Depuis deux ans, la méditation de pleine conscience s’invite dans le programme « grande école » de l’IÉSEG School of Management, à travers un cours intitulé « Mindfulness & Management ». Ce cours est aujourd’hui l’un des mieux notés par les étudiants, si l’on se réfère aux évaluations qu’ils remplissent en fin de session. Sur le campus de Lille, il y a même une liste d’attente pour pouvoir s’y inscrire. Le succès peut sembler rapide. Pourtant, il n’était pas gagné d’avance. Si le grand public s’intéresse de plus en plus à la méditation et aux techniques permettant de se concentrer sur l’instant présent, si les manuels d’initiation du psychiatre Christophe André ou du moine bouddhiste Matthieu Ricard caracolent en tête des ventes, les écoles de management n’offrent a priori pas le contexte le plus propice au développement de pratiques contemplatives.
A l’heure actuelle, ces établissements restent tiraillés entre deux paradigmes : d’une part, celui du récit néolibéral dominant de la maximisation du profit et de la croissance sans fin, incarné par l’article de 1970 de Milton Friedman dans le New York Times, de l’autre, le modèle qui commence à prendre forme d’une économie au service du bien-être et de la dignité pour tous. Dans ce contexte où la notion de performance financière reste une matrice fondamentale, nos étudiants sont acculturés à l’importance de l’action managériale comme clé de la réussite. Cela se fait cependant souvent au détriment d’une réflexion plus profonde sur le sens de l’action. Nos étudiants sont baignés dans le « doing » au détriment du « being ».
Un engagement personnel
La culture des business schools explique en partie pourquoi l’introduction de séances de méditation n’a pas été si évidente. C’est à la suite d’une retraite et de lectures à propos de l’impact de la « pleine conscience » sur la prise de décision que je me suis lancée il y a deux ans. Au départ, il s’agissait d’intégrer une demi-heure de pratique de la méditation dans un de mes cours sur la responsabilité sociale des entreprises. Mais les réactions des étudiants ont été très mitigées. Certains de ces élèves de quatrième année s’estimaient « trop immatures pour vraiment comprendre une telle expérience », d’autres auraient préféré « se concentrer sur les thèmes principaux du cours ».
Derrière ces reproches, l’expérience a mis en lumière un autre frein, au-delà du contexte propre aux études de management : celui du caractère obligatoire des cours. Qu’il s’agisse d’une session complète ou d’un simple exercice, la méditation de pleine conscience n’est pas une technique managériale comme une autre. Elle implique un entraînement régulier et l’on ne peut en aucun cas imposer aux étudiants de méditer aussi en dehors des cours. Et, en effet, c’est quand nous en avons fait l’objet d’un cours facultatif que le regard des élèves a complètement changé et que les demandes ont afflué.
Aujourd’hui l’électif « Mindfulness et management » est conçu comme une mini-retraite et se déroule sur quatre matinées pour un total de 16 heures de cours, dont au moins huit heures de pratiques contemplatives inspirées du programme MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction) du professeur Jon Kabat-Zinn.
A l’écoute des autres
Nous abordons la discussion par des lectures académiques qui traitent de questions de management – leadership, marketing, changement organisationnel – en faisant le lien avec la pratique de la pleine conscience. Mais nous ne nous arrêtons pas à la compréhension rationnelle de la pratique et de ses bienfaits. Nous pratiquons aussi chaque jour la méditation de pleine conscience en s’inspirant du programme MBSR et de ses différentes modalités : méditation assise, méditation marchée, body scan, hatha yoga. Un autre élément clé du programme est d’aider les étudiants à être plus à l’écoute d’eux-mêmes et à nourrir leur intériorité. C’est pourquoi on les invite à tenir un journal et certains étudiants disent s’être sentis « plus engagés », appréciant d’avoir « le temps d’explorer de manière profonde un sujet ».
L’IÉSEG School of Management soutient entièrement cette démarche et finance actuellement ma certification MBSR à l’Université du Massachussetts. L’année prochaine, avec un instructeur à temps plein de MBSR, nous offrirons des modules de six séances sur six semaines aux membres de l’administration et aux professeurs qui le souhaitent. L’objectif est de s’affirmer comme un lieu de formation pour des acteurs du changement à l’écoute et au service de la société. Et la méditation est un moyen de prendre du recul par rapport à la marche accélérée du monde et de se reconnecter à son environnement et aux signaux qu’il nous adresse.
Aujourd’hui malgré une littérature assez pléthorique sur l’impact positif de la méditation dans le contexte médical, il existe encore peu d’études sur ses effets dans le contexte des organisations. Sachant que les entreprises ont besoin plus que jamais de faire évoluer leur façon de faire du business pour affronter les challenges du XXIe siècle, participer à l’intégration de pratiques de méditation au sein d’une école de commerce est une aventure passionnante qui pourrait contribuer à former les futurs managers d’organisations à identité socialement responsable, contribuant de manière positive aux évolutions futures. Le nouveau modèle des B-Corps, fondé sur des critères de performance sociale et environnementale, incarne par exemple une telle posture.
Julie Bayle-Cordier does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organization that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
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