Innovation Pédagogique et transition
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Le potentiel réflexif de la modélisation des environnements personnels d’apprentissage

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/3962

Sur la base d’un langage de modélisation des environnements personnels d’apprentissage (EPA) d’étudiants de l’enseignement supérieur que nous avons développé (Felder, sous presse), cette recherche exploratoire vise à évaluer le potentiel réflexif des modèles d’EPA d’étudiants générés par le chercheur comme objet intermédiaire entre l’étudiant et lui-même. Le langage de modélisation d’environnements personnels d’apprentissages (MEPA) soutenu par un modèle générique de l’EPA permet d’objectiver visuellement les représentations verbalisées que se font les étudiants de leur EPA. Une étude longitudinale menée auprès de 15 étudiants a permis de valider l’expressivité de ces modèles d’EPA et d’évaluer le potentiel réflexif des modèles sur les étudiants. Abordée sous l’angle de la théorie du changement conceptuel, l’étude présentée dans cet article met en évidence le potentiel heuristique des modèles. Les résultats montrent que les étudiants reconnaissent l’intelligibilité, la plausibilité et la fécondité de la modélisation et que pour certains étudiants, l’objectivation de leur EPA a généré des changements conceptuels. Cet usage de modèles d’EPA par les apprenants pourrait permettre de développer leur autonomie, notamment en leur permettant de reconnaître leur individu-plus.

Un article de Joris Felder repris de la revue Distances et Médiations des Savoirs, une publication sous licence CC by sa

Mes remerciements vont à Bernadette Charlier et France Henri pour leur enthousiasme et leur confiance indéfectibles dans leur supervision de mon travail de recherche.

Introduction

On ne cesse de l’affirmer : il faut apprendre à apprendre. Cela a certainement toujours été un enjeu à l’échelle personnelle pour les apprenants engagés dans un projet de formation. Aujourd’hui, apprendre tout au long de la vie et être capable d’apprendre par soi-même devient une nécessité tant pour la société que pour les individus. Tous et chacun doivent être préparés à prendre en main le renouvellement de leurs connaissances et la mise à jour de leurs compétences dans un contexte où les métiers sont en constants changements. Pour Carré (2010), l’autonomie doit s’inscrire comme finalité de la formation. L’apprenant autonome est celui qui détermine de manière consciente et raisonnée les apprentissages qu’il doit faire, qui choisit les méthodes et les techniques à utiliser, qui évalue ses acquis et qui dégage des conclusions (Holec, 1979 ; Moore, 1977). Ainsi, apprendre à apprendre par soi-même implique forcément le développement de l’autonomie. En contexte de formation, l’apprenant peu autonome apprend d’abord dans la dépendance au formateur et au dispositif d’apprentissage. L’autonomie se développant au fil des expériences, cette dépendance bascule lorsque l’apprenant prend le contrôle de ses apprentissages, s’autorégule (Zimmermann, 2008) et autodirige ses apprentissages (Carré, 2010).

Dans ce contexte de quête de l’autonomie de l’apprenant, Charlier invite à (re)connaître l’individu-plus (Charlier, 2017), une notion avancée par Perkins (1993, 1995), afin que les apprenants construisent leur Plus et reconnaissent que leur environnement tout comme eux-mêmes doivent pouvoir changer (p. 52). Ce faisant, elle enrichit le concept d’environnement personnel d’apprentissage (EPA) par celle d’individu-plus. Contrairement à l’individu-solo, dont la cognition et les connaissances seraient exclusivement internes, l’individu-plus renvoie à la cognition distribuée (Pea, 1993) entre l’individu et son environnement physique et social, incluant les artefacts produits par d’autres et par l’individu lui-même – c’est-à-dire un système composé de l’individu et de son environnement. Le concept d’EPA – que nous développerons plus loin – avancé pour la première fois par Ollivier et Liber (2001) peut être défini comme la représentation que l’individu se fait de l’ensemble des instruments, des ressources utilisées et de son projet d’apprentissage (Väljataga, 2010). Ainsi, le concept d’EPA est au cœur de la médiation des savoirs et, à l’instar de Henri et al. (2008), de nombreux auteurs voient en l’EPA une piste prometteuse pour soutenir l’apprenant dans le développement de son autonomie.

Néanmoins, pour analyser l’activité d’apprentissage humain médiée par les outils et les ressources, chercheurs, formateurs et apprenants font face au défi de conscientiser et d’objectiver la représentation que se fait l’apprenant de son EPA. Face à cette problématique, nous avons développé une méthode d’analyse et d’interprétation des représentations que se font les étudiants universitaires de leur EPA que nous avions nommée MEPA (Felder, sous presse). Cette méthode comprend un modèle générique de l’EPA et langage de modélisation des EPA permettant de les figurer de manière hautement expressive dans un support intelligible pour les apprenants.

C’est en nous appuyant sur cette instrumentation que la présente étude exploratoire a été réalisée avec pour objectif d’évaluer le potentiel réflexif des modèles d’instance d’EPA d’étudiants générés par le chercheur en tant qu’objet intermédiaire. Pour atteindre cet objectif, l’étude porte sur les trois questions suivantes : 1) dans quelle mesure le langage de modélisation des EPA permet-il de générer des modèles satisfaisants, intelligibles, plausibles et féconds pour des étudiants universitaires ? 2) Dans quelle mesure ces modèles renforcent-ils chez l’étudiant la conscientisation de son EPA ? 3) Dans quelle mesure la méthode de modélisation et son approche réflexive sur l’EPA suscitent-elles chez l’étudiant un apprentissage des savoirs immanents à la conceptualisation de l’EPA qu’elle soutient ?

