Les occasions d’inciter les élèves à apprendre et travailler ensemble ne manquent pas. Elles peuvent s’intégrer dans des cadres bien définis, comme un exposé de groupe, ou surgir au fil du quotidien, par exemple quand un élève demande de l’aide pour un exercice et que l’un de ses camarades vient spontanément l’aider. Certaines coopérations prennent la forme de jeux, d’autres de discussions à caractère philosophique, ou encore de conseils coopératifs – ces réunions où chacun est démocratiquement associé aux décisions de classe.
Mais, quels qu’ils soient, tous ces échanges seraient plus bénéfiques que des approches uniquement individuelles ou compétitives. Comme le dit d’ailleurs un proverbe africain : « Seul, on va vite, ensemble, on va loin. » À condition de prendre un certain nombre de précautions. Sans accompagnement, des cas de coopération peuvent très bien se renverser en accélérateurs d’inégalités.
Un encadrement nécessaire
En effet, on sait bien qu’il ne suffit pas de rassembler quatre élèves autour d’une table pour que chacun profite du travail en cours. Avec la meilleure des intentions, des élèves pensent rendre service à leurs camarades en faisant le travail à leur place. Ou alors, ils leur donnent tellement d’indices que la réflexion restante est minime. Quand ils se mettent en groupe, ils peuvent aussi aboutir à une répartition des tâches très inégale, confiant les plus difficiles à celui qui est jugé le plus compétent, les autres se chargeant d’activités subalternes, sans apport éducatif réel.
Pour que les coopérations offrent une aide sérieuse aux élèves, deux grands principes s’imposent. D’abord, il conviendrait de veiller à une alternance des positions entre celui qui aide et celui qui joue le rôle d’accompagnateur. Cette réciprocité, on peut y sensibiliser les élèves en les formant aux gestes élémentaires de coopération.
En termes de valeurs, la coopération se présente plutôt comme un moyen. Fait assez étonnant, on peut noter qu’elle est convoquée autant par des politiques éducatives de droite, avec l’idée de rentabiliser les engagements par le croisement des intelligences individuelles, que par des politiques éducatives de gauche, pour développer l’engagement dans des actions sociales, à l’adresse des plus fragiles.
La solidarité, une « loi naturelle » ?
D’un point de vue simplement scolaire, des élèves qui coopèrent sont inscrits dans un projet qui met l’accent sur les enjeux suivants :
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l’autonomie et la responsabilité, pour agir, choisir et penser par soi-même tout en conservant le souci du bien-être de l’autre
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le progrès de tous les élèves, par une prise en compte des différences individuelles et la mise à disposition de modalités d’apprentissages diverses, potentiellement adaptées aux différentes formes d’hétérogénéités présentes dans une classe
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la fraternité, par une combinaison de solidarité, pour tenter, à plusieurs, d’agir face aux difficultés, et de générosité, par un don gratuit de soi, l’essence de l’altruisme.
Des perspectives utopistes ? Dans L’entraide : l’autre loi de la jungle, les ingénieurs agronomes Pablo Servigne et Gauthier Chapelle ont récemment mis en question la primauté d’une soi-disant « la loi du plus fort ». Pour le vivant dans sa diversité, il apparaît que, dans des conditions hostiles, faire preuve de solidarité serait une règle naturelle, nécessaire à la survie. La compétition n’apparaîtrait que dans des contextes favorables, pour apporter une sorte de piment à l’existence humaine. Ainsi, ils développent la thèse que, même si, au sein d’un groupe, les comportements égoïstes dominent, ce sont les groupes altruistes qui se perpétuent.
L’entraide serait donc un fait omniprésent dans le monde vivant, à la base du progrès des espèces. Appliquées à l’éducation, ces thèses invitent d’abord à se méfier des conceptions faisant de la compétition entre les individus une loi universelle. Elles encouragent également les enseignants à initier leurs élèves à la coopération, l’entraide appelant l’entraide.
Une pédagogie à adapter
À ce jour, rien n’atteste que des élèves qui coopèrent iraient systématiquement « loin ». En revanche, cette forme de mise au travail des élèves peut se montrer particulièrement efficace avec quelques précautions d’usage. Pour que celles-ci soient réellement mises en pratique et se diffusent, il s’agit de favoriser les rencontres entre enseignants et les partages de bonnes pratiques.
À l’heure actuelle, les professeurs peuvent s’appuyer sur différentes ressources, au sein des services de la formation continue des rectorats, de promotion des innovations pédagogiques (CARDIE) ou par l’intermédiaire du réseau Canopé. Les mouvements pédagogiques proposent également des formations de qualité en matière de coopération, dont l’Office central de la coopération à l’école (OCCE), l’Institut coopératif de l’école moderne (ICEM) ou l’association des Cahiers pédagogiques (CRAP). On y développe régulièrement des échanges de pratiques. Il est également facile de rejoindre des listes de discussions numériques entre enseignants portant sur l’organisation de la coopération pour leurs élèves, notamment la liste « Coop2nd ».
En se dotant de ces outils, qui complètent les gestes professionnels déjà construits, les enseignants se donnent indéniablement des moyens supplémentaires d’accomplir leurs missions : vers une meilleure transmission des savoirs, un accompagnement plus fin de ce que les élèves apprennent, le développement d’habiletés altruistes et, c’est un défi, la construction de futurs adultes conscients des limites d’un individualisme débridé et de la force des collectifs.
Sylvain Connac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.
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