Un articlede Claire Peltier repris de la revue Distances et Médiations des Savoirs, une publication sous licence CC by sa
La publication d’un ouvrage à partir de contributions présentées lors d’un colloque est toujours une entreprise délicate, car il s’agit d’allier deux intentions différentes parfois difficiles à articuler. D’une part, celle de partager oralement, lors d’un événement rassembleur, des réalisations aussi diverses que des expériences de terrain, des résultats d’études empiriques, des métarecherches, etc. D’autre part, celle d’imprimer une trace écrite de ces réalisations tout en conservant la dynamique collective de son impulsion première.
Le recueil dirigé par France Lafleur et Ghislain Samson [1] est de ces projets ambitieux. « Formation et apprentissage en ligne » regroupe en dix chapitres [2] des contributions présentées pour la plupart lors de la 27e Conférence mondiale de l’International Council for Open and Distance Education (ICD) qui s’est tenue en octobre 2017 à Toronto. La diversité qui caractérise ces dix contributions s’est révélée assez déroutante à la lecture et ne relevait pas uniquement des multiples thématiques abordées. De profondeur inégale, les chapitres s’enchaînent en suivant un fil conducteur parfois difficile à appréhender, malgré un découpage éditorial en deux parties distinctes [3] et un dénominateur thématique commun : la formation entièrement ou partiellement à distance [4]. L’approche particulièrement descriptive et « non modélisante » des définitions proposées par la plupart des auteurs pour caractériser les différentes notions et concepts évoqués, par ailleurs relevée par Daniel Peraya dans sa préface, constitue, de notre point de vue, la principale fragilité de l’ouvrage.
Toutefois, plusieurs des questionnements, témoignages, cadres et résultats de recherche présentés nous ont semblé apporter un regard intéressant, parfois singulier, sur différents aspects de la formation entièrement ou partiellement à distance. Pour cette note de lecture, nous avons donc fait le choix, volontairement arbitraire, de ne rendre compte que de certains des textes qui composent cet ouvrage collectif. Ce parti-pris assumé ne saurait constituer un jugement de valeur négatif à l’encontre des chapitres passés sous silence ; il s’agit avant tout d’attirer l’attention sur ce qui nous a particulièrement interpelée et qu’il nous paraissait opportun de mettre en lumière compte tenu de nos intérêts actuels de recherche et de terrain [5].
S’il fallait regrouper notre sélection sous une tonalité commune, nous dirions que celle-ci se décline sous le signe du lien. Celui qui rapproche apprenants et tuteurs dans les formations à distance (chapitre 1, Esther Delisle) ; celui qui associe enseignants et conseillers pédagogiques dans la mise en œuvre de formations du même type (chapitre 2, Christelle Charlebois, Johanne Hachey, Christiane Le Clech et Christine Simard) ; celui qui permet à des apprenants géographiquement distants de passer leurs examens en ligne grâce à un dispositif technique complexe (chapitre 3, Sabine Bottin-Rousseau et Pierre Beust) ; celui qui met en regard usages technopédagogiques et modèles d’apprentissage (chapitre 7, Serge Gérin-Lajoie et Cathia Papi) ; enfin celui qui analyse l’articulation entre l’introduction d’une innovation technopédagogique et la transformation d’une institution (chapitre 8, Emmanuel Duplàa).
La contribution d’Esther Delisle (chapitre 1) repose sur vingt-cinq années d’expérience en tant que tuteure à la Télé-Université du Québec (Téluq), tout en s’appuyant sur un référentiel de compétences élaboré à partir des travaux de recherche et des publications de Viviane Glikman (2008 ; 2011). Si la nécessité du tutorat humain n’est plus à démontrer, du moins pour ceux qui connaissent de longue date les conditions de réussite des formations entièrement ou partiellement à distance, la nature du travail effectué par les tuteurs y apparaît dans toute sa complexité. Outre l’hétérogénéité des profils et des besoins des apprenants dans les formations à distance, mais aussi la diversité des tâches à effectuer, la temporalité dans laquelle celles-ci doivent être accomplies constitue, selon Ester Delisle, l’une des difficultés du travail du tuteur. Qualifié malicieusement de « couteau suisse » ou encore de « déesse Shiva » de la formation, le tuteur se doit en effet d’être constamment aux aguets. Sa réactivité est d’ailleurs soulignée par l’auteure comme étant l’une des conditions essentielles pour répondre à que Geneviève Jacquinot désignait déjà il y a quelques années comme l’un des enjeux majeurs de la formation à distance : « rendre tangibles les signes de la présence dans l’absence ».
Artisan d’un lien subtil à établir avec l’apprenant, le tuteur apporte tour à tour un soutien « didactique, méthodologique, métacognitif, psychologique, affectif » ; ce dernier type de soutien faisant écho à « la pédagogie de l’empathie » évoquée par Mireille Hamel dans le chapitre 4. Le recours à une typologie d’apprenants comme celle proposée par Glikman permet, selon l’auteure, de mieux comprendre ce qui se joue dans cette relation si particulière, tout en favorisant l’adoption d’une certaine « posture tutorale ». Toutefois, tempère-t-elle, « aucune typologie ne peut parvenir à cerner totalement la réalité fluide et dynamique des apprenants à distance ».
L’autre type de lien, évoqué cette fois dans le chapitre 2, co-écrit par Christelle Charlebois, Johanne Hachey, Christiane Le Clech et Christine Simard, est tout aussi subtil et tout aussi fragile que celui qui lie tuteurs et apprenants. Il s’agit de celui qui se noue entre conseillers pédagogiques et enseignants dans le cadre de la conception d’un cours à distance. Adeptes d’une démarche de co-construction plus que de prescription, les auteures rendent compte de la finalité réflexive dont celle-ci est empreinte, mais aussi de toute la difficulté de la mener dans une dynamique de confiance et de respect mutuels.
Le texte permet également de révéler l’étendue des compétences que les conseillers pédagogiques doivent mettre en œuvre pour établir ce rapport de confiance, cette « relation d’aide » qui va bien au-delà des seuls aspects pédagogiques. Pour les auteures, « le professeur ne peut être à lui seul le superhéros de l’enseignement efficace. Il a besoin de son équipe pédagogique de superhéros compétents ». Elles montrent également, exemple à l’appui, comment le conseiller pédagogique peut agir comme « agent de changement auprès des professeurs et de l’institution » et être valorisé comme tel.
Le chapitre 3, proposé par Sabine Bottin-Rousseau et Pierre Beust traite d’une thématique qui pourrait sembler radicalement différente, mais qui pourtant trouve écho avec celles que nous venons d’évoquer. Les auteurs documentent une expérience particulièrement prometteuse à l’heure où plusieurs grandes institutions d’enseignement supérieur intègrent dans leurs cursus traditionnels des cours entièrement à distance [6] : celle de la mise en place d’un dispositif de télésurveillance des examens à domicile. L’ensemble du protocole technique et processuel est précisément décrit, mais c’est le compte rendu de l’enquête menée auprès des apprenants qui ont testé cette modalité d’examen qui a plus particulièrement attiré notre attention. Forts de 254 expériences de télésurveillance, les deux auteurs rapportent un taux de réussite identique entre les étudiants qui ont testé ce service et ceux qui ont passé leur examen dans les conditions présentielles usuelles. L’expérience de télésurveillance a semble-t-il eu un impact très positif sur le stress ressenti habituellement par les étudiants lors d’un examen et n’a pas généré de sentiment d’intrusion particulier [7]. En revanche, ce type de dispositif nécessite la mise en place d’un accompagnement – et donc d’une mise en lien – spécifique (technologique, logistique) dont les institutions intéressées devraient impérativement se doter. Loin d’être anecdotiques, ces aménagements soulignent, si besoin était, que les innovations technopédagogiques ne nécessitent pas seulement un investissement budgétaire de départ, mais qu’elles requièrent également une réflexion et des moyens humains à mettre en œuvre sur le long terme.
