Un article repris du blog de Louis Derrac, Comprendre le numérique pour pouvoir le critiquer et le transformer ; une publication sous licence CC by sa}
Je me lance dans une nouvelle série d’écriture, un peu de recul. Pour partager, sans pression et sans objectifs, des lectures, des écoutes, des visionnages qui m’ont marqué, touché ou fait réfléchir. Ou simplement des pensées. J’espère que ça vous intéressera. Si oui, n’hésitez pas à me le dire pour m’encourager.
Derrière la fable des métaux pour la transition, la réalité de la mine est qu’elle est bien plus au service de la Défense et du capitalisme numérique que de la transition écologique. […] Pour Izoard, la décroissance minérale est notre seule perspective. Mais elle n’est pas acquise. […] La mine responsable est une “chimère bureaucratique”. Les règlementations et les remèdes technologiques ne rendront pas viables, responsables ou éthiques, les mines industrielles. […]
Les mines ne sauveront pas la planète. Notre difficulté consiste à nous opposer à cet extractivisme. Dans les mines modernes, l’automatisation a fait disparaître le rapport de force social qui existait, comme on le trouve dans Germinal. Ce ne sont plus les populations employées qui peuvent s’opposer au minage, mais celles qui sont sacrifiées par les impacts de la mine. Ce déplacement de la lutte sociale à la lutte environnementale, des luttes locales aux luttes lointaines, explique certainement nos difficultés à réduire leur déploiement, car elle nécessite une mobilisation plus large. Nous devrions être concernés par ce qu’il se passe à Bou-Azzer au Maroc, à Butte dans le Montana, à Rio Tinto en Andalousie… Ce n’est pas le cas.
Petit à petit et un peu par hasard, j’ai découvert les travaux de l’ingénieure minière Aurore Stéphant. Puis ceux du spécialiste des matières premières Emmanuel Hache. Ou encore ceux de la géologue Marieke Van Lichtervelde. Tous les trois m’ont permis de réaliser à quel point, lorsqu’on craque le vernis du marketing et du design, le numérique est sale. L’occident riche a bien vite oublié, une fois ses mines fermées et délocalisées, à quel point il repose sur l’extraction de matière, sur l’extractivisme. Le livre-enquête de la journaliste Celia Izoard, La ruée minière au XXIe siècle, enquête sur les métaux à l’ère de la transition, recensé par Hubert Guillaud sur son blog, me semble tout indiqué pour toute personne qui souhaiterait remettre du matériel, du sensible, du réel, pourrait-on dire, dans sa compréhension du monde numérique. C’est notamment lorsque j’ai commencé à prendre conscience des impacts écologiques de l’extraction minière, et à la finitude de nos stocks de matières premières, que j’ai commencé à conceptualiser le numérique acceptable. En opposition à un numérique « responsable » qui se décomposait à mes yeux sous la brute réalité de la mine. C’est également en ayant cet extractivisme en tête que j’ai fini par considérer que les débats sur le numérique se situaient à deux niveaux. Le premier niveau, philosophique et éthique, le plus noble, consiste à se demander quel numérique est acceptable et bon pour l’humanité ? Quel numérique émancipe ou aliène, est choisi ou subi ? Le second niveau, plus politique et matérialiste, consiste à dire que compte tenu de la finitude de nos ressources en matière première, nous ne pourrons plus assurer bien longtemps notre monde numérique as usual. Il ne sera pas possible de réparer les IRM des hôpitaux, les tourniquets des métros, et les millions, les milliards d’objets toujours plus connectés. Il faudra donc choisir, prioriser. Il faudra donc du politique.
Les mythes sont une source pour la pensée et l’imagination, en ce qu’ils explorent différentes possibilités qui ne sont pas limitées par la réalité. Le mythe, c’est une machine à penser. C’est un produit collectif. Les mythes autochtones, en particulier, sont une source d’inspiration pour le futur. […]
Les gens qui ont de l’argent, les capitalistes, ne se rendent pas compte des effets dévastateurs de la crise climatique, puisqu’ils en souffrent beaucoup moins. Et pour ceux qui s’en rendent compte, ils considèrent que ça ne les touchera jamais. Les plus riches pensent qu’ils vont trouver une solution technologique et, au pire, fuir sur Mars. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est qu’on va sombrer et s’effondrer tous ensemble si on ne prend pas soin de notre planète.
En écho inversé à ce premier livre sur l’extractivisme, l’anthropologue brésilienne Aparecida Vilaça revient pour Uzbek et Rica sur son travail d’anthropologue auprès du peuple Wari’ en Amazonie. Une toute autre manière de voir le monde, de se comporter avec le vivant, dont nous avons tant besoin dans les pays riches et industrialisés.
Photo de Sebastian Unrau sur Unsplash
Cet article Un peu de recul #1 : extractivisme et anthropologie est apparu en premier sur Louis Derrac.
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