Un récent amendement adopté dans le cadre de la de Loi de Programmation de la Recherche (LPR) remet en cause le cadre national du recrutement des enseignants-chercheurs en revenant sur l’obligation de qualification par le Conseil national des universités des candidats aux postes de professeur des universités. Par pétitions, lettres ouvertes, communiqués, les universitaires se mobilisent.
L’amendement entend « renforcer l’autonomie des universités en donnant à celles-ci les leviers d’une véritable politique scientifique et de ressources humaines, tout particulièrement dans le cadre du recrutement des enseignants-chercheurs. Concernant les professeurs des universités, cet amendement propose de supprimer l’étape de l’inscription des maîtres de conférences sur une liste de qualification établie par le Conseil National des Universités (CNU). »
Cet amendement indique qu’il sera demandé en contrepartie « aux établissements de garantir la transparence et la qualité de leurs procédures de recrutement de manière à combattre le risque de localisme que la qualification ne permet en réalité pas de prévenir dans un grand nombre d’établissements partout en France. » Face à ce dernier constat très juste, cet amendement renforcerait les pratiques de localisme et d’iniquité de recrutement des professeurs d’université, en rompant avec le cadre national des procédures.
Comment sont recrutés les enseignants-chercheurs ?
Les enseignants-chercheurs sont des fonctionnaires recrutés sur concours par les universités au terme d’un parcours exigeant. Avant de briguer un poste de maître de conférences par exemple, les doctorants doivent d’abord être inscrit sur une liste de qualification à cette fonction par le Conseil national des universités (CNU), instance collégiale de représentants d’une discipline, eux-mêmes professeurs d’université et maîtres de conférences, qui définissent des critères de validation des candidats à ces fonctions.
Forts de cette qualification, les candidats peuvent alors répondre à l’appel à candidatures national des universités à partir de fiches de postes indiquant leurs besoins. Des comités de sélection (COS) sont alors constitués et validés par les instances de l’Université.
Les règles de constitution de ces COS imposent des impératifs de quorum de genre et des impératifs de quorum de rattachement (la moitié au moins des membres du COS ne doivent pas être membres de l’université qui recrute).
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Ces règles ont pour objectif de limiter le localisme et le clientélisme par cooptation des recrutements. Sur le papier, tout semble réuni pour une équité des recrutements. Le CNU apparait comme un garant de la qualité des parcours et le COS garant de l’adaptation du candidat aux besoins. Mais ce processus, pourtant relativement lourd, de recrutement des enseignants-chercheurs ne suffit pas garantir l’équité des candidats devant la fonction publique.
Fiches de poste
Les postes sont attribués aux laboratoires par un processus parfois opaque, qui peut devenir un moyen d’orienter les choix sur des impératifs clientélistes et cooptatifs et non sur des enjeux scientifiques de définition collégiale de la qualité scientifique.
Ce sont les directeurs de composante qui assurent la remontée des besoins de recrutement en enseignants-chercheurs et des laboratoires pouvant y prétendre devant l’instance décisionnaire de l’université qui tranchera. Mais toutes les composantes n’ont pas d’organe collégial de décision. La remontée peut être laissée à la décision d’une seule personne, après avis consultatif. Cela dépend de l’organisation interne de l’université.
Même en présence de tels organes, les collusions syndicales locales peuvent alors avoir des effets délétères, contrevenant aux valeurs d’équité portées par les syndicats nationaux. Tous les postes ne remonteront donc pas.
Comment permettre le traitement équitable des laboratoires de recherche ? Y a-t-il des choix de politiques scientifiques ? Y a-t-il des besoins d’enseignements quantifiés et vérifiables ? C’est ce qui est affirmé dans les dialogues de gestion. Mais la réalité est que certains laboratoires peuvent être mieux servis que d’autres. Et ce, avec des moyens de vérification inexistants et des argumentaires parfois opaques.
Pour créer un écran de respectabilité à des pratiques non éthiques, un des moyens le simple est d’utiliser la définition des besoins grâce à une fiche de poste correspondant à un seul candidat. La fiche est alors tellement spécifique dans le profil recherché et le profil d’enseignement que seul un candidat local prédéfini pourra y satisfaire : les postes que le jargon universitaire appelle « les postes à moustache ».
En ce cas, la rédaction de la fiche contrevient à l’égalité des candidats face à un concours de la fonction publique. Le profil est adapté à un chercheur spécifique, il n’est ouvert qu’en apparence et contrevient en pratique au label HRS 4R – label délivré par la Commission européenne aux universités qui mettent en œuvre la Charte européenne du chercheur et le Code pour le recrutement des chercheurs.
