Une première étape de « déconfinement » se met progressivement en place et une partie des élèves retrouve le chemin de l’école. De nombreuses questions se posent sur les deux mois de « continuité pédagogique » que nous venons de traverser, et plusieurs laboratoires ont d’ores et déjà lancé des travaux de recherche à ce sujet. Des séminaires ont aussi engagé le débat, c’est le cas des Ludoviales, événement virtuel qui s’est déroulé du 27 au 30 avril dernier.
Les retours d’expérience seront d’autant plus précieux que l’école va devoir se réinventer à court et moyen terme. Pour l’heure, certains élèves restent à distance, alors que d’autres seront accueillis en présentiel, le plus souvent à temps partiel. La révision et la consolidation des apprentissages réalisés avant la pandémie et le confinement devront laisser place à l’acquisition de nouvelles connaissances et à la construction de nouvelles compétences.
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Il serait utile de bénéficier d’un véritable bilan sur la période qui permettrait non seulement aux acteurs de l’éducation d’avancer dans leur développement professionnel mais aussi d’envisager des transformations globales d’organisation.
C’est un exercice difficile, où la lucidité et l’ouverture à l’autre doivent être la règle, et où il faut accepter d’analyser ses erreurs. Espérons que « les états généraux du numérique éducatif » annoncés par le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse rempliront efficacement cet office…
Quand nécessité fait loi
Le qualificatif de « guerre » contre le coronavirus, avec tout le lexique militaire qui l’accompagne, n’est pas le plus adapté pour décrire la situation de pandémie. En revanche, celui de mobilisation convient parfaitement pour rendre justice à l’engagement éducatif de tous, à commencer par celui des enseignants, des parents et des élèves eux-mêmes, mais aussi celui de tous les services de l’État et des collectivités, des opérateurs de l’État (Réseau Canopé, CNED), des entreprises EdTech et des partenaires associatifs de l’École.
Personne n’était préparé à une telle crise, il a donc fallu improviser ! Et, comme en musique ou au théâtre, cela nécessite une grande maîtrise technique, beaucoup d’entraînement, et un cap clairement défini afin de pouvoir le maintenir. Ces conditions n’étant pas réunies, chacun fait au mieux avec une inventivité née de la nécessité.
On ne peut que se réjouir avec les autorités nationales de la capacité de l’école à maintenir le contact avec la plupart des élèves et à leur proposer, vaille que vaille, des activités scolaires.
Pour autant, on observe surtout la portée réelle des risques identifiés en tout début de crise :
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un manque de formation à l’ingénierie techno-pédagogique des enseignants ;
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un déficit de compétences d’utilisation du numérique des enseignants mais aussi des élèves et de leurs parents ;
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des aléas techniques, les services numériques n’étant pas dimensionnés ni conçus fonctionnellement pour répondre à l’ampleur et à la nature des besoins ;
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des difficultés scolaires antérieures d’une partie des élèves, dans un système éducatif où la massification ne rime pas avec la démocratisation…
Faire au mieux
Avec près d’un million de personnels d’éducation, d’administration et de direction dont 870 000 enseignants et malgré une vision très régalienne de la « continuité pédagogique », les réalités sont bien sûr diverses.
Bien des enseignants – dont les pratiques reposaient déjà sur des formats alternatifs au classique cours dialogué suivi d’entraînements et d’évaluations – ont su adapter leurs propositions au contexte de la distance. Mais il semble bien que, pour l’essentiel, leurs pratiques soient mimétiques, au sens où elles consistent en une transposition à distance d’activités conçues pour un apprentissage en classe.
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L’école est le fruit d’un processus historique qui a notamment retenu les principes de l’enseignement simultané, avec le respect des unités de temps de lieu et d’espace, un savoir scolaire réifié sous forme de programmes et de manuels, et des normes spécifiques de communication entre les enseignants, les élèves et leurs parents.
Or tout cela est bousculé par la distance, tout cela est transformé par l’usage des techniques numériques. L’approche mimétique ne convient pas. Quand l’enjeu, en classe, consiste à personnaliser les parcours d’apprentissage au sein d’un groupe d’élèves présents, le défi, à distance, est de susciter un sentiment d’appartenance chez des élèves dispersés, et donc de composer avec les trajectoires individuelles pour faire groupe.
Avec la « continuité pédagogique », l’une des questions centrales est celle de l’autonomie des élèves face l’ensemble des activités qui leur sont prescrites. Autonomes, ils doivent l’être puisque le soutien des enseignants est moins facile à assurer, et que l’accompagnement des parents ne peut s’y substituer. De plus, ils se voient déléguer l’organisation personnelle de leur temps d’étude alors que celle-ci leur échappe en grande partie quand ils sont en classe.
Au foisonnement voire à l’excès d’activités prescrites par leurs enseignants, les élèves doivent faire preuve de beaucoup de discernement, de sens de l’organisation et de motivation dans un contexte anxiogène et pas toujours propice à l’attention requise pour apprendre. Certains le peuvent, d’autres non !
