Le développement des compétences pour la gestion de projets en IA : part de soi, part d’autrui
PSYCHÉ Valéry
Valery.psyche at teluq.ca
https://www.teluq.ca/siteweb/univ/vpsyche.html
TREMBLAY Diane-Gabrielle
Dgtrembl at teluq.ca
www.teluq.ca/dgtremblay
PAYEN JEAN BAPTISTE Valérie
Valerie.Payen at teluq.ca
https://edutechwiki.unige.ch/fr/Utilisatrice:Valerie
Dans un contexte où l’intelligence artificielle (IA) transforme profondément les organisations, la gestion de projets en IA devient un enjeu crucial. Cependant, l’évolution de la profession d’expert numérique vers celle d’expert en IA n’est pas facile à réaliser dans le domaine des technologies. L’énorme quantité de travail nécessaire pour acquérir une expertise en IA requiert un investissement considérable de la part de l’individu et cette difficulté peut à juste titre être considérée comme un « défi » pour l’essor de l’IA (Ticoll, 2020 : 25). Par exemple, un spécialiste traditionnel des technologies numériques, tel qu’un programmeur/ingénieur en informatique, doit acquérir les compétences suivantes pour être qualifié de « spécialiste de l’apprentissage automatique » : « apprentissage automatique, statistiques, données non structurées et plusieurs langages de programmation peu familiers » (Ticoll, 2020 : 25). Il ne faut pas oublier non plus l’ensemble des éléments associés à la coordination, la communication, la gestion et autres dimensions non techniques. De plus, l’offre de formation n’est pas toujours au rendez-vous, puisque les formateurs doivent eux-mêmes actualiser leurs connaissances sur des sujets en constante évolution. On parle aussi de plus en plus des défis du formateur 4.0 (Psyché et al., 2023).
C’est donc dans ce contexte que s’inscrit notre recherche : elle porte sur l’élaboration d’un référentiel de compétences pour accompagner les gestionnaires de projets d’IA, les développeurs ainsi que les formateurs dans le développement de leurs compétences. Notre recherche s’est donc intéressée à mettre en lumière les compétences qui sont nécessaires pour réaliser efficacement leur fonction dans un environnement complexe et en constante évolution. Tenant compte de l’importance croissante des compétences transversales telles que le travail en équipe, la communication et l’éthique dans ce domaine, nous avons alors mobilisé l’approche théorique de l’identité professionnelle. En effet, nous nous sommes particulièrement intéressées à la manière dont ces compétences s’acquièrent et se développement non seulement dans le rapport avec le dispositif de travail, mais aussi dans la collaboration avec les autres.
L’identité professionnelle, selon Caza et Creary (2016) et Wenger (2009), est un processus cognitif influençant attitudes et comportements au travail et au-delà. Acquise par la formation et les interactions professionnelles, elle est façonnée par l’engagement dans des communautés de pratique, selon des normes de chaque milieu de travail. Le Boterf (2018) souligne l’importance de la construction identitaire dans la gestion des savoirs et l’appartenance à une communauté professionnelle. Billet (2008) et Tremblay & Rolland (2019) insistent sur le rôle du milieu de travail dans cette dynamique, notamment par la promotion de la participation des employés et de l’innovation. La recherche indique également un effet protecteur de cette identité dans des environnements à haute intensité (Sun et al. 2016).
L’intégration des technologies numériques, comme souligné par Thompson (2011) et Wihack et al. (2011), enrichit le travail collaboratif et le développement professionnel. Ces technologies facilitent le partage de connaissances et l’acquisition de nouvelles compétences (Le Boterf, 2018 ; Kleiner et al., 2005). Toutefois, elles imposent aussi des exigences en matière de compétences et d’adaptation continue (L. Boterf et al., 2016 ; OECD, 2013). Finalement, la construction de l’identité professionnelle est cruciale dans l’exercice des compétences relationnelles (Tajfel et Turner, 1978 ; Ervin et Stryker, 2001). Elle est continuellement modelée par les expériences, la formation, les interactions, l’évolutions du marché et des nouvelles technologies et influence le développement de compétences.