Dans le cadre conceptuel de cette contribution, nous rappelons tout d’abord notre conceptualisation de l’EPA ainsi que le langage de modélisation des EPA sur lesquels s’appuie cette étude. Nous postulons ensuite que les modèles d’instance d’EPA servent d’objet intermédiaire (Vinck, 2009) entre l’apprenant et lui-même, lui fournissant ainsi une instrumentation susceptible de l’amener à transformer sa conception de l’EPA et plus largement de l’apprentissage, dans la perspective du changement conceptuel (Vosniadou, 1994 ; Di Sessa, 1993). Nous mobilisons ces deux notions pour traiter nos questions de recherche. Dans la section suivante, nous décrivons notre méthode de recherche avant de présenter nos résultats. Ceux-ci montrent que les 15 étudiants rencontrés reconnaissent l’intelligibilité, la plausibilité et la fécondité des visualisations d’EPA réalisées avec le langage de modélisation et que pour certains étudiants, l’objectivation de leur EPA a généré des changements conceptuels. En conclusion, nous discuterons des perspectives pratiques de notre approche, tant pour l’apprenant que pour le formateur.

Cadre conceptuel

L’EPA, un système d’instruments inscrit dans le système d’activité d’apprentissage

Dans la littérature, l’environnement personnel d’apprentissage est conceptualisé soit en tant qu’objet technologique, soit en tant que stratégie pédagogique, soit comme une réalité subjective (Henri, 2014). S’inscrivant dans cette dernière conceptualisation, plusieurs auteurs (Henri, 2014 ; Charlier, 2014 ; Roland et Talbot, 2014 ; Fluckiger, 2014, Felder, 2014, 2017) présentent l’EPA comme un système d’instruments au sens de Rabardel (1995). Pour Rabardel, un artefact, concret ou symbolique, devient un instrument dès lors qu’il est associé à un schème d’utilisation par un individu, dans un processus d’instrumentation et d’instrumentalisation.

À partir du concept d’instrument, Marquet (2004) propose qu’un instrument d’apprentissage puisse être composé d’un schème et de trois types d’artefacts : techniques, didactiques et pédagogiques. Sur cette base, nous avons montré que les artefacts sociaux participent également à la constitution d’un instrument d’apprentissage (Felder, 2014, 2017). Nous avons aussi montré que l’EPA peut être à la fois le fruit d’un processus de construction et de régulation mené par l’apprenant au sein d’un système d’activité d’apprentissage et un produit de ce même système d’activité au même titre que les apprentissages (Felder, 2017). L’exercice tend à démontrer que l’EPA participe étroitement au processus d’apprentissage de l’étudiant. En d’autres mots, par son adaptation en cours d’activité, l’EPA en constitue aussi le produit. C’est ainsi, comme nous le verrons plus loin, que l’on pourra assimiler l’EPA au PLUS de l’individu-plus (Charlier, 2018 ; Perkins, 1993, 1995).

Dans le but d’augmenter l’expressivité des modèles d’EPA, nous proposons d’étendre la conceptualisation de l’EPA exposée plus haut en précisant à quoi se rapportent les concepts d’artefact didactique, d’artefact pédagogique et d’artefact social – cette conceptualisation de l’EPA a été représentée visuellement par un modèle générique (Felder, sous presse). Ainsi, les travaux de recherche en modélisation dans l’ingénierie pédagogique permettent de rapporter l’artefact didactique à une typologie de connaissances et de compétences (Paquette, 2005 ; voir tableau 1). Dans un EPA, connaissances et compétences sont les objectifs visés par l’apprenant (Felder, sous presse). Les artefacts pédagogiques se rapportent à deux éléments : les stratégies d’apprentissage appliquées par l’apprenant et les formes dans lesquelles les informations choisies ou créées par l’apprenant sont représentées ou médiatisées. Pour identifier les stratégies d’apprentissage, nous recourrons aux travaux en psychologie cognitive menés par Bégin qui propose une taxonomie de stratégies cognitives et métacognitives (Bégin, 2008 ; voir tableau 1). Quant aux médiatisations, à défaut de disposer d’une typologie, nous nous rapportons à la variété de formes de représentations de l’information, telles que l’article scientifique, le diaporama, la vidéo, le résumé, les notes personnelles, les schémas, le tableau, etc. Enfin, nos travaux de recherche sur la modélisation des EPA nous ont amené à décliner l’artefact social en trois éléments : les individus et groupes auxquels l’apprenant recourt pour apprendre ; les principes, règles, normes et valeurs externes ; les valeurs, règles et idéaux internes que l’apprenant respecte dans son instrumentation (Felder, sous presse).

