Bonjour Corinne et Yann,
La coopération n’est pas forcément une pratique courante dans notre société comment êtes-vous arrivée à la développer ?
C’est à partir d’un constat de fonctionnement en silo des équipes de l’IFPEK (3 filières de formation, kiné, ergo, podo) et un service formation continue que la démarche de faire travailler ensemble les équipes s’est imposée à nous, dans une évolution du fonctionnement pédagogique de l’IFPEK.
Suite à un atelier sur le développement pédagogique des formateurs, les participants se sont rendus compte qu’ils partageaient beaucoup de questions et qu’il y avait un intérêt à partager ces réponses. A la suite de ce temps réflexif, nous avons proposé de créer d’autres évènements de ce type que nous avons appelé les « jeudis de la pédagogie » (4 séances par an) ainsi qu’une journée annuelle autour de l’innovation pédagogique. L’instauration de ces temps collectifs interfilières a engagé la création d’une Cellule d’Appui à l’Innovation et à la Pédagogie (CIAP) pour porter ces nouvelles dimensions du développement des pratiques pédagogiques des formateurs. Cette cellule agile, composée d’ingénieur de formation, de formateurs et de chercheur, s’est constituée sur une dimension interfilière. Cette consitution montre une envie, un état d’esprit à la collaboration entre les équipes pédagogiques. Pour aller encore plus loin dans le partage, l’ouverture et les communs, les membres de la CIAP ont proposé une formation pour les salariés autour des outils numériques favorisant la collaboration. Très vite la formation Animacop a été repérée.
La première session de la formation a réuni la moitié des salariés IFPEK dont des formateurs et des administratifs. Elle s’est déroulée juste avant le 1er confinement, ce qui a permis de développer en amont une initiation à la philosophie de la collaboration et aux pratiques émergentes des outils au sein de l’IFPEK.
A postériori, on peut dire que la crise a amené du positif dans le développement des pratiques collaboratives au sein de l’IFPEK, soutenu par les formateurs de l’association « outils réseaux » (Laurent Marseault et Michel Briand) qui nous ont permis en tant que porteurs de projet de prendre un peu de recul vis-à-vis de la situation de crise et de l’implantation de pratiques / outils collaboratifs.
Est-ce que vous pourriez présenter un ou deux projets coopératifs qui se sont développés depuis la formation « Outils et réseaux » ?
Depuis la formation, nous avons développé un laboratoire de transformation par la collaboration que nous avons nommé « Collaboratoire ». Il s’agit d’un espace numérique et physique devenu un lieu de vie de l’IFPEK : veille informationnelle et scientifique, retour d’expérience, service informatique, accompagnement pédagogique, espace multiservice, service impression…
Cet espace permet le croisement de beaucoup de personnes tout au long de la journée, et donc favorise les rencontres et les collaborations entre les salariés. Ce lieu est doublé par un espace numérique, le « collaboratoire en ligne » (en cours de stabilisation) dans lequel nous rendons visible les initiatives des salariés, ainsi qu’une veille collaborative informationnelle et scientifique.
Un deuxième projet a été de concevoir une nouvelle stratégie de développement de l’offre de formation continue digitale. Dans un premier temps une équipe projet s’est constituée. Elle réunit les ingénieurs techno-pédagogues, les ingénieurs et conseillers formation issus de la CIAP et du service formation continue. L’équipe travaille sur l’étude des moyens techniques et pédagogiques pour la conception d’un dispositif digital FC (vignette clinique HAS et focus technique) ainsi que la partie design pédagogique. Ce projet est organisé de manière participative avec les formateurs, à travers une plateforme de travail collaboratif.
Un troisième projet se déploie actuellement avec la mise en place d’un Service Administratif Mutualisé (SAM) qui a pour objectif de décloisonner le fonctionnement des instituts de formation. Il a été initié avant la crise sanitaire et avant la formation. La formation a permis une meilleure compréhension d’un fonctionnement collaboratif dans une organisation administrative.
La crise actuelle que nous vivons a-t-elle été de votre point de vue une accélération ou un frein au développement de la collaboration ?
Cette crise sanitaire, bien que catastrophique d’un point de vue sanitaire, a tout de même permis des développements positifs (avec eux aussi leur part d’ombre). De notre point de vue, cette crise a rapproché les acteurs de la formation : beaucoup d’instituts ont dû passer du jour au lendemain dans une pédagogie distancielle qu’ils ne maitrisaient pas pour la plupart. Les formateurs se sont donc mis en contact les uns les autres pour rationaliser leurs temps.