Nous avons donc développé notre référentiel (Tremblay, Psyché et Yagoubi, 2023) à travers des entrevues et des groupes de discussion. Ce référentiel répond aux besoins des organisations modernes et des établissements d’enseignement, en orientant les stratégies de formation en gestion de l’IA. Il intègre des compétences managériales, techniques, mais aussi des éléments essentiels tels que l’éthique, la créativité, la diversité, la communication et la collaboration. Il vise également à orienter les stratégies de formation en gestion de l’IA, en mettant l’accent sur l’apprentissage collaboratif et la construction de l’identité professionnelle. Il s’agit d’un outil dynamique, adapté aux réalités du milieu du travail et aux besoins de formation continue.
Dans notre étude sur les gestionnaires de projet en IA, nous avons identifié des aspects clés de leur identité professionnelle et compétences à travers une série d’entretiens menés avec des experts du domaine. Ces gestionnaires sont caractérisés par leur rôle dans la gestion de données, attentifs à leur nettoyage, à l’éthique, et à la prévention des biais. Selon nous, Les compétences identifiées dans le cadre de notre projet se développent collectivement, comme un bon nombre de compétences. Elles incluent un ensemble de compétences humaines nécessaires pour la fonction de gestionnaires qui travaillent avec l’IA. Ces acteurs doivent posséder de nombreuses qualités personnelles pour pouvoir s’adapter aux nouvelles exigences du travail.
Concernant les implications pour les établissements d’enseignement supérieur et les organismes de formation, notre référentiel de compétences vise à orienter l’élaboration de programmes de formation intégrant compétences managériales, techniques, et des aspects tels que l’éthique, la créativité, la diversité, la communication et la collaboration. Il préconise des formations dynamiques et expérientielles, incluant des stages, pour développer à la fois les compétences techniques et humaines. Un cours (EDU 1033 à l’université Téluq), conçu à partir de ce référentiel, intègre ces dimensions, en accord avec le Cadre de référence de la compétence numérique du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec. Il met l’accent sur l’éthique, la créativité, la diversité, la gestion, la communication et la collaboration.
Face à l’évolution rapide des technologies, les experts numériques doivent acquérir des compétences spécialisées en IA, une transition complexe marquée par des défis comme l’acquisition de l’apprentissage automatique et d’autres langages de programmation. La gestion de l’IA exige non seulement des compétences techniques mais également des compétences transversales, telles que la coordination et la communication, acquises à travers des interactions professionnelles et un apprentissage collaboratif. Les gestionnaires de projets IA doivent être capables de s’adapter, de participer activement à des activités d’équipe et de développer une identité professionnelle solide pour évoluer efficacement dans un environnement en constante évolution.
Références
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Kleiner, B., Carver, P., Hagedorn, M., & Chapman, C. (2005). Participation in Adult Education for Work-Related Reasons : 2002-03 Statistical Analysis Report.
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Psyché, Valéry, Diane-Gabrielle Tremblay, Fatma Miladi et Amina Yagoubi (2023). A competency framework for training of AI projects managers in the digital and AI era A paraître dans le Open Journal of Social Sciences. Juin 2023. https://www.scirp.org/journal/paperinformation.aspx?paperid=125305
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Sun L., Gao Y., Yang J., Zang X.Y. and Wang Y.G. (2016) The impact of professional identity on role stress in nursing students : a cross-sectional study, International Journal of Nursing Studies, 63, 1-8.
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Ticoll, D. (2020, may). Skilling Canadians for Leadership in the AI Economy. Technation Canada, 56 p.Thompson, T. L. (2011). Work-learning in informal online communities : Evolving spaces. Information Technology and People, 24(2), 184–196. https://doi.org/10.1108/09593841111137359
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Tremblay, D.-G., V. Psyché, et A. Yagoubi (2023). Référentiel de compétences d’un gestionnaire de projet en intelligence artificielle (IA) appliquée à l’industrie 4.0 (version 1). Montréal : université Téluq. 129 p.
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Tremblay, D.-G., Yagoubi, A., Psyché, V., (2022). Digital Transformation : An Analysis of the Role of Technology Service Providers in Montreal’s Emerging AI Business Ecosystem. In M. Ratajczak-Mrozek, P. Marszalek (Ed.), Digitalization and Firm Performance. Examining the Strategic Impact, 17-44. Springer Nature. ISBN 978-3-030-83360-2 https://doi.org/10.1007/978-3-030-83360-2_2
Wihak, Christine., & Hall, Gail. (2011). L’apprentissage informel lie au travail : recherche et pratique dans le contexte canadien. Conseil canadien sur l’apprentissage.
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