Modélisation des EPA

Le langage de modélisation des EPA que nous avons développé (MEPA ; Felder, sous presse) est conçu pour permettre à l’apprenant, lors de l’observation de l’instance de son EPA, de mettre en perspective les concepts du modèle générique de l’EPA par rapport à ses propres représentations. Il recourt à un ensemble d’attributs graphiques (tableau 1) inspiré du langage de modélisation par objet typé (MOT) (Paquette, 2005), auxquels nous avons ajouté des symboles spécifiques à la conceptualisation de l’EPA définie plus haut, ainsi que des étiquettes qui renvoient aux concepts composant le modèle générique de l’EPA. Les rectangles de couleur verte renvoient au concept artefact didactique. Deux symboles différencient les compétences des connaissances. Les labels en haut et en bas des rectangles renvoient respectivement à la typologie de compétences et de connaissances (Paquette, 2005) auxquelles recourt notre modèle générique de l’EPA (Felder, sous presse). Les rectangles de couleur orange renvoient au concept artefact pédagogique. Deux symboles différencient les stratégies cognitives et métacognitives et les formes de représentation des informations (autrement dit : les formes de médiatisation). Les labels de ces rectangles renvoient à la typologie de stratégies cognitives et métacognitives de Bégin (2008) à laquelle recourt notre modèle générique de l’EPA (Felder, sous presse). Les rectangles violets renvoient au concept artefact social et est accompagné d’un symbole unique. Le label en haut du rectangle différencie le type : individu, groupe ; principes, règles, normes externes et internes. Le rectangle bleu renvoie au concept artefact technique. Ce concept est accompagné d’un symbole et d’un label, mais n’est toutefois pas décliné plus précisément dans notre modèle générique, au contraire des autres artefacts. L’ovale jaune renvoie au concept schème d’apprentissage et est accompagné d’un symbole et d’un label.

Aussi, chaque objet du langage de modélisation contient en son centre un espace pour exprimer la représentation de l’apprenant en ses propres mots où l’on remplace lors de la modélisation le terme « Représentation » par les propres mots de l’apprenant. Enfin, pour relier un schème à un artefact et ainsi représenter un instrument, le langage de modélisation prévoit quatre liens labélisés pour chacun des artefacts : utilise relie à un artefact technique ; vise relie à un artefact didactique ; applique relie à un artefact pédagogique ; observe relie à un artefact social. Ces liens renforcent l’expressivité des modèles au niveau syntaxique. Un exemple de mise en application de ce langage de modélisation se trouve en annexe.

Tableau 1 : Éléments visuels du langage de modélisation des EPA (Felder, sous presse)

Le modèle, un objet intermédiaire pour soutenir une médiation réflexive

Les EPA modélisés et représentés visuellement par le chercheur peuvent être envisagés comme des objets intermédiaires au sens de Vinck (2009). Pour cet auteur, un objet intermédiaire est le vecteur de l’intention et des pensées de celui qui l’a conçu dans la mesure où il est chargé de connaissances et des projections quant à sa fonction. Un tel objet peut disposer d’un « équipement reliant les objets intermédiaires à des conventions » (Vinck, 2009, p. 66). En ce sens, les modèles d’instances d’EPA en tant qu’objet intermédiaire sont en somme « équipés » de la conception de l’EPA du chercheur et des conventions établies par le langage de modélisation tout en s’appliquant à l’expérience spécifique de l’étudiant. C’est ainsi que l’on peut attribuer aux modèles le statut d’objets intermédiaires entre le chercheur et l’apprenant. Aussi peut-on préfigurer que les modèles d’EPA sont des médiateurs entre l’apprenant et la réflexion qu’il fait sur lui-même, par lui-même (caractère réflexif). Ils sont également médiateurs entre l’apprenant et un savoir le menant à développer une nouvelle conception de ce qu’est « apprendre ».

Dans la perspective du changement conceptuel (Vosniadou, 1994 ; Di Sessa, 1993), nous postulons que le potentiel réflexif des modèles d’EPA réside d’abord dans leurs propensions à susciter chez l’apprenant une évolution de la représentation qu’il se fait de son EPA. Selon Dehon et Derobertmasure, « représentation, conceptions naïves ou modèle mental sont des expressions proches » (Dehon et Derobertmasure, 2016, p. 30) pouvant se définir comme « l’explication que se fait l’individu du monde qui l’entoure, et ce via des modèles explicatifs dont il dispose » (Giordan et De Vecchi, 1994, dans Verhaeghe et al., 2004, p. 88). Cette évolution de la représentation de son EPA pourra mener l’apprenant à une représentation plus complète ou plus précise de son EPA.

À un niveau plus avancé, le potentiel réflexif des modèles réside dans leurs propensions à susciter une évolution du modèle explicatif dont l’individu dispose et qui lui sert de grille d’analyse pour « comprendre le monde à sa façon et interpréter des situations nouvelles » (Verhaeghe et al., 2004, p. 89). Selon ces auteurs, les conceptions sont dynamiques et c’est en les faisant évoluer que le savoir se construit. Comme nous l’avons exposé plus haut, l’EPA en tant qu’objet scientifique au sens de Davallon (2004) n’est pas encore formalisé, ni dans la recherche ni dans les pratiques de formation. Par conséquent, l’apprenant ne peut mobiliser un modèle explicatif scientifique, il ne peut interpréter son EPA que de manière intuitive. Selon Di Sessa (1993), le développement d’un système de connaissances intuitif vers une meilleure compréhension requiert une organisation des connaissances plus dense en ajoutant de la profondeur et de la largeur. Chi (2009) précise que les connaissances d’un apprenant peuvent être soit « manquantes, incomplètes ou en conflit avec la conception visée » (op. cit., p. 61). Selon ce même auteur, apprendre consiste à ajouter des connaissances dans le premier cas, à les compléter dans le deuxième cas et à un changement conceptuel dans le dernier cas. De tels changements nécessiteraient la réunion de quatre conditions : insatisfaction de la représentation initiale, reconnaissance de l’intelligibilité, de la plausibilité et de la fécondité de la nouvelle conception (Dole et Sinatra, 1998 ; Posner et al., 1982 ; Megalakaki et Labrell, 2009).