Pouvoir d’attribution
La nomination des présidents de comités de sélection (COS) questionne aussi. Ces présidents nommés ont des moyens d’action importants : définition des membres du COS, composition ensuite validée par une instance de l’Université, pluridisciplinaire par définition, et donc éloignée des enjeux de pouvoir de la discipline.
Puisque pluridisciplinaire, cette instance a peu de moyens de repérer si la fiche poste est pertinente au regard des besoins réels, si elle contrevient à l’éthique en ciblant l’un ou l’autre des candidats locaux, si l’équité des membres des COS est respectée au regard de la sociologie de la discipline. Les quelques remises en cause iront rarement jusqu’à invalider la remontée de besoins d’un directeur de composante, des laboratoires de recrutement, le choix de président de COS ou la constitution des COS.
La règle de quorum pour limiter ces pratiques cooptatives (la moitié au moins des membres du COS ne doivent pas être membres de l’université qui recrute) oublie naïvement que le président du COS choisit ces universitaires. Leur choix (leur éventuelle appartenance syndicale, de leur proximité amicale/relationnelle…) mais aussi le pouvoir d’attribution des rapports de chacun des candidats à deux rapporteurs membres du COS deviennent alors des moyens opaques d’infléchir la décision finale du jury.
Dans certaines institutions, la présence d’un syndicat majoritaire, et donc d’élus dans les principaux conseils et COS a une influence certaine sur le recrutement d’un·e collègue pouvant elle-même être inscrite au sein de ce même collectif et ainsi grossir les rangs pour conserver la domination dans un laboratoire ou dans une instance décisionnaire de l’université.
Évidemment, ces pratiques de recrutement détournent le sens premier du processus de recrutement au profit d’autres principes et intérêts et peuvent même devenir un moyen de rétorsion face aux laboratoires récalcitrants, au nom de la déontologie, à concevoir de « vrais-faux » postes. La procédure du label européen HRS 4R sera-t-elle en mesure d’améliorer l’équité des recrutements ?
Ce label conditionne l’obtention de financements de l’Union européenne, fonds dont les universités françaises ne peuvent se passer. Les universités en quête de ce label désormais indispensable se retranchent fréquemment derrière l’idée que le cadrage national des recrutements garantit déjà cette équité… La remise en cause de la validation collégiale du CNU par l’amendement des sénateurs accroit encore le caractère inéquitable de ces recrutements.
Une enquête inédite
Pour mesurer l’ampleur de ces dysfonctionnements, une enquête statistique anonyme s’impose auprès des jeunes chercheurs, et des enseignants-chercheurs titulaires. Les données (les contacts des enseignants – chercheurs) nous ayant été refusées, nous proposons aux universitaires statutaires mais aussi aux jeunes chercheurs de s’emparer du sujet en participant à notre enquête à travers ce questionnaire : sphinxdeclic.com/d/s/7tq1sv.
Après une validation par le CNU, pourrait-on penser des modalités nationales de concours à partir d’épreuves suivies d’affectation dans les universités ? L’argument selon lequel les nouveaux recrutés doivent intégrer une équipe de recherche et doivent donc avoir des thématiques proches des chercheurs locaux ne tient pas vraiment, les concours nationaux d’agrégation du supérieur fonctionnant déjà autrement.
Ceux-ci permettent l’accès au corps des professeurs des universités dans les disciplines juridiques, politiques, économiques ou de gestion : ils combinent une épreuve d’appréciation des titres et travaux des candidats, et des leçons (après préparation en loge avec documents/après préparation libre en 24 heures) devant un jury national. Après la réussite au concours, les lauréats sont affectés dans une université et trouvent toujours un moyen de participer à l’équipe de recherche locale.
Une solution mixte pourrait être imaginée : un CNU qui valide le parcours de recherche de l’impétrant puis des épreuves nationales et une affectation universitaire.
Face aux écueils actuels, encore accrus par la Loi de Programmation de la Recherche, il serait bon qu’une vraie politique d’équité du recrutement des enseignants-chercheurs en France soit pensée. Les rapports et enjeux de pouvoir, on ne le sait pas toujours, structurent la vie universitaire. L’actualité des débats sur les recherches autour du coronavirus en atteste.
Beatrice Mabilon-Bonfils ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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