Nous observons une accélération de la transformation pédagogique (de par l’injonction de répondre à la crise dans l’enseignement supérieur). La collaboration est une des réponses à cette crise profonde et qui dure : le déploiement de solution numérique (Teams, Slack, ENT, classes virtuelles…) facilite la collaboration entre les individus, indépendamment des distances géographiques (on a pu imaginer depuis la crise des interventions de la part d’enseignants ou d’experts très éloignés voir sur d’autres continents).
Ces collaborations entre individus renforcent les collaborations institutionnelles. On a vu se multiplier des webinaires réunissant des collègues aux 4 coins du monde, renforçant ainsi l’image de collaboration inter-établissement. A l’intérieur des établissements, les pratiques collaboratives sont peut-être moins visibles : d’une part le fossé entre ceux qui avait déjà des pratiques numériques et ceux qui n’en avait très peu (ou pas du tout) s’est creusé ; et d’autre part, l’état d’esprit collaboratif est devenu central dans ces nouveaux fonctionnements, les collectifs qui se structurent et fonctionnent présentent des membres qui ont le sens du commun, du partage sincère…. l’état d’esprit d’une communauté de pratique.
Cette période a aussi engagé une nouvelle façon de se considérer les uns les autres, de ne plus se voir que par écrans interposés et se retrouver masqué. Cette « distance-absence » change inévitablement la relation à l’autre. Elle met en exergue la nécessité d’être en lien et par-delà la nécessité de travailler ensemble pour retrouver le sens.
Ce contexte sanitaire impulse donc un sacré coup d’accélérateur au développement de la collaboration mais dans le même temps il creuse potentiellement les écarts entre les personnes et les pratiques.
Vers un fonctionnement d’organisation collaborative
Est-ce que vous pourriez expliquer ce qui vous a amené à être accompagné pour ce fonctionnement qui n’est pas très ordinaire et quel a été cet accompagnement ?
Le constat avait été fait depuis quelques temps, d’un fonctionnement en silo. Chaque équipe pédagogique et administrative fonctionnant en mode individuel. L’architecture du bâtiment reproduisait d’ailleurs ce mode de fonctionnement.
Bien avant la crise sanitaire, plusieurs dispositifs et évènements avaient été mis en action pour favoriser la transversalité. Nous avions besoin de référent extérieur pour poursuivre le déploiement de ces pratiques collaboratives. Nous connaissions déjà le dispositif Animacop, nous avons échangé avec Michel et Laurent sur les possibilités de créer une formation-action pour les salariés de l’IFPEK, et ainsi de poursuivre la mise en mouvement et la réflexion autour des pratiques de travail. Nous avons présenté un argumentaire sur les pratiques collaboratives et numériques au niveau de notre établissement, qui a été soutenu par la direction par l’inscription de cette formation dans le plan de développement des compétences.
La première session a eu lieu juste avant le 1er confinement, ce qui a permis de soutenir les salariés dans la transformation des pratiques, à travers la formation et de se donner des rendez-vous réguliers pour poursuivre la réflexion. Le deuxième séminaire de formation s’est déroulé juste avant le 2e confinement en présentiel.
Comment les salariés de l’IFPEK ont-ils adhéré ? Est-ce que tout le monde aujourd’hui s’y retrouve ?
Nous avons la chance d’avoir dans les salariés la présence « d’innovateurs » qui ont permis d’impulser le changement des pratiques pédagogiques et de transformer les relations de travail. Ces innovateurs, ces « Brokers / courtiers » de la transformation (au sens de Sanchez et Monod) ont permis de créer des interfaces/espaces dans le groupe de formateurs et d’administratifs en amont de l’organisation de la formation. Quand nous regardons en arrière, la transformation et la crise ont été compliqués pour bons nombres de nos collègues (toutes les mues ne sont pas encore terminées, certains vont plus vite et plus loin que d’autre). Une très grande majorité (personnels administratifs et formateurs) ont passé la « barre » et sont maintenant dans une phase de stabilisation des pratiques pédagogiques et collaboratives (soutenus par les renforts en ingénierie de formation et en médiation numérique). Quelques collègues sont encore dans une phase de « résistance » ou d’observation vis-à-vis de ces transformations du travail et de l’organisation. Nous ne doutons pas qu’ils basculeront à un moment par effet d’entrainement, dans l’état d’esprit du « partage sincère » et les nouvelles pratiques et mode d’organisation du travail.