Cadre méthodologique

Contexte de l’étude

La présente étude s’inscrit dans le contexte plus large d’une recherche longitudinale exploratoire qualitative visant à comprendre et modéliser le processus de construction et de régulation de l’EPA (Felder, 2017). Cette recherche nous a permis d’enrichir la conceptualisation instrumentale de l’EPA, un modèle générique de l’EPA ainsi qu’un langage de modélisation spécifique aux EPA (Felder, sous presse). Dans la présente étude, nous utilisons le modèle générique de l’EPA et les modèles d’instance d’EPA produits dans le cadre de notre recherche longitudinale. Ces modèles d’instances ont été générés par le chercheur à partir des données d’entretiens menés à quatre moments différents avec chacun des quinze étudiants d’un même cours du programme de bachelor en psychologie de l’Université de Fribourg. Les premiers entretiens ont eu lieu avant le cours et s’intéressaient à l’EPA général de l’étudiant dans ses études de bachelor. Les deuxièmes, troisièmes et quatrièmes entretiens ont eu lieu respectivement après quatre, huit et douze semaines de cours. Ils s’intéressaient à l’EPA particulier de l’étudiant dans ce cours. Les données empiriques de la présente étude sont issues d’un cinquième entretien mené auprès des mêmes étudiants cinq mois après la fin du cours et exploitant le modèle d’instance de l’EPA de chaque étudiant après 12 semaines de cours.

Figure 1 : Contexte de l’étude

Le cours auquel les étudiants prennent part peut être qualifié d’hybride et a lieu sur un semestre. Lors de chaque leçon présentielle, l’enseignant introduit une thématique différente (douze au total) en mettant l’emphase sur la manière dont les connaissances scientifiques sont construites à partir des recherches expérimentales. Chaque étudiant choisit quatre thèmes qu’il devra approfondir par la lecture d’articles scientifiques fournis par l’enseignant, dans une démarche de construction personnelle des connaissances. L’examen consiste à développer une réponse argumentée à deux questions portant sur deux thèmes différents. Par auto-positionnement de l’enseignant selon la typologie HY-SUP (Burton et al., 2011), le dispositif d’enseignement mis en place est à parts égales « centré sur la transmission de contenu, caractérisé par l’intégration de ressources extérieures […] » (Type 3) et « centré sur l’apprentissage, caractérisé par l’ouverture, la liberté de choix et l’accompagnement des apprentissages » (Type 5).

Méthodologie

Rappelons les trois questions de recherche définies pour cette contribution : 1) Dans quelle mesure notre langage de modélisation des EPA permet-il de générer des modèles satisfaisants, intelligibles, plausibles et féconds pour des étudiants universitaires ? 2) Dans quelle mesure ces modèles renforcent-ils chez l’étudiant la conscientisation de son EPA ? 3) Dans quelle mesure la méthode de modélisation et son approche réflexive sur l’EPA suscitent-elles chez l’étudiant un apprentissage des savoirs immanents à la conceptualisation de l’EPA qu’elle soutient ?

Pour les traiter, nos données proviennent du cinquième entretien mené auprès des quinze étudiants 3 mois après le cours. Cet entretien est structuré en quatre parties (figure 2). La première partie est un pré-test : les étudiants ont été invités à représenter graphiquement et à décrire oralement et librement leur instrumentation d’apprentissage (leur EPA). Il s’agit d’une représentation non formelle à partir des souvenirs de l’apprenant. La deuxième partie est une intervention : nous leur avons présenté le modèle d’instance représentant leur EPA au terme des 12 semaines du cours que nous avons généré à partir des données du quatrième entretien en appliquant le langage de modélisation MEPA. La troisième partie est un post-test : il leur a été demandé une deuxième fois de représenter graphiquement et de décrire oralement leur EPA à leur manière (sans support). Enfin, en quatrième partie, nous avons mené un entretien directif visant à recueillir leurs réflexions sur l’approche de modélisation de leur EPA que nous leur avons présenté. Ces quatre parties ont été menées lors d’un unique entretien d’une heure (chaque partie environ quinze minutes).

Figure 2 : Déroulement de l’entretien 5 comme source de données et liens avec les résultats

Pour traiter de la première question de recherche portant sur l’intelligibilité, la plausibilité et la fécondité des modèles, nous nous référons aux quatre conditions reconnues nécessaires à un changement conceptuel. Notre grille d’analyse catégorielle (L’Écuyer, 1990) est constituée de ces quatre conditions.

 Non-satisfaction de l’ancienne conception de l’EPA.

 Reconnaissance de l’intelligibilité de la nouvelle conception de l’EPA.

 Reconnaissance de la plausibilité de la nouvelle conception de l’EPA.

 Reconnaissance de la fécondité de la nouvelle conception de l’EPA.

Pour traiter des questions de recherche 2 et 3 portant sur la conscientisation par l’apprenant de son EPA et sur l’apprentissage savoirs immanents à la conceptualisation de l’EPA, nous utilisons le modèle générique de l’EPA que nous avons développé (Felder, sous presse) comme grille d’analyse catégorielle (L’Écuyer, 1990) des verbatims issus des étapes 1 et 3 du cinquième entretien (figure 1). Cette analyse fournit pour chaque étudiant une image de la représentation initiale qu’il se faisait de son EPA ainsi que la nouvelle représentation qu’il se fait de son EPA. Aussi, cette nouvelle représentation permet d’évaluer l’évolution chez l’étudiant du modèle explicatif du concept d’EPA et ainsi, d’identifier des changements conceptuels éventuels. Les résultats de ces analyses sont présentés ci-dessous.

