C’est un mot que l’on entend depuis quelque temps dans le milieu de l’éducation : Hybridation. Il est devenu récurrent de l’utiliser quand on évoque la combinaison du distanciel et du présentiel.
Le mot hybridation est employé dans de nombreux contextes de la planification de la formation, mais également des dispositifs pédagogiques. Est-ce vraiment important de s’attarder sur ce mélange de modalités ou alors n’est-ce que du réchauffé de pratiques déjà appréhendées et juste saupoudrées d’un mot à la mode ?
Évidemment, la réponse est complexe puisque nous vivons une nouvelle ère post-Covid qui commence à peine à émerger et pour laquelle nous avons peu de recul. Tant au niveau de la recherche que des retours d’expérience de l’hybridation.
Ce qui est en revanche passionnant, c’est cette ouverture de possibilités de combiner de nombreuses modalités afin d’architecturer son propre dispositif pédagogique. Il ne reste qu’à questionner sa créativité et celle de ses collègues pour co-construire des structures d’apprentissage conformes aux attentes de nos apprenant·e·s.
Un projet sur l’hybridation de grande envergure, au sein de mon institution, et auquel je participe, m’incite également à partager mes premières conclusions. Suite aux journées très riches que j’ai vécues avec les différent·e·s acteur·rice·s pédagogiques ou administratif·ve·s durant toute l’année 2022.
J’ai eu la chance aussi d’animer des ateliers sur des modalités entrant dans le cadre de l’hybridation. Le retour des participant·e·s constitue un formidable vivier d’informations et de leçons.
Vocabulaire de l’hybridation
L’hybridation est bien sûr utilisée dans de nombreux domaines, comme l’art, la biologie, l’énergie, etc. Elle consiste à combiner des éléments différents mais compatibles entre eux. De plus, elle permet de relier des mondes initialement séparés (par exemple, le centaure de la mythologie). Elle est souvent considérée comme une opportunité de transcendance, un moyen de dépasser l’état habituel et de s’ouvrir à de nouvelles possibilités.
En pédagogie, étant la combinaison de plusieurs approches, l’hybridation, est encore parfois appelée multimodalités. Elle nécessite une définition claire et nette de toutes les modalités susceptibles d’être utilisées. Avec un groupe de travail de mon organisme de formation, après de nombreuses heures de réunions, nous avons opté pour la définition suivante :
Combinaison ouverte* d’activités pédagogiques en cohérence avec les stratégies de formation et d’apprentissage. Elle se base fréquemment sur une articulation « présentiel distanciel » et couvre un mélange de modalités pédagogiques, individuelles et collectives, synchrones et asynchrones, numériques et non numériques... * Ouverte : sous-entend la liberté pédagogique.
Il est, par exemple, possible de mélanger une modalité classique tel que le présentiel avec une autre modalité asynchrone qui nécessite une recherche des apprenant·e·s puis une présentation en synchrone par groupes. Dans cette combinaison, nous sommes réellement dans une hybridation de l’apprentissage.
En admettant que nous passons d’une logique de savoir vers une logique de compétences, notre façon d’apprendre change forcément. L’acquisition de savoir-faire, même liée au savoir, inclut une pédagogie expérientielle. Dans tous les cas, à travers une multimodalité des apprentissages, il est possible de viser, et plus justement, nos objectifs d’apprentissage.
Selon Lakhal et Meyer [1], pour renouveler notre modèle pédagogique, il faut utiliser les possibilités de socialisation et d’apprentissage actif offertes par la salle de classe et les technologies. Toutes ces raisons m’incitent à apporter une différenciation entre le modèle classique, le plus utilisé au monde et ces multimodalités.
Et si l’on comparait le classique Vs l’hybride ?
- Puisque dans le multimodal, comme son nom l’indique, la combinaison de modalités appelle forcément la multiplicité d’activités pédagogiques. Il devient intéressant de ne pas rester sur un modèle classique transmissif mais sur une variation de tâches d’apprentissage.
- Le numérique dans un format classique se limite souvent à une prise de notes avec un équipement technologique. Y trouve-t-on vraiment une valeur ajoutée ? En revanche, quand la tâche est redéfinie (exercice collaboratif de co-construction d’une ressource par exemple), le numérique peut s’avérer comme un plus… à condition qu’il reste discret et n’occupe pas le premier plan du dispositif mis en place.
- Qui dit hybridation, dit variété d’activités, et donc implication plus grande [2] chez l’apprenant⋅e. L’engagement dans les tâches administrées devra avoir un sens, les tâches devront ne pas être trop complexes ni trop faciles et le sentiment de contrôlabilité de la situation d’apprentissage doit être fort présent. Nous pouvons imaginer que les apprenant⋅e⋅s auront plus de responsabilités tout en devant faire preuve de plus d’autonomie que dans un cadre plus classique.
- Le revers de la médaille, dans une situation hybride, est la quantité d’investissements plus importante chez la formatrice ou le formateur. En structurant un dispositif pédagogique multimodal, assurément, la charge de travail sera plus grande. Sachant qu’une telle structuration n’est jamais achevée, il faudra laisser la place à de futures mises à jour afin d’améliorer le contenu et être plus proche des besoins des formé⋅e⋅s.
