À l’instar de leurs enseignants, les élèves exercent-ils un « métier ». Au-delà de la métaphore, il faut reconnaître que leur activité entre bien dans un cadre codifié, et qu’ils réalisent un travail. Ils doivent respecter des horaires, comme n’importe quel travailleur, se soumettent à des évaluations, réalisent des tâches et reçoivent comme « salaire » des notes qui décident de leur futur scolaire et professionnel.
Exercer « le métier d’élève » consiste aussi pour l’enfant à jouer avec les règles pour survivre dans ce monde de contraintes scolaires. Si la sociologie de l’éducation a depuis longtemps fait le tour de cette question, le métier d’élève évolue, ce qui ne cesse d’interroger les pédagogues. D’autant que la pandémie a bouleversé les conditions de son exercice.
Les épreuves du métier
Même s’ils sont bien sûr protégés des obligations du monde professionnel, les élèves exercent un travail. De fait, le cadre de leur activité est bien plus contraignant que certains métiers, car soumis à des règles parfois peu explicitées par les adultes et presque nullement négociables. À cet égard, la sociologie de l’éducation francophone nous a montré que « l’élève » tire ses moyens d’existence symbolique ou matérielle de son statut d’élève.
Comme le disait le pédagogue suisse Philippe Perrenoud le métier d’élève consiste à faire « juste ce qu’il faut » pour rester dans la course, et à ne pas « prendre au sérieux » tout ce que les professeurs demandent. Derrière cette stratégie, certains élèves cherchent à surmonter les épreuves de l’expérience scolaire (sens des études, autonomie face au travail, évaluations). En effet, tout comme les enseignants, les écoliers, collégiens et lycéens cherchent à trouver du sens aux activités routinières qui leur sont “proposées”, aux demandes des enseignants. Bref, l’enjeu est de savoir rester motivé au fil des épreuves quotidiennes.
Enfin, il faut comprendre le métier d’élève comme une sorte de « protection » pour l’enfant. Comme tout métier, celui-ci représente pour les individus une défense contre les attentes de l’organisation qui les emploie. L’institution scolaire exige des élèves d’être des acteurs de leur apprentissage, des constructeurs de leurs savoirs, parfois non sans une certaine « violence ».
Dans ce sens, être élève consiste alors à sauver les apparences, à étudier tout en rêvant, en bavardant, en s’amusant ou en trichant. Se met en place une sorte de mécanisme de défense pour protéger son identité et son estime de soi, mises à l’épreuve par l’évaluation constante des maîtres.
Être un élève, en particulier être un bon élève, est néanmoins un métier qui s’apprend dans des conditions inégales. L’inégalité sociale devant l’école est « aussi une inégalité devant l’exercice du métier d’élève » tant il est vrai que certains d’entre eux ne sont pas préparés au sein de leur famille à réaliser ce travail. Ce constat est d’autant plus évident dans le contexte actuel. En effet, on ne peut pas ignorer que « l’école à la maison est plus inégalitaire que l’école à l’école ».
Inégalités sociales
De nombreuses recherches passées, ou en cours, ont mis en lumière les effets de la continuité pédagogique en France, notamment de l’évolution des pratiques et des gestes professionnels des enseignants, ou l’intensification des « fractures » numériques. Mais peu d’études ont donné la parole aux enfants sur la singulière expérience de vivre sa scolarité en temps de pandémie.
Pourtant, la surcharge de travail scolaire durant le premier confinement a été source de stress comme le montre l’enquête européenne de School Education Gateway Erasmus sur l’enseignement au niveau européen.
En particulier, en France, les premières enquêtes laissent entendre l’inégale capacité des élèves à travailler en autonomie, mettant en lumière différences méthodes d’accompagnement parental selon les milieux sociaux.
L’enquête menée par Romain Deles et Filippo Piron à l’Université de Bordeaux montre, par exemple, que, si bien les parents d’élèves issus des classes populaires investissent plus de temps dans l’accompagnement scolaire, ils mobilisent des méthodes plus directes (comme la surveillance des devoirs) que les parents de classes favorisées. Ces derniers utilisent des méthodes d’accompagnement moins directes mais plus riches et complexes, en proposant par exemple à leurs enfants des activités complémentaires aux activités d’enseignement, comme des ateliers artistiques, de dessin ou de musique.
Par ailleurs, de différences d’autonomie s’observent aussi entre les niveaux scolaires par exemple, chez les élèves du collège et les lycées professionnels, moins aptes à rechercher des ressources auprès de leurs pairs que les élèves du lycée général.
Nouvelles contraintes
Ces premiers résultats nous donnent de bonnes raisons de penser que les élèves sont de manière générale assujettis à de nouvelles épreuves du « métier » et notamment aux « épreuves d’autonomie ». Comme l’affirmait la sociologue Anne Barrère il y a quelques années, « chez soi, les épreuves du sens prennent une autre dimension ». La mise au travail, la gestion du timing, les savoirs scolaires ou la multiplication des tâches scolaires prennent donc toute une autre mesure pour les élèves en cette période de pandémie et de confinement.
Dans cette ligne, on pourrait avancer aussi que les élèves seraient plus éloignés de la fonction protectrice du « métier » exercé à l’école. En effet, penser le travail scolaire du point de vue du « métier » appelle dans le même temps à une plus grande vigilance sur des nouvelles formes de violence exercées à leur rencontre et sur les risques d’une « tyrannie pédagogique » des parents, qui, à force d’adopter une posture d’enseigants, exerceraient, eux aussi, une forte pression sur leurs enfants.
Espérons que les recherches à venir pourront nous éclairer davantage sur les stratégies mises en place par les élèves et leurs familles durant cette période et donc sur les épreuves de sens auxquelles ils sont confrontés.
Bref, de nombreuses questions concernant le métier d’élève occuperont sûrement les sciences de l’éducation et de la formation les prochains mois, voire les prochaines années. Celles-ci se posent de manière conjointe avec l’évolution du métier d’enseignant et la place des parents dans l’éducation des enfants.
Natalia Pino ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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