Résultats de la recherche

Conditions pour un changement conceptuel

Dans quelle mesure notre langage de modélisation des EPA permet-il de générer des modèles satisfaisants, intelligibles, plausibles et féconds pour des étudiants universitaires ? Cette première question de recherche évalue la présence chez les étudiants des quatre conditions reconnues favorables à un changement conceptuel (Dole et Sinatra, 1998 ; Posner et al., 1982 ; Megalakaki et Labrell, 2009). Elle mobilise les données issues de l’étape 4. « Entretien directif » du cinquième entretien (figure 2). Cette évaluation est nécessaire d’une part afin de valider la possibilité de traiter des questions 2 et 3 portant sur l’évolution des représentations des étudiants et sur un changement conceptuel de leur modèle explicatif du concept de l’EPA. D’autre part, intelligibilité, plausibilité et fécondité constituent des indicateurs permettant d’évaluer la qualité du langage de modélisation des EPA (MEPA). Nos analyses indiquent que les modèles d’instance d’EPA dans leur statut d’objet intermédiaire à caractère réflexif offrent des qualités requises pour susciter un changement conceptuel. En effet, les propos de quatorze des quinze étudiants qui ont participé à notre étude montrent qu’au moins trois des quatre conditions ont été satisfaites. Un seul étudiant manifeste une opinion mitigée par rapport à l’expérience qu’il a vécue. Il ne montre aucune insatisfaction face à la conception initiale qu’il a d’un EPA et il n’exprime aucune reconnaissance de la fécondité et de l’intelligibilité de la conception que nous lui avons proposée. Il en reconnait toutefois la plausibilité. De manière plus détaillée, nous résumons dans ce qui suit les résultats se rapportant aux conditions favorables à un changement conceptuel.

Plausibilité. Il ressort de nos analyses que tous les étudiants reconnaissent la plausibilité de la nouvelle conception de leur EPA. Tous ont validé le modèle d’instance que nous leur avons présenté sans émettre de critique à l’encontre des concepts qui soutiennent cette modélisation. Certains reconnaissent explicitement la plausibilité de cette nouvelle conception, à l’image de l’étudiant 11 qui déclare que le modèle « pourrait être une façon de théoriser l’apprentissage qui pourrait être bien, oui ».

Intelligibilité. La nouvelle conception de l’EPA est reconnue intelligible manifestement par treize des quinze étudiants, permettant de « voir comment j’apprends », comme l’illustre l’extrait suivant.

« Je trouve intéressant justement d’essayer de parler de tous ces outils, de mettre un peu tout ça ensemble. Et de voir comment j’apprenais justement. Et puis de faire ce travail sur soi, d’essayer d’analyser, de dire comment on apprend, les outils, les méthodes, tout ce qu’il y a. » (Étudiant n° 5)

Fécondité. La conception de l’EPA que nous proposons est perçue comme féconde par tous les étudiants, mais de diverses manières. Dans certains cas, la reconnaissance de la fécondité du modèle est orientée vers autrui. Elle n’est donc pas est admise pour soi-même, mais pour d’autres étudiants.

« Moi je ne le ferais pas en tout cas pour moi d’un point de vue personnel. Mais ça peut peut-être être utile à des personnes qui ont besoin de clés pour s’organiser. » (Étudiant n° 10)

24Dans d’autres cas, la fécondité s’applique à l’apprenant lui-même.

« Oui je pense que ça peut être aussi bénéfique de toujours prendre du recul sur une situation et d’aller voir plus loin que vraiment notre action qu’on est en train de faire. Donc oui je pense que ça peut être bien utile. » (Étudiant n° 3)

« C’est vrai que de voir à quel point en fait je m’adapte au prof, la manière que j’ai d’apprendre. Et que finalement je n’ai pas une manière dictée de fonctionner, de réviser, d’apprendre ou de développer des connaissances, c’est vrai que je suis pas mal dans l’adaptation, en fait, très clairement. » (Étudiant n° 4)

« Je dirais une meilleure conscience de ce que je fais effectivement pour apprendre et j’espère que je pourrai un peu améliorer encore, dans l’idée que si je suis consciente de ce que je fais, je peux encore un peu plus chercher qu’est-ce qui me convient ou ce qui me convient moins ou bien, pour changer éventuellement et puis essayer de perfectionner encore le système. (Étudiant n° 7)

25Dans d’autres cas encore, la reconnaissance de la fécondité de la conception que nous proposons opère grâce à la comparaison de l’autre avec soi-même.

« La grosse gifle que j’ai eue (…) c’est la dernière fois, tu m’avais montré comment moi j’avais bossé au début, justement avec ces schémas-là, et puis comment quelqu’un qui était préparé dès le début en fait. Et la comparaison des deux m’a fait « ah ouais, bon ben là, il y a quelque chose à changer, quelque chose en tout cas à améliorer ». Après on n’y pense pas tous les jours non plus. Mais ça permet de rendre plus clair certaines choses qu’on a un petit peu au fond de la tête. Mais oui, cette comparaison elle m’a bien servi. » (Étudiant n° 13)

Enfin, la reconnaissance de la fécondité est considérée par certains étudiants de manière englobante, touchant l’apprentissage en général.