- La charge de ce travail pèse aussi sur l’apprenant⋅e qui devra faire preuve d’adaptation au scénario pédagogique et notamment aux activités proposées. Les apprenant·e·s ne sont pas toujours partant⋅e⋅s pour sortir de leur zone de confort et se confronter à des activités nouvelles.
- Il est également important de signaler que l’infrastructure nécessaire à une hybridation peut s’avérer plus lourde. En cas de comodalité [3] , l’équipement informatique n’est pas évident [4] puisqu’il faut prévoir du matériel efficace au niveau sonore et vidéo.
- N’oublions pas non plus d’impliquer d’autres acteurs dans le processus d’hybridation, à commencer par la planification de la formation, le tutorat, mais aussi l’administration qui devra être sensibilisée à ces nouvelles modalités et ce nouveau langage. À ce sujet, nous avons mis en place une roue de l’hybridation [5] qui reprend un glossaire d’une liste non exhaustive de mots touchant de près ou de loin l’hybridation
L’idée est de faire tourner la roue par groupes, tomber sur un mot et essayer de le faire deviner aux autres participant·e·s à travers des exemples ou des cas d’usage. - Une collègue à qui je fais relire mon article me souffle le point suivant que je trouve pertinent :
- Les apprenant·e·s en situation de handicap. En effet, pour (par exemple) les personnes malvoyantes ou malentendantes, le fait d’avoir le choix entre plusieurs supports sans avoir à formuler la demande est une révolution. Finalement, l’hybridation permet, très souvent, de proposer des formations plus inclusives pour tou·te·s
Je vous propose un visuel qui reprend succinctement ces idées
Exemples de dispositifs hybrides :
Des cours qui allient enseignement en présentiel et en ligne, avec des séances en salle de classe et des activités à réaliser en ligne (par exemple, sur une plateforme d’e-learning).
Des programmes de formation qui combinent des modules de cours en présentiel et des missions de stage ou de projet en entreprise accompagnés.
Des programmes de formation qui mêlent des cours théoriques et des ateliers pratiques, avec des moments de travail en petits groupes et des moments de travail individuel.
Des programmes de formation qui intègrent des éléments de formation en ligne et des séances de coaching ou de mentoring individuel.
Des programmes de formation qui combinent des cours en ligne et des rencontres en présentiel, avec des temps de travail autonome et des temps de travail en groupe.
Des programmes de formation qui mêlent des cours théoriques et des simulations ou des jeux de rôle.
Des programmes de formation qui intègrent des éléments de formation en classe et des visites de sites ou d’entreprises.
Des programmes de formation qui combinent des moments de travail individuel et des moments de travail en groupe, avec des activités de coopération et de collaboration entre les participant·e·s.
Des programmes de formation qui mixent des cours magistraux et des séances de travail en petits groupes ou en ateliers.
Conclusion
Pour que l’hybridation prenne tout son sens, il ne faut pas seulement changer notre vocabulaire, mais bel et bien, et avant tout, modifier nos pratiques. Passer à l’action en analysant [6] plusieurs éléments : l’espace d’apprentissage (académique, non académique, physique, numérique, etc.), la temporalité (durée et rythme de l’activité, synchronisation ou asynchronisation), l’aspect social (interactions entre pairs, enseignants et apprenants, approche collaborative ou proactive), les outils de communication et d’information utilisés, les approches pédagogiques (structuration des activités d’apprentissage en vue de favoriser l’engagement et la réussite), les finalités (théoriques ou pratiques) et l’évaluation. On parle de maturité pédagogique lorsque ces éléments sont considérés de manière cohérente et efficiente.
Je reste persuadé que si certaines conditions sont mises en place, l’hybridation peut avoir un effet positif significatif sur l’apprentissage, la performance académique et la persévérance. Elle peut aussi générer de hauts niveaux de satisfaction, de motivation et d’utilité perçue.
• Les étudiant·e·s apprécient la flexibilité offerte par les cours hybrides.
• La conception pédagogique de la formation et l’accompagnement doivent être efficaces et adaptés aux profils des apprenant-e-s, en tenant compte de facteurs de risque comme l’expérience en formation à distance et les antécédents scolaires.
• Les activités en ligne doivent être complémentaires aux activités en présentiel.
• Les interactions sont perçues comme très importantes par les apprenant-e-s et doivent être maximisées, en présentiel et à distance. Le temps passé en face à face est particulièrement prisé par celles et ceux qui éprouvent des difficultés scolaires.
Tous ces points sont tirés de veille, de lecture, mais également de rencontres avec des formateurs et des formatrices. Qu’il s’agisse d’hybridation ou non, l’objectif principal est de donner à l’apprenant·e de nombreuses possibilités d’ancrer ses apprentissages.
Vos commentaires
# Le 14 décembre 2023 à 19:03, par Esppat En réponse à : Hybridation en éducation, de quoi parle-t-on ?
Merci pour cet article riche et intéressant.Cependant, je suggère de bien distinguer la multimodalité de l’hybridation. D’autant plus que l’hybridation nécessite l’emploi du numérique alors que la multimodalité peut s’en passer.
L’hybridation nécessitera de la multimodalité et pas l’inverse.
La multimodalité est très liée à la stratégie et l’alignement pédagogique.
Je suis totalement d’accord sur le fait que la multimodalité peut avoir un effet positif significatif sur l’apprentissage.
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