Un articlerepris de la revue Humanités numériques, une publication sous licence CC by
Sarah Descamps, Gaëtan Temperman et Bruno De Lièvre, « Vers une éducation à la sobriété numérique », Humanités numériques [En ligne], 5 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 14 juin 2024. URL : http://journals.openedition.org/revuehn/2858 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revuehn.2858
Introduction
Bourgatte (2017, 4) le déclare : « Les humanistes numériques sont préoccupés par la transmission d’un socle fondamental de compétences et de connaissances pour que chacun puisse évoluer dans la société contemporaine. » C’est pourquoi les référentiels de compétences fleurissent dans les pays occidentaux. Au demeurant, la Commission européenne au travers de son Digital Competence Framework (DigComp) (Carretero, Vuorikari et Punie 2017) a identifié la protection de l’environnement comme l’une des compétences numériques du xxie siècle. Ainsi, il s’agit d’être conscient de l’impact environnemental des technologies et de leur utilisation.
Pourquoi et comment enseigner la protection de l’environnement dans une société envahie par le digital ? Dans cette contribution, une éducation pour un numérique écoresponsable et sobre, une thématique sous-jacente des humanités numériques, sera valorisée. En croisant différents champs disciplinaires (sciences de l’environnement, sciences de l’éducation, philosophie, sciences sociales, humanités numériques), l’objectif est, d’une part, de développer un cadre conceptuel afin d’éduquer à la sobriété numérique et, d’autre part, de mettre en évidence les raisons de former à cette thématique. L’organisation d’une littératie de la sobriété numérique a comme visée d’identifier des pistes pour enseigner cette nouvelle compétence et de développer une proposition d’approche pédagogique pour éduquer de manière efficiente à la sobriété numérique.
Les concepts pour éduquer à la sobriété numérique
Un numérique responsable
Tout d’abord, la sobriété numérique s’inscrit dans une thématique plus large, celle du numérique responsable. Étymologiquement, le mot « numérique » se rapporte au nombre en référence au code binaire. Ensuite, ce terme s’est élargi pour qualifier toute technologie de l’information et la communication (Boullier 2016 ; Courboulay 2021). La deuxième particule de ce concept, « responsable », signifie « qui doit répondre de ses actes » [1]. Il s’agit également d’une personne qui se comporte de manière responsable, quelqu’un de « réfléchi, sérieux et qui sait peser le pour et le contre [2]Aujourd’hui, quand on utilise le concept de numérique responsable, c’est vers cette signification que l’on tend.
Dans son ouvrage, Courboulay (2021) démontre que les nouvelles technologies ont provoqué des changements et des débats dans l’ensemble de notre société : l’e-santé, l’e-surveillance, les GAFAM [3], l’e-commerce, l’e-monnaie, les impacts du numérique sur l’environnement ou encore l’obsolescence programmée. Cependant, pour le moment, l’humanité ne tire pas encore pleinement profit de ces technologies dans la mesure où les citoyens n’identifient pas les aspects positifs et négatifs de chacun de leurs usages.
Le numérique est perçu comme un outil magique qui est également le coupable de tous nos maux. Cependant, Courboulay (2021, 30) l’affirme : « Le numérique en soi n’est pas bon ou mauvais. Il doit trouver sa place comme simple auxiliaire permettant aux citoyens de mieux vivre et non pas de se développer dans nos sociétés tel un parasite. » Comme Doueihi (2011) le met en évidence, soulignons que les transformations numériques ont introduit de nouvelles pratiques et perspectives à l’humanité. Comme cela a été envisagé dans d’autres domaines, l’Homo numericus a besoin de modifier son regard sur l’environnement pour surmonter les obstacles du numérique.
La sobriété numérique
Installer