« Peut-être que je me rends compte de l’importance que ça a par rapport à l’apprentissage de manière générale. Que la manière dont on fonctionne et les stratégies qu’on emploie, ça donne envie de prendre un peu le temps de réfléchir à ce qui est mis en place. Parce que je pense que ça peut permettre de perfectionner continuellement et puis c’est comme ça qu’on devient plus efficace. Je pense que c’est de simplement réfléchir un peu à ce qui se passe derrière les activités à proprement parler pour optimiser son apprentissage. » (Étudiant n° 6)

Satisfaction. L’expression par les étudiants d’une non satisfaction de leur conception initiale l’EPA ne peut être évaluée systématiquement, du fait que l’entretien ne prévoyait aucune question spécifique à ce sujet. Toutefois, quelques étudiants ont déclaré qu’ils n’auraient pas pu représenter leur EPA « autant systématiquement, autant schématisé, autant clairement » (Étudiant n° 2) que cela a été fait avec le langage de modélisation. D’autres encore expriment leur satisfaction du modèle et de la conception proposés qui « permet d’aller plus loin dans les analyses » (Étudiant n° 6), « de comprendre de manière plus schématisée, plus scientifique comment on fonctionne dans les études » (Étudiant n° 13). Enfin, un étudiant déclare qu’avec cette approche, « on peut construire notre façon d’apprendre » (Étudiant n° 12).

Évolution des représentations et des conceptions

Dans quelle mesure le modèle d’instance de son EPA renforce-t-il chez l’étudiant la conscientisation de son EPA ? Dans quelle mesure la méthode de modélisation et son approche réflexive sur l’EPA suscitent-elles chez l’étudiant un apprentissage des savoirs immanents à la conceptualisation de l’EPA qu’elle soutient ? Ces deux questions de recherche sont traitées en parallèle pour évaluer le potentiel réflexif des modèles d’EPA sous l’angle du changement conceptuel. Nos analyses exploitent les données issues des étapes 1. « Pré-test » et 3. « Post-test » du 5e entretien (figure 2). Les résultats indiquent que les modèles d’instance d’EPA dans leur statut d’objet intermédiaire à caractère réflexif ont eu l’effet escompté sur la grande majorité des étudiants. En effet, les représentations verbales et visuelles des EPA de quatorze des quinze étudiants montrent une augmentation de la densité des dimensions conceptuelles auxquelles les étudiants recourent pour exprimer leur EPA. Dix étudiants voient de nouvelles dimensions conceptuelles compléter leur modèle explicatif de l’EPA. Certains vont jusqu’à catégoriser leurs propos de façon conforme à la conceptualisation de l’EPA soutenue par le langage de modélisation. Nous rapportons comme résultat marginal que les étudiants expliquent leur EPA de façon plus riche après leur réflexion médiée par le modèle d’instance. Nous présentons ci-dessous les résultats détaillés du cas d’un étudiant pour permettre au lecteur de saisir ensuite le condensé pour l’ensemble des quinze étudiants présentés.

Cas de l’étudiant 8

Le tableau 2 présente les données du cas de l’étudiant n° 8. Nous décrivons comment il explique son EPA à l’aide de son modèle explicatif initial puis comment, suite à sa réflexion médiée par le modèle d’instance d’EPA, il l’explique à l’aide de son modèle explicatif nouveau. Leur comparaison permet de montrer les changements conceptuels. Le lecteur trouvera en annexe le modèle d’instance de l’EPA de l’étudiant 8 généré par le chercheur.

Modèle explicatif initial L’étudiant explique son instrumentation d’apprentissage comme une succession de phases d’apprentissages (4 occurrences) et d’actions à mener (6 occurrences). Il conçoit que ses actions sont menées en utilisant différents outils (artefacts) techniques (6 occurrences). Lorsqu’il parle de la lecture des articles, il a conscience que son instrumentation vise spécifiquement certaines connaissances (artefacts didactiques – connaissances). Tout au long de son explication, il conscientise avec finesse les différentes sources d’informations qu’il exploite de même que celle qu’il a produite lui-même (artefact pédagogique – forme de représentation des informations). Il a également conscience de certaines opérations cognitives qu’il mène : noter et résumer (élaborer l’information), faire les mind-map (organiser les informations), marquer les passages importants (sélectionner les informations), réécouter et apprendre par cœur (reprendre, répéter l’information), préparer ce que je veux dire à l’examen (extérioriser les connaissances). L’étudiant mentionne encore une émotion : le stress. Il s’agit là du modèle explicatif initial le plus riche parmi les étudiants de notre étude.

Modèle explicatif nouveau. L’analyse des données nous montre que son modèle explicatif nouveau évolue par adjonction de nouveaux concepts ainsi que par un réel changement conceptuel. L’étudiant catégorise désormais certaines opérations cognitives – dont nous avons souligné les verbatims dans le tableau 2 – selon la typologie de stratégies cognitives utilisées dans le langage de modélisation : stratégies métacognitives, sélection de l’information, élaboration de l’information. Il conçoit que prendre des notes et faire un résumé sont deux opérations à catégoriser dans la stratégie cognitive « élaboration », ce qui constitue un changement conceptuel. Il conçoit la dimension sociale de son instrumentation en incluant désormais le professeur. Il ajoute deux concepts (artefacts didactiques) à son instrumentation : connaissance et compétence. Il intègre à son explication les lieux de son environnement d’apprentissage. De plus, on observe sur sa représentation visuelle que l’étudiant utilise systématiquement la couleur noire pour les artefacts didactiques (connaissances et compétences). Le rouge, le bleu et l’orange semblent être utilisés plutôt pour représenter les phases de l’apprentissage, alors que le trait discontinu distingue systématiquement des stratégies cognitives. Enfin, il conçoit que « tout ça, c’est dans le but d’apprendre », autrement dit qu’il s’agit d’un système d’instruments d’apprentissage.