Vices et vertus du numérique
Les technologies numériques constituent à la fois le remède et le poison de la mise à distance de l’école. Remède puisque la « continuité pédagogique » dépend en grande partie des moyens numériques à la portée de l’école, qu’il s’agisse de ceux fournis, prescrits ou acquis par l’éducation nationale et les collectivités ou de ceux braconnés par les équipes pédagogiques et les enseignants. Poison, car toutes les fractures numériques – celles de l’équipement, de l’accès au réseau ou des compétences d’utilisation – sont très fortes et viennent amplifier les autres difficultés que rencontrent certains élèves dans ces situations d’apprentissage particulièrement exigeantes.
L’expérience montre que ces écarts ne peuvent pas être compensés par la distribution alternative de matériel imprimé ou par la diffusion complémentaire d’une programmation scolaire à la télévision. Comme le soulignent plusieurs enquêtes internationales et notamment celles du programme PISA de l’OCDE, l’école française est particulièrement inéquitable depuis des années. Tout porte à croire que la période de confinement aura accentué encore les effets négatifs des déterminants sociaux.
Voilà la problématique du numérique à l’école relancée alors qu’elle semblait avec avoir disparu sous l’horizon des politiques éducatives. On s’interroge avec une acuité nouvelle aussi bien sur les politiques d’équipement, de formation que d’usages et il faudra se méfier des fausses évidences et des idées dictées par l’urgence.
L’un des points qui attirent l’attention concerne le choix que les enseignants font des services et ressources numériques qu’ils utilisent. Leur engouement pour certaines plates-formes interroge. On observe combien des libertés sont prises, individuellement mais souvent avec l’assentiment tacite ou explicite des équipes de direction d’établissements, pour utiliser des plates-formes différentes de celles prescrites par l’institution et qui peuvent présenter de véritables risques quant à la protection des données personnelles. Ils ont pourtant de véritables arguments pour le faire.
Dans cette tension entre instrumentation prescrite et instrumentation choisie, il y a un véritable cas d’école pour qui s’intéresse aux processus d’appropriation et une question clé à résoudre pour tout choix politique en la matière.
Des raisons d’espérer
Si les résultats sont en demi-teinte, si l’épuisement guette tous les acteurs de l’éducation alors que la période difficile est loin d’être terminée, il est des points particulièrement positifs qui font espérer, à condition d’en tirer tous les enseignements et d’en valoriser toutes les potentialités. Ils sont nombreux, j’en retiens trois.
Le premier est paradoxal, c’est l’ampleur de la pandémie. Avec plus de 1,2 milliard d’élèves et 60 millions d’enseignants confinés dans le monde et avec des systèmes éducatifs aussi peu préparés les uns que les autres, les enseignants ont dû et ont su réinventer leur quotidien avec des questionnements et des initiatives précieuses pour penser l’avenir de l’école.
Avec plus de 160 pays concernés, la diversité des politiques d’urgence déployées appelle aussi de belles mises en perspectives. La crise est donc aussi un laboratoire d’idées que nous serions avisés de considérer avec attention et d’exploiter avec méthode et détermination.
Le deuxième point est spectaculaire et s’observe dans de nombreux autres pays. Il s’agit de l’émergence des parents. On sait que les systèmes éducatifs ne leur attribuent pas tous la même place et, qu’en France, ils sont des partenaires latéraux de l’école.
Avec le confinement et la projection de l’école à la maison, tout change. Seule l’alliance enseignants, parents et élèves est susceptible de garantir l’efficacité éducative. Nous tenons là l’occasion de restituer aux parents un rôle éducatif qui ne s’arrête pas à la porte de l’école, dans une collaboration bien pensée avec les enseignants et l’institution.
Enfin est apparue la force des collectifs. Activation de collectifs déjà constitués ou création de collectifs ad hoc, les collectifs d’enseignants, d’acteurs du mouvement associatif, d’entreprises EdTech et bien d’autres ont fortement soutenu l’action éducative avec une dynamique souvent très participative et collaborative. Là aussi, il s’agit d’un acquis de la crise.
Et maintenant…
Aujourd’hui, une page se tourne et nous entrons dans une nouvelle étape qui n’est semblable ni à la situation antérieure à la pandémie ni probablement à celle que nous connaîtrons en septembre lors de la prochaine rentrée. Cet entre-deux est singulier. À l’uniformité de la continuité pédagogique au temps du confinement succède l’hétérogénéité des situations avec des élèves en classe et d’autres à la maison, des écoles ouvertes et d’autres fermées…
Si enseigner à distance était déjà une gageure, enseigner efficacement pour tous les élèves dans une telle complexité et une telle versatilité des situations est impossible. Et il y a fort à parier que ceux qui ont le plus besoin de l’école seront aussi ceux qui en bénéficieront le moins. Après quelques jours seulement de réouverture des écoles, de nombreux témoignages attestent leur absence.
Cette période de quelques semaines qui va sans doute épuiser les dernières forces des équipes éducatives serait pourtant précieuse pour organiser une rentrée qui s’annonce critique et où les enjeux éducatifs seront majeurs.
Pour ses travaux de recherche, Jean-François Cerisier a reçu des financements de collectivités territoriales (Région Nouvelle-Aquitaine, Grand Poitiers), de l’État (MENJ, MESRI, ANR, ANRT), de programmes européens, de la Fondation MAIF et de la Cour des comptes.
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