Un article rédigé par Marine Karmann, conseillère pédagogique à Télécom Bretagne à la suite d’un entretien mené avec Gwendal Simon, enseignant-chercheur à Télécom Bretagne. Une expérimentation menée par Alberto Blanc, Christophe Couturier, Jean-Pierre Le Narzul et Gwendal Simon.
I - FICHE D’IDENTITE DU PROJET
1 - Etudiants concernés et problématique
La grande particularité du projet que nous allons présenter ici est qu’il mélange au sein d’un même module, des étudiants ingénieurs issues de filières générales (bac S suivi d’un parcours en classes préparatoires) et des étudiants ingénieurs issues de filières par apprentissage (ils intègrent l’école en contrat de professionnalisation suite à un parcours en IUT). Les différences de niveaux entre ces étudiants sont notables sur de nombreux aspects et le contenu de ce cours qu’ils suivent en commun ne fait qu’exacerber les disparités.
En effet, il s’agit d’un module appelé « projet réseau » durant lequel les groupes de quatre étudiants doivent concevoir et programmer un protocole réseau, un exercice proche des réalités du monde professionnel.
Le module concerne 125 étudiants. Parmi eux, ceux qui ont suivi la filière par apprentissage sont généralement issus de DUT axés sur la technique des réseaux et ont souvent des profils que les enseignants qualifient de « geeks » : ils savent comment fonctionnent les systèmes réseaux en pratique et sont donc à l’aise face au travail demandé. A contrario, certains étudiants issus de filières plus générales (notamment des classes préparatoires Maths-Physique) ne possèdent qu’une appétence limitée pour la programmation informatique, voire ne possèdent pas certains éléments constitutifs de la littératie numérique.
Ainsi, le cours est très difficile à concevoir car il demande aux enseignants de faire à la fois de l’initiation en dispensant les notions fondamentales tout en maintenant un intérêt pour ceux qui désirent perfectionner leurs acquis.
2 – Choix pédagogiques pour y remédier
L’idée la plus intuitive consiste à mixer les groupes en fonction des niveaux des élèves afin de permettre aux plus à l’aise avec l’exercice de faire profiter de leurs compétences à ceux qui sont moins à l’aise. C’est d’ailleurs ce qui avait été tenté dans ce module. Toutefois, les groupes de niveau mixte ne fonctionnaient pas pour ce cas bien spécifique. En effet, les écarts de niveaux étaient tels qu’il était impossible et fastidieux pour les plus performants de « se mettre au niveau » des moins performants et d’attendre que ceux-ci trouvent par eux-mêmes les solutions à des problèmes jugés triviaux. Ainsi, les premiers prenaient la main sur le travail et ne laissaient pas la possibilité aux seconds de progresser. Même quand les étudiants les plus néophytes étaient motivés et avides de développer des compétences, la position de « spectateur » ne leur permettait pas de se poser les bonnes questions.
La décision de faire des groupes de niveaux homogènes a donc été prise, mais encadrée de sorte qu’elle permette une progression correcte des deux types de populations. Ainsi, l’équipe pédagogique a réfléchit à une façon de différencier les objectifs d’apprentissages pour que chaque groupe, et même chaque étudiant.e puisse se positionner en fonction de son niveau initial et de fait mesurer sa progression sur l’ensemble de l’enseignement.
II - DEROULEMENT DU PROJET
Le module commence par une évaluation de positionnement (pre-assement) sous la forme d’un quiz afin d’identifier les niveaux de chacun des étudiant.es. Ce quiz est obligatoire et les questions sont formulées de manière humoristique pour ne pas accueillir les étudiant.es avec un support rébarbatif. A l’issue de cet examen, les groupes sont formés en fonction des niveaux atteints par les différent.es étudiant.es.
Ensuite les étudiant.es doivent suivre un plan de travail et le compléter à hauteur du niveau qu’ils sont en mesure d’atteindre. Ce qui est mesuré et évalué est la progression de chacun des groupes en fonction de leur niveau de départ.
Pour encourager l’échange de pratiques et de connaissances, un forum est mis en place, co-animé par les étudiants des différents groupes et par les tuteur.rices du module. Un petit bonus de points supplémentaire est accordé aux étudiant.es qui alimentent le forum et répondent de manière pertinente aux questions de leurs camarades. Cette solution permet à chacun de progresser au rythme qui est le sien, sans oublier de faire profiter les autres de ses compétences. Ainsi, les difficultés des autres élèves ne sont plus des empêchements, mais un moyen d’acquérir un statut privilégié et d’obtenir une meilleure note.
Le système de forum enregistre d’ailleurs un bon taux de participation : pas moins de 50% d’étudiants ont été rédacteurs et actifs sur le forum là où, d’ordinaire, le pourcentage de membres actifs est en-deça de 10%.
Il est important de noter que le développement de ce système est d’une réelle aide pour les tuteur.rices lors de l’évaluation puisqu’il permet de mesurer la participation des groupes et leur progression, par la qualité des questions et des réponses apportées. Par ailleurs, cet outil permet de soulager significativement les tuteur.rices de la charge que représente l’accompagnement individuel de chaque groupe puisqu’une grande partie des réponses sont apportées par les pairs.
III – RETOURS ET EVALUATIONS
Le projet enregistre globalement des bons retours de la part des étudiant.es. L’usage du forum permet d’obtenir des réponses à tous moment, ce qu’ils apprécient particulièrement. En revanche, le dispositif de groupes homogènes est plus diversement apprécié. Si certains étudiants vivent moins mal le fait d’être dans un groupe aux niveaux trop disparates, d’autres ressentent de la frustration car leurs groupes n’ont pas pu atteindre les objectifs des meilleurs groupes. Le concept d’objectifs personnalisés au sein d’une même promotion diffère de ce que les étudiants ont l’habitude de vivre dans leurs enseignements depuis le début de leur scolarité. Les enseignant.es ont donc besoin de communiquer davantage sur ces objectifs pour réduire cette frustration et mieux expliciter les objectifs de chaque groupe.
Les enseignant.es trouvent la situation également plus facile à encadrer pour toutes les raisons que nous avons évoquées plus haut. Ainsi, le projet sera reconduit l’année prochaine et permettra d’avoir une meilleure visibilité sur les résultats des étudiants avec cette modalité d’évaluation.
Enfin, la mise en place d’objectifs personnalisés au sein d’un module ne va pas sans poser des problèmes dans le système global d’enseignement. Les modules d’enseignement sont généralement définis par des objectifs pédagogiques qui sont validés ou non. En introduisant des objectifs personnalisés, le module peut sortir du cadre global de l’enseignement dans l’école. Il faut donc veiller à ne pas générer d’incompréhension pour les enseignants des autres modules qui considèrent certaines compétences comme des prérequis et également que, in fine, l’écart initial entre les étudiants se comble afin que le diplôme final valide des compétences similaires.
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