Bien que plus diplômées que les hommes, les femmes restent globalement moins bien rémunérées que leurs homologues masculins, et ce dès l’entrée dans la vie active. En 2017, les femmes issues de l’enseignement supérieur gagnent en moyenne 70 % de la rémunération des hommes dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
À ce sujet, la plupart des recherches se concentrent à juste titre sur les problématiques de carrière, de quotité de travail ou encore de parentalité. Récemment, une étude de l’Insee montrait que 68 % de l’écart de salaire en équivalent temps plein s’explique par le fait les femmes et les hommes occupent rarement les mêmes postes.
Or, l’exercice de métiers différents (on parle parfois de « ségrégation occupationnelle ») ne semble pas le fruit du hasard et découle notamment des filières de formation suivies. Or, celles-ci apparaissent fortement différenciées selon le genre et s’avèrent rarement mixtes. Ainsi, la part de femmes parmi les nouvelles personnes inscrites en cycle licence n’est-il en moyenne que de 30 % en STEM (sciences, technologies, ingénierie, mathématiques) quand il est de 77 % en santé et protection sociale.
En exploitant une vaste base de données publiques françaises, nos recherches mettent en évidence l’importance des choix d’études pour expliquer les différences observées sur le marché du travail.
Faute de données…
Dès 1984, les chercheurs américains Thomas Daymont et Paul Andrisani proposaient ainsi d’intégrer les choix de spécialité dans les équations d’analyse des écarts salariaux entre femmes et hommes aux États-Unis. La chose ne s’avère cependant pas si aisée…
Les étudiantes et étudiants se spécialisent en effet progressivement durant leurs études au sein de chaque discipline, lesquelles présentent des masters comptant parfois des milliers d’intitulés. Entre droit social, droit des affaires ou droit criminel, les cursus restent par exemple très différents. La plupart des enquêtes quantitatives relatives à l’emploi et aux salaires ne s’intéressent, en outre, qu’au niveau du dernier diplôme et non à la spécialité.
Faute de données, cet appariement entre spécialité professionnelle et métier reste par conséquent peu étudié. Chaque année, néanmoins, plusieurs dizaines de milliers de diplômés et diplômées de master se voient interroger sur leur insertion professionnelle par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Ce sont ces données que nos travaux ont souhaité exploiter.
En apparence mixte
Il apparaît que la ségrégation genrée des formations limite le champ des possibles des étudiantes et étudiants et qu’elle participe surtout à entretenir les inégalités de salaire. Cela vaut dès l’insertion professionnelle. Trois après la fin des études, les femmes diplômées rencontrent plus de difficultés. Leur salaire moyen est plus faible, elles sont plus souvent en contrat court, à temps partiel et occupent moins souvent des emplois de catégorie cadre.
Une hiérarchie salariale se dessine selon que les spécialités apparaissent plus ou moins féminisées. Le salaire médian dans les spécialités à prédominance masculine demeure supérieur au groupe mixte, lui-même supérieur au groupe à prédominance féminine. La moitié des femmes issues de spécialités masculinisées perçoivent plus de 2 000 euros par mois contre seulement un quart parmi celles des spécialités féminisées.
La structuration des disciplines académiques reste par ailleurs plus complexe qu’il n’y paraît. Par exemple, les sciences de gestion, une discipline en apparence mixte selon le genre, masquent des écarts de salaire conséquent. Près de 640 euros mensuels séparent en moyenne les personnes diplômées de la spécialité en ressources humaines (très féminisée) et celles et ceux de finance (très masculinisée).
Deux volets de politiques publiques
À elle seule, la spécialité de master explique par ailleurs deux tiers des différences entre les sexes pour l’accès à un emploi à temps plein et plus d’un tiers des écarts d’accès aux emplois les plus prestigieux. Les étudiantes sont majoritaires parmi les spécialités donnant accès à des métiers du secteur public, associatif et social où les conditions d’emploi semblent plus dégradées.
Quelles conséquences faut-il tirer en termes de politiques publiques ? Pour résorber les inégalités de salaire, il est possible d’agir sur deux volets. L’action peut porter directement sur le marché du travail et les propositions de revalorisation des métiers féminisées apparaissent alors pertinentes. Elle peut aussi se diriger vers le système scolaire et universitaire, un sujet qui constitue un enjeu fort pour les établissements et les formations.
Des recherches innovantes proposent sur ce point des pistes d’action basées notamment sur la méthode des quotas ou encore sur le rôle des modèles. Les travaux que nous poursuivons avec Anne Boring, économiste à Sciences Po, visent à documenter comment se forment les trajectoires des choix d’études des étudiantes et des étudiants. Notre objectif est désormais de reconstituer l’ensemble du parcours universitaire afin de comprendre au niveau le plus fin les étapes de la composition sexuée des spécialités.
Louis-Alexandre Erb ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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