Condensé des cas 1 à 15

Le tableau 3 présente le condensé des résultats des quinze étudiants concernant l’évolution des représentations et l’acquisition de savoirs relatifs au concept de l’EPA. Ces résultats sont obtenus par la catégorisation des verbatims des étudiants selon les différents concepts auquel le modèle générique de l’EPA et le langage de modélisation recourent – à l’exception des catégories lieux et des phases qui ont été ajoutées lors de l’analyse en raison de l’importance qu’elles ont dans les conceptions des étudiants. La colonne de gauche liste les concepts issus du langage de modélisation et utilisés pour catégoriser le discours des étudiants. La présence du concept (lettre P, cellule verte) ou son absence (lettre A cellule rouge) est indiquée en regard des concepts pour chaque étudiant (Étu. 1 à Étu. 15) dans son modèle explicatif initial et dans son modèle explicatif nouveau. L’indication CC dans une cellule bleue indique que l’étudiant manifeste un réel changement conceptuel, c’est-à-dire en catégorisant explicitement ses représentations selon la conceptualisation soutenue par le langage de modélisation. En matière de changement conceptuel, les résultats condensés dans le tableau 3 se résument ainsi.

Aucune évolution. Seul le modèle explicatif de l’étudiant 10 ne semble pas évoluer.

Densification du modèle explicatif. Onze étudiants (1, 2, 3, 6, 7, 8, 9, 11, 13, 14, 15) voient leur modèle explicatif s’enrichir par addition de nouveaux concepts.

Changements conceptuels. Dix étudiants manifestent de réels changements conceptuels. Les étudiants 4, 6, 9, 13, 14 et 15 conçoivent désormais les ressources d’informations comme des éléments centraux de leur instrumentation d’apprentissage. Les étudiants 2, 4, 5, 6, 8, 12, 15 conçoivent plus précisément et densément les stratégies cognitives de leur EPA. Deux étudiants (8 et 14) expliquent leur instrumentation en incluant des stratégies métacognitives. Deux autres (13 et 15) réalisent la dimension sociale de leur instrumentation d’apprentissage, à l’illustration de l’étudiant 15 : « Ce que je trouvais vraiment intéressant dans le schéma que tu m’as montré, […] le cours je le prends comme point de départ, mais après […] je vais me concentrer, discuter avec les autres, du coup pas utiliser le cours, mais utiliser plutôt des réseaux [sociaux] très externes au cours. ». Deux étudiants (8 et 15) intègrent désormais les concepts de connaissances et de compétences dans l’explication de leur modèle explicatif de leur instrumentation d’apprentissage.

Tableau 3 : Évolution des modèles explicatifs des étudiants
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Discussion, limites, perspectives

Notre objectif était d’évaluer le potentiel des modèles d’instances d’EPA générés par le chercheur comme objet intermédiaire entre l’étudiant et lui-même (caractère réflexif). Nos résultats exploratoires montrent que les étudiants reconnaissent ce potentiel dans les EPA ainsi modélisés. La médiation induite par le modèle d’instance leur permet d’objectiver leur EPA et d’en prendre conscience. Les étudiants ont par ailleurs reconnu l’intelligibilité et la plausibilité de la conceptualisation de l’EPA à la base des modèles d’instances. En sus de ces indicateurs reconnus comme favorables à un changement conceptuel (Dole et Sinatra, 1998 ; Posner et al., 1982 ; Megalakaki et Labrell, 2009), nos résultats montrent les prémices de tels changements conceptuels dans la représentation que se font les étudiants de l’EPA qu’ils ont construit pour apprendre, parfois au point de faire évoluer leur modèle explicatif du concept de l’EPA. Chez la majorité des étudiants, le vocabulaire utilisé devient plus précis, l’explicitation de leur EPA est plus complète et chez certains, l’ensemble paraît prendre la forme d’un système d’instruments. Notons encore que nos résultats révèlent qu’il semble généralement plus difficile pour l’étudiant d’intégrer les typologies de connaissances et de compétences à leur modèle explicatif, ainsi que les concepts de la dimension sociale. Certains étudiants ne présentent toutefois pas de signes d’évolution de leur modèle explicatif de l’EPA.

Toutefois, ces résultats exploratoires sont à nuancer pour au moins trois raisons. D’abord, il est plausible que les effets rappelés ci-dessus soient à comprendre aussi par le caractère longitudinal de cette recherche. En effet, les quatre premiers entretiens ayant servi à produire les modèles d’EPA peuvent s’apparenter à des séances de supervision qui ont pu stimuler chez l’étudiant un travail réflexif sur son EPA en amont du cinquième entretien sur lequel porte cette étude. Ensuite, la discussion menée par le chercheur avec l’étudiant sur son modèle d’EPA lors de l’entretien a une fonction didactique évidente : elle introduit l’étudiant aux concepts clés et elle guide l’interprétation du modèle. Enfin, les caractéristiques individuelles des étudiants sont des facteurs expliquant probablement les différences observées entre les étudiants en matière de changements conceptuels. Ces éléments invitent à poursuivre les recherches afin d’établir des liens avec les caractéristiques individuelles des étudiant-e-s, ainsi qu’à développer des usages pédagogiques de la modélisation des EPA avec le langage que nous proposons.

