esprit critique de chaque citoyen.
Initier à la méthode scientifique
Pour ce faire, il est utile de s’attacher à ce que les enseignements portent davantage sur la manière dont les savoirs ont été créés. On a longtemps véhiculé dans l’enseignement une vision dogmatique de la science – qui s’apparente pour beaucoup d’élèves à une collection de vérités gravées dans le marbre. Pour contrecarrer cette tendance, quoi de mieux que d’engager ces élèves dans une démarche de création de savoirs, par la conception d’un projet de recherche miniature.
C’est dans ce contexte de mutation de l’enseignement qu’a émergé l’idée du Cahier Numérique de l’Élève Chercheur (CNEC), application qui vise à aider élèves et enseignants à structurer de petits projets scientifiques.
L’outil n’est encore qu’au stade du prototype. Il faudra encore une ou deux années supplémentaires avant qu’il ne soit pleinement opérationnel, mais dévoilons néanmoins quelques-unes de ses caractéristiques.
« Les Savanturiers du numérique »
L’application est développée au sein du consortium eFRAN « Les Savanturiers du Numérique », assemblage d’acteurs aux compétences diverses :
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Les Savanturiers, programme fondée par une ancienne professeure des écoles qui revendique l’enseignement de la démarche scientifique au travers de projets d’une dizaine de séances, mentorés par des experts du domaine
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Tralalère, entreprise spécialisée dans les ressources numériques pour l’éducation, qui assure la co-conception, le développement et le maintien de la technologie
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Les Académies de Paris et de Créteil, qui apportent expertise et opportunités de mise à l’épreuve des prototypes
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EDA, laboratoire de sciences de l’éducation, pour apporter l’éclairage de la recherche.
Le CNEC vise à outiller les projets Savanturiers de bout en bout au travers d’une assez vaste palette d’outils. La Fiche Recherche structure la démarche, « étaye » les élèves dans le passage des différentes étapes du projet, de leur question de recherche aux conclusions finales en passant par la rédaction des hypothèses et du protocole.
Structurer une démarche de découverte
À chaque étape, les points d’attention sont rappelés. Vous avez rédigé une question ? C’est parfait, mais est-ce une question dont la réponse appelle la mise en œuvre d’une démarche scientifique ? On évitera par exemple les questions qui appellent des réponses binaires : oui/non. Vous avez produit un protocole – très bien – mais que vouliez-vous tester ce faisant ? Vous aviez une hypothèse en tête n’est-ce pas ? De quel matériel allez-vous avoir besoin, quelles sont les différentes étapes ?
En somme, il s’agit de structurer la démarche sans pour autant donner aux élèves les réponses clefs en main – de toute façon, ces réponses n’existent pas toujours. L’élève n’a pas à se cantonner à suivre pas à pas une recette toute prête, sans comprendre les tenants et les aboutissants des choix expérimentaux effectués.
Les programmes encouragent l’élève à être plus investi dans la formulation des hypothèses, dans la conception expérimentale. Mais on ne peut pas le laisser seul face à une feuille blanche et quelques menus conseils, d’où l’importance de l’étayage. Que pensez-vous qu’il advienne sinon ? Ils se mettront éventuellement à manipuler le matériel qu’on leur aura fourni. Mais l’utiliser pour tester des hypothèses, pour s’insérer dans une démarche scientifique, il y a là un fossé qui ne peut être franchi seul.
Étayer la démarche d’un élève, voilà qui n’a rien de révolutionnaire me direz-vous ; c’est le pain quotidien de centaines de milliers d’enseignants en France. Certes, mais ceux qui utilisent le numérique pour le faire ne sont a priori pas monnaie courante. Par ailleurs, d’autres éléments sont intégrés dans l’application, comme des outils de brainstorming, qui facilitent la génération et la catégorisation d’idées.
Du Carnet numérique aux travaux personnels encadrés ?
Enfin, le CNEC est pensé pour être utilisé en groupe. Le travail en équipe reste encore peu développé dans nos enseignements, et il est temps que gagnent en importance les technologies éducatives qui facilitent les dynamiques de groupe. D’où l’importance donnée à la question dans l’outil, qui vise à aider la mise en place d’une alternance entre les différentes modalités de travail – seul, en groupe, en classe entière – après tout, la recherche est une œuvre collective, et il peut être bon que cela se reflète dans les projets qui ont vocation à initier à la démarche scientifique.
Qu’on se le dise, personne ne prétend qu’une technologie éducative permettra de produire à la chaîne de futurs scientifiques. Évidemment, l’outil ne se substitue pas au travail du professeur ; tout au plus accompagne-t-il la démarche, dont la qualité est fonction du niveau de formation des enseignants. Il est néanmoins indubitable que la technologie constitue une composante essentielle de toute stratégie visant à faire évoluer à grande échelle les pratiques sur le terrain.
Notons à ce propos que l’enjeu dépasse le seul cadre des projets Savanturiers. Les Travaux Personnels Encadrés – les fameux TPE – sont une autre application possible de l’outil, mais on peut en imaginer bien d’autres. De manière générale, toute pédagogie fondée sur les projets en équipe, en particulier dans le domaine des sciences, pourrait bénéficier du CNEC.
À bien des égards, sa vocation est de contribuer au développement d’approches pédagogiques, qui, si elles constituent sans aucun doute un défi pour l’enseignant tant l’orchestration de la pédagogie par projet comporte de difficultés, n’en ont pas moins de beaux jours devant eux. Du moins l’espère-t-on.
Matthieu Cisel est l’un des porteurs du projet « Le Savanturiers du numérique ».
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