Lorsque j’assiste à des salons de l’e-learning, je constate un attroupement devant les stands qui présentent un bel écran tactile ou un outil révolutionnaire pour l’apprentissage. Je ne remarque pas la même densité devant les présentations de méthodologie ou de concepts technopédagogiques.
Parvenez-vous au même constat ?
Je suppose que nous sommes naturellement attirés par des choses concrètes, avides d’observer rapidement le résultat. Sur le terrain pédagogique, quand j’accompagne des formateurs et formatrices, cet engouement, parfois démesuré, pour l’outil, prend une place importante au détriment des pratiques et des méthodologies. C’est bien cet aspect qui me donne envie d’approfondir la question.
Dans mes missions technopédagogiques à l’intérieur d’une cellule TICE, au service des acteurs de la formation, je suis souvent confronté à la scénarisation de formations. Cette problématique de l’intégration de l’outil prend une place notable dans les échanges avec les experts matière.
Pourquoi sommes-nous, dès le départ, tentés par l’utilisation de l’outil au détriment de notre intention pédagogique ?
Un jour, une de mes collègues m’annonce qu’elle aimerait utiliser un Wooclap (outil en ligne interactif) et qu’elle cherche des idées d’activités en synchrone pour l’utiliser.
À première vue, la démarche est respectable puisque ma collègue tenait absolument à dynamiser sa formation et savait que l’outil identifié lui permet de le faire.
Malheureusement, l’outil devient la finalité de sa scénarisation. Or, l’outil ne devrait être qu’un instrument, une réponse au service d’un besoin.
Dans le milieu de l’éducation, il est intéressant de comprendre et d’analyser cette attirance envers l’artefact "outil". En raisonnant à partir de l’outil, on place notre intention pédagogique au second plan sans même s’en rendre compte
Lors de travaux avec mes pairs, j’ai souvent été confronté à cette difficulté : Je me retrouvais tributaire de l’outil désigné. Résultat ? Je m’éloignais de mes arrière-pensées pédagogiques initiales.
Depuis, je me force à éviter de citer ou de penser à l’outil avant d’avoir élaboré mon scénario pédagogique. Ce dernier décrit les objectifs, les activités et les interactions d’un dispositif de formation. Il est vrai que cet exercice est difficile, car nous sommes interpellés, voire attirés par les sirènes de la nouvelle fonctionnalité de l’outil ou de son ergonomie.
Nous entendons souvent que l’outil est au service de la pédagogie. Il est vrai qu’il faut d’abord réfléchir au type de ressource que nous devons incorporer dans notre dispositif de formation. Ensuite, aux activités suggérées en tenant compte des interactions entre les apprenants et leur production. Ce n’est qu’à la fin qu’une réflexion, sur la plateforme ou les services en ligne doit être menée.
En inversant ce processus, le risque d’être enfermé dans un environnement propre à l’outil comme ses fonctionnalités, son potentiel et ses limites, casserait notre créativité pédagogique. Cela nous éloignerait d’une éventuelle innovation puisque nous restons cloîtrés dans l’espace fonctionnel de l’outil.
À partir des travaux de Pierre Rabardel (Les hommes et les technologies. Approche cognitive des instruments contemporains, Armand Colin, 1995), nous savons qu’un outil n’est pas qu’un outil. C’est d’abord un instrument.
Dans son livre (Éduquer avec le numérique, ESF Sciences humaines 2019) Bruno Devauchelle nous met en garde sur le risque de tomber sur une instrumentalisation de l’outil par son “affordance” ou sa capacité à suggérer sa propre utilisation. Nous devenons dépendants de ses contraintes imposées. Ce qui influence, par conséquent, notre usage.
J’ai souvent entendu : “Pour l’évaluation, on va utiliser un Google formulaire”. Finalement, nous restons soumis aux fonctionnalités de cet outil. Si notre intention pédagogique est de construire des questions avec des trous à remplir, sachant que cette option n’existe pas dans le Google formulaire, nous allons opter pour un autre type de question, parfois même inconsciemment. Résultat, nous nous détournons de notre intention de base.
La solution est donc de faire abstraction de l’outil (numérique ou pas) qui sera adopté dans un dispositif de formation. L’outil n’étant qu’une étape venant ponctuer son environnement technopédagogique avec l’espoir qu’il apporte une réelle valeur ajoutée pour l’apprentissage.
En qualité d’enseignant ou enseignante ou de responsable d’un dispositif de formation, si vous devez scénariser votre intervention, mon conseil serait d’opter de faire abstraction totale de l’outil que vous allez adopter et pensez à vos objectifs, pratiques et évaluations. Si vous y arrivez, alors bravo, vous êtes capables de ne pas être liés à un objet. Et ce, même si ce dernier est le plus ergonomique ou le plus riche en fonctionnalités.
Il n’est ainsi pas interdit de s’intéresser aux nouveautés technologiques et à des nouvelles fonctionnalités. Il faut juste s’assurer que ce n’est pas parce que c’est joli ou pratique que l’outil va améliorer l’apprentissage. Gardons toujours en tête que le rôle de l’outil est de répondre à notre besoin ou qu’il est censé faciliter l’atteinte d’objectifs
C’est au niveau de l’état d’esprit que nous devons changer en cassant ces croyances que l’outil va tout faire. Il ne polluera que notre réflexion et nous empêchera de nous concentrer sur ce qui compte réellement : notre besoin.
Réellement, il faut se concentrer sur l’alignement pédagogique qui consiste à se focaliser sur les objectifs, les méthodes et les évaluations. Ce n’est que par la suite que le choix de l’outil le plus approprié se fait. "Et vous, quel est votre premier réflexe ? Vous réfléchissez à l’outil en premier ?
J’espère que cet article vous a convaincu de l’importance de définir votre besoin en premier lieu.
Vos commentaires
# Le 16 janvier 2022 à 13:22, par Yves Quere En réponse à : L’ombre de l’outil plane partout !
Bonjour
Merci pour cet article que je trouve très pertinent et dont je partage le retour d’expérience.
Je suis souvent amener à accompagner des projets dont certains ont une finalité pédagogique. Quel que soit la finalité pédagogique ou non je constate la même attirance vers l’outil.
Je propose souvent dans la phase de création (après avoir travailler dur l’intention) de donner des contraintes fortes sur la première solution. Par exemple : répondre au besoin avec du matériel léger : papier carton etc. Cela permet de se concentrer sur la méthodologie. Ensuite si la première solution répond au besoin je peux analyser des outils existants ou proposer moi même de nouveaux outils qui apporte un plus comme.par exemple s’adapter à une situation où un environnement différent (la durée, le coût, le presentiel ou distanciel, l’impact environnemental etc sont autant de paramètres qui peuvent me permettre d’analyser l’intérêt d’utiliser un outil plus technique)
Merci encore et au plaisir d’échanger si cela vous intéresse.
Bien cordialement
Yves Quere
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