Et du côté de l’IFPEK est-ce que l’institution se rend compte des bienfaits de cette approche ?
Le projet de formation aux pratiques collaboratives a été largement soutenu par la direction de l’IFPEK. Cette formation est totalement en phase avec le projet de développement de l’IFPEK (projet stratégique / projet associatif). Une nouvelle gouvernance opérationnelle s’est d’ailleurs mise en place dans le cadre du projet stratégique.
Le dispositif de formation/transformation s’est d’ailleurs déroulé dans la même temporalité que la mise en place de la nouvelle gouvernance. Les Nouvelles pratiques collaboratives ont accompagnées cette nouvelle organisation. Même si des peurs peuvent subsistées chez certains salariés, l’embauche de nouvelles personnes (2 apprentis ingénieurs pédagogiques et ingénieur formation), la création du collaboratoire comme espace de vie et la prochaine expérimentation du Service Administratif Mutualisé (SAM) permet de rassurer et d’accompagner la transformation des pratiques et des modes d’organisation. Des résistances peuvent encore exister, mais globalement les équipes sont prêtes et sont même en attente d’aller plus loin dans cette transformation.
Qu’est-ce qui vous semble difficile pour développer la coopération. Quels sont les freins que vous percevez ?
Les freins que nous observons sont souvent un état d’esprit peu ou pas collaboratif, une peur de l’autre, ou dans l’enseignement/formation, une peur de se faire « voler » son cours…c’est souvent un problème de reconnaissance du travail de la personne (se reconnaitre et reconnaitre le travail de l’autre). Un autre frein observé, est lié au temps d’intégration des nouvelles pratiques. Cette temporalité, qui doit être nécessairement longue, vient impacter la charge mentale des « innovateurs /brokers ». Il revient donc à l’institution de prioriser les axes de projets, à la place des acteurs eux-mêmes.
Et à l’inverse qu’est-ce qui vous semble facilitateur ?
Ce qui nous semble facilitateur c’est le déploiement actuellement des outils numériques et donc un développement plus important de pratique collaborative (co-conception, co-écriture, co-animation…). En quelques sortes, cette crise sanitaire est un peu facilitatrice de collaboration de par son obligation de « gagner du temps » (co-écrire, co-concevoir un cours prend moins de temps) puisque que tout s’est accéléré (et que nous courrons pour beaucoup après le temps).
Peut-être aussi ce qui facilitera la mise en place de collaboration, c’est la création de lieu de co-working, d’espace de partage (sortir du bureau individuel, de l’espace de travail numérique individuel…).
La crise comme la formation sont venues montrer la nécessité de travailler en décloisonnant les services, en les renforçant et en montrant qu’il était urgent d’engager sur le terrain une nouvelle organisation plus solidaire et en mode collaboratif (avec les étudiants, avec les usagers du système de santé).
Que s’est-il passé depuis la fin de cette formation avec Laurent et Michel ?
Initiation de la collaboration avec les formateurs sur le développement du dispositif digital en formation continue.
La formation « outils réseaux » a ouvert un espace d’expérimentation des pratiques et des transformations des organisations de travail. Nous sommes rentrés dans la stratégie des « Lab » : on teste, on expérimente, et nous verrons bien où cela nous mènera….Nous sommes en constante transformation, en mouvement….Le collaboratoire ne sera jamais un produit fini, mais est devenu un produit, une démarche compostable ! Cela a ouvert des champs de possible ! (et ce n’est pas fini !)
Parmi les lectures ou les personnes qui t’ont inspiré pourraient tu nous indiquer ?
– Gabrielle Halpren « Tous centaures – éloge de l’hybridation »
– Michel Serre « petite poucette »
– Bruno Latour : http://www.bruno-latour.fr/fr.html
– Elzbieta Sanojca (Thèse de doctorat de l’Université de Rennes) « Les compétences collaboratives et leur développement en formation d’adultes : le cas d’une formation hybride »
– Et bien sur Michel Briand et Laurent Marseault !
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