Dans l’hypothèse où un changement conceptuel se confirme chez l’étudiant, le concept d’EPA serait un puissant moyen d’opérationnaliser le développement de la translittératie. Cette dernière est définie comme « l’habileté à lire, écrire, et interagir par le biais d’une variété de plateformes, d’outils et de moyens de communication, de l’iconographie à l’oralité en passant par l’écriture manuscrite, l’édition, la télévision, la radio et le cinéma jusqu’aux réseaux sociaux » (Thomas et al., 2007) et « la capacité à naviguer dans différents domaines, impliquant l’habilité à chercher, évaluer, tester, valider et modifier l’information selon les contextes d’utilisation (codes, nouvelles, documents) » (Frau-Meigs, 2012, p. 16). Les éléments de cette définition sont connexes aux concepts composant la conceptualisation de l’EPA à la base de cette étude. Nous y retrouvons : les compétences (artefacts didactiques) – lire, écrire, interagir ; les artefacts techniques – plateformes, outils, moyens de communication ; les formes de représentation des connaissances (artefacts pédagogiques) – iconographie, oralité, écriture manuscrite, édition, télévision, radio, cinéma ; les artefacts sociaux – les réseaux sociaux ; et enfin les stratégies cognitives (artefacts pédagogiques) – chercher, évaluer, tester, valider et modifier l’information. L’EPA peut ainsi être mobilisé comme pour « une éducation aux médias et à l’information augmentée par le numérique qui permet aux apprenants de mobiliser leurs propres scénarios cognitifs (comme unités de sens et unités de prise de décision) et de faire appel à leurs expériences pour adapter et contrôler leur propre performance en ligne et leur interaction avec les autres. Ils doivent faire appel à leurs représentations des autorités qui contrôlent la prestation des outils numériques pour les adapter à leurs propres besoins si nécessaires. » (Frau-Meigs, 2019, p. 93)

Finalement, compte tenu de nos résultats, nous pensons prometteuse l’idée que l’étudiant puisse mettre en œuvre une démarche d’objectivation de son EPA soutenue par le langage de modélisation que nous avons développé (Felder, sous presse) afin de contribuer au développement de son autonomie dans ses apprentissages, puis tout au long de la vie. Bien que la démarche se soit avérée réalisable en contexte de recherche, il faudra développer des approches adaptées selon les différents contextes de formation. Il faudra également déterminer comment le formateur peut recourir à la modélisation des EPA dans sa pratique spécifique et comment l’apprenant peut s’approprier la démarche pour l’exploiter de façon autonome dans différents contextes. Dans une perspective proche et suite à cette étude, nous exploitons, le langage de modélisation des EPA (MEPA) dans le cadre de supervision de personnes en formation formelle et non formelle. Concrètement, lors d’une séance de supervision, l’apprenant exprime ce qu’il fait pour apprendre dans une situation d’apprentissage de son choix. En parallèle, nous modélisons ce qu’exprime l’apprenant à l’aide des 42 objets du langage MEPA imprimés et prédécoupés sous forme de cartes. L’EPA ainsi visuellement représenté sert de support à la réflexion de l’apprenant que nous pouvons stimuler par différentes stratégies, dont voici quelques exemples. La réflexion peut porter sur l’identification et la formulation des objectifs et des connaissances viser pour mieux définir le projet d’apprentissage de l’apprenant, élément avancé fréquemment par la recherche comme vecteur d’autonomisation de l’étudiant (Albero, 2003 ; Law et Anh, 2008 ; Mailles-Viard Metz et Albernhe-Giordan, 2008 ; Oroleva et al., 2012 ; Loisy, 2012 ; Väljataga et Laanpere, 2010). La réflexion peut ensuite porter sur l’identification de lacunes dans l’EPA de l’apprenant qui l’empêcheraient d’atteindre les objectifs fixés, puis évidemment imaginer que mettre en œuvre pour les combler. De manière plus poussée, la réflexion pourra encore porter sur d’éventuelles conflits instrumentaux qui interviendraient entre différents artefacts, entravant ainsi l’apprentissage (Marquet, 2004 ; Felder, 2017). Finalement, lorsque l’apprenant s’est approprié l’approche, il peut peu à peu construire consciemment ses instruments et son EPA en utilisant les objets du langage MEPA et en se référant à leurs définitions. Une telle approche pourrait-elle être exploitée pour les démarches de design participatif (Charlier et Henri, 2007) ? Nous étudions également la faisabilité de développer un outil numérique (p. ex. : une application web) que l’étudiant pourrait utiliser pour représenter son EPA.

Conclusion

Dans cette contribution, nous avons rattaché la problématique de la conscientisation et de l’objectivation de l’EPA de l’apprenant à celle plus générale du développement de l’autonomie de l’apprenant. Nous avons postulé que le recours à la méthode de modélisation des EPA MEPA qui associe un modèle sémantique hautement expressif à un système formalisé de symboles visuels permet à l’apprenant de poser un regard réflexif sur ses apprentissages et à transformer sa conception de l’EPA et plus largement de l’apprentissage. Nos résultats exploratoires montrent que les étudiants reconnaissent l’intelligibilité, la plausibilité et la fécondité de la modélisation et que pour certains étudiants, l’objectivation de leur EPA a généré des changements conceptuels. Cet usage de modèles d’EPA par les apprenants pourrait permettre de développer leur autonomie, notamment en leur permettant de reconnaître leur individu-plus. Dans un monde où les connaissances et les compétences requises sont en constante évolution, il nous faut imaginer des situations d’apprentissage où les connaissances et compétences visées ne sont pas uniquement prescrites par le dispositif de formation ou le formateur. Car les moyens didactiques succèdent par essence à l’émergence des nouvelles compétences et contiennent de fait des éléments en décalage avec les besoins du moment. Construire son EPA pour reconnaitre son « plus » n’est-il pas un moyen concret de parvenir à l’émergence de telles situations d’apprentissage ?

Bibliographie

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Référence électronique

Joris Felder, « Le potentiel réflexif de la modélisation des environnements personnels d’apprentissage », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 27 | 2019, mis en ligne le 24 octobre 2019, consulté le 03 novembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/dms/3962 ; DOI : 10.4000/dms.3962

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