Dans le chapitre 7, Serge Gérin-Lajoie et Cathia Papi abordent la trop rare question du lien entre usages de dispositifs technopédagogiques et modèles théoriques de l’apprentissage. Prenant le contrepied de bon nombre de discours enchanteurs qui refont surface de façon cyclique et qui considèrent que les « dernières technologies » – selon la formule adoptée par Jacquinot (2001) – sont susceptibles de provoquer une « révolution de l’éducation », les auteurs tentent de détricoter ce faisceau de croyances en proposant de « développer une vision plus claire des entrecroisements entre les théories de l’apprentissage, les courants pédagogiques et les outils ». S’appuyant notamment sur une typologie initialement développée par Basque (2008), les auteurs proposent d’apparier certains types d’« outils technopédagogiques » à certains courants de pensée (par exemple les hypertextes, les graphiques animés ou encore les laboratoires virtuels sont associés au cognitivisme). Si l’on peut regretter l’absence de conceptualisation de ce qui est désigné tantôt comme « TIC », comme « artefacts technopédagogiques » ou encore comme « outils technopédagogiques », l’idée de présenter des exemples d’activités pédagogiques à partir d’affirmations reflétant des visions particulières de l’apprentissage s’inscrit dans une démarche systémique qui fait parfois défaut dans les recherches portant sur les effets des technologies sur l’apprentissage.
Enfin, dans le chapitre 8, Emmanuel Duplàa prend appui sur un exemple particulier, celui d’un dispositif de formation en ligne développé par l’Université d’Ottawa, pour analyser un processus de transformation institutionnel sous l’angle relationnel. Se référant notamment à la théorie relationnelle de Sami-Ali (2003) qui « consiste à considérer que l’humain se construit uniquement dans et par ses relations aux autres, dès le stade intra-utérin puis tout au long de la vie », l’auteur analyse les transformations observées à la lumière de quatre dimensions qui, selon le cadre de référence adopté, structurent toute relation : 1) le temps, l’espace, l’imaginaire et l’affect. En plus des données qualitatives récoltées lors d’entretiens semi-directifs, l’auteur rend compte de son analyse de différents documents institutionnels destinée à « mettre à jour les controverses » et « les points de dysfonctionnement ». Parmi ces documents, les plans de cours présentent, selon lui, un intérêt particulier, car ils symbolisent « le futur contrat entre le professeur et l’étudiant [et portent] les relations dans ce qu’elles seront tout au long de l’apprentissage ». L’auteur y retrouve l’ensemble des dimensions structurantes de toute relation : les espaces et les temps de communication – tous deux soutenus par des dispositifs technologiques particuliers – ainsi que « l’imaginaire symbolique des professeurs, par le contenu des activités comme les lectures spécifiques, les présentations d’introduction, etc. ». Ces dimensions témoignent, selon l’auteur, « de l’engagement des professeurs dans les futures relations en termes d’espace, de temps et d’imaginaire, et […] vont permettre de développer un affect avec l’étudiant en lien avec sa mémoire et donc son apprentissage ». On retrouve dans cette riche contribution, la nécessaire complexité avec laquelle il convient, selon nous, d’aborder l’analyse des dispositifs de formation entièrement ou partiellement à distance. Une complexité qui considère les dimensions technologique, symbolique, pédagogique et relationnelle comme un tout indissociable.
Référence électronique
Claire Peltier, « Formation et apprentissage en ligne : une note de lecture sous le signe du lien », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 25 | 2019, mis en ligne le 24 mars 2019, consulté le 09 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/dms/3446
Auteur
Claire Peltier
TECFA, Université de Genève
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