Pour dynamiser leurs cours et aider les étudiants à explorer de nouveaux champs de connaissances, les universitaires rivalisent d’imagination. Certains misent sur les jeux sérieux, d’autres se tournent vers une « classe puzzle », un escape game en ligne ou encore investissent la réalité augmentée. Mais parmi toutes ces pistes, comment départager les engouements ponctuels des idées plus porteuses ? Dans le cadre de l’accompagnement à l’innovation pédagogique et numérique de l’Université Clermont Auvergne, nous sommes régulièrement amenés à questionner l’efficacité de ces nouvelles pratiques sur les apprentissages ou l’engagement des étudiants.
Souvent, les enseignants-chercheurs qui s’engagent sur les voies de l’innovation pédagogique manquent d’informations sur les possibilités d’évaluation qui existent, ou n’en font pas une priorité. Or, évaluer l’impact de ces transformations peut être source de développement pour la communauté éducative. C’est aussi un moyen de légitimer les innovations pédagogiques numériques (IPN).
Pour autant, ce type d’évaluation n’est pas évident à mettre en place. Au premier rang des écueils à éviter se trouve la volonté de tout évaluer, plutôt que de se concentrer sur quelques indicateurs pertinents. Un autre excès consiste à restreindre les pratiques d’enseignement à ce qui est évaluable, alors même que l’innovation invite à élargir les perspectives. Afin de soutenir cet élan et de permettre aux innovations de s’ancrer dans la durée, voici quelques recommandations pratiques.
Mesurer l’engagement
Puisque l’innovation pédagogique bouscule les manières d’enseigner et leurs résultats, les cadres d’évaluation habituels montrent leurs limites. Couramment utilisés, les questionnaires de satisfaction soumis aux étudiants n’offrent qu’une vision partielle des objectifs d’apprentissage fixés par l’innovation. Le développement de compétences transversales – comme l’aptitude à collaborer à la prise de décision, en passant par le traitement de l’information – dépasse le cadre du questionnaire d’évaluation.
En se référant au modèle de Kirkpatrick (1959, 2007), on peut prendre en compte un éventail d’effets beaucoup plus vaste en allant de la satisfaction des étudiants au savoir-agir dans un contexte donné. Ainsi, l’innovation pédagogique peut impacter le développement de compétences des étudiants, leur sentiment d’engagement dans l’apprentissage, leur taux de participation au cours, ou encore leur niveau de satisfaction ou de persévérance dans l’apprentissage.
On peut aussi aborder l’évaluation de ces innovations du point de vue des enseignants. Cette dimension réflexive favorise leur développement professionnel en les aidant notamment à prendre du recul sur leur système de représentations. Cela permet aussi de s’interroger sur les différences entre pratiques réelles et souhaitées.
Impliquer les étudiants
Au-delà d’une simple enquête de satisfaction, plusieurs outils sont susceptibles d’être mobilisés dans l’évaluation des enseignements innovants (Docq, Lebrun et Smidts, 2010 ; Younès, Paivandi et Detroz, 2017). Il est ainsi possible de développer des indicateurs d’engagement – d’un point de vue cognitif, comportemental ou affectif par exemple, comme le fait Laetitia Gerard-IDEA et des indicateurs de participation, en mobilisant les données accessibles sur les plates-formes d’apprentissage (de type Moodle ou Blackboard) – productions écrites et vidéos des étudiants.
Autre solution : inviter les étudiants à constituer un focus group en cours de semestre afin d’échanger sur l’enseignement et les apprentissages. Cette pratique leur permet de contribuer au processus d’amélioration continue des cours et de se sentir impliqués dans l’évaluation. En outre, ils bénéficient directement des feedback qu’ils ont émis puisque l’enseignant peut ajuster ses méthodes avant la fin du semestre.
Par ailleurs, les enseignants peuvent demander aux étudiants d’autoévaluer leur niveau de compétences en amont et en aval de la formation afin d’en mesurer l’impact. Les référentiels de compétences servent alors de base à la construction de grilles de critères qui vont aider les étudiants à suivre leur propre progression.
Encourager la créativité
N’oublions pas que les enseignants peuvent aussi s’appuyer sur leurs pairs, en organisant des observations croisées ou des communautés de pratique, afin d’échanger dans un cadre collégial et bienveillant. Ces évaluations informelles peuvent ainsi confirmer ou réfuter les hypothèses apportées par enquête ou focus group, et offrir un autre regard sur les effets des pratiques innovantes.
Innover est une prise de risque pour l’enseignant, mais aussi une source de motivation et de développement professionnel. L’évaluation ne doit donc pas le détourner de cette posture créative, bien au contraire. Il s’agit d’aiguiser sa curiosité et son envie d’améliorer ses pratiques. La « classe renversée » prônée par Jean‑Charles Cailliez illustre bien cette posture d’ouverture.
Plutôt qu’un contrôle externe des résultats, l’évaluation se doit d’être formative pour accompagner le processus d’essai-erreur propre à toute innovation. Dans cette optique, elle doit apporter rapidement des résultats pertinents afin que l’enseignant ajuste ses pratiques.
Prévoir une reconnaissance institutionnelle
Le développement d’innovations pédagogiques suppose d’informer les enseignants sur les innovations qui existent déjà au niveau local, national et international, mais également de les accompagner dans la lecture des résultats de leur(s) évaluation(s). En effet, la lecture de ces bilans peut générer des réactions émotionnelles et affecter l’estime de soi de l’enseignant. Le rôle de l’accompagnateur sera alors d’aider l’enseignant à percevoir la dimension formative de cette évaluation afin de ne pas freiner son enthousiasme pour l’innovation pédagogique.
Mettre en œuvre ces dispositifs d’évaluation demande du temps et des méthodes d’analyse adaptées. À ce titre, les enseignants qui s’y engagent doivent être encouragés, accompagnés s’ils le souhaitent et reconnus au niveau institutionnel. Quelques pistes existent déjà pour faire coïncider le développement pédagogique et numérique des enseignants avec leur reconnaissance institutionnelle comme la prime d’engagement pédagogique et le dossier de valorisation pédagogique.
Ces outils permettent de rendre compte de l’investissement des enseignants dans l’amélioration continue de leurs pratiques mais il faudrait qu’ils soient mieux valorisés en France dans le processus de recrutement et de promotion des enseignants-chercheurs. À suivre.
Loïse Jeannin est la cheffe de projet du programme Learn’in Auvergne financé dans la cadre de l’I-SITE de l’Université Clermont Auvergne (Projet CAP2025 - 2ème vague du Programme d’Investissements d’Avenir).
Laurence HAMON est ingénieure et conseillère pédagogique dans le programme Learnin’Auvergne, qui est financé dans le cadre du projet CAP2025 de l’Université Clermont Auvergne. Les financements proviennent de la 2ème vague du Programme d’Investissements d’Avenir du gouvernement dans le cadre de l’appel à projet I-SITE (Initiatives Science, Innovation, Territoires, Economie).
Monika Gosgnach est ingénieure pédagogique dans le programme Learn’in Auvergne financé dans le cadre de l’I-SITE de l’Université Clermont Auvergne (Projet CAP2025 - 2ème vague du Programme d’Investissements d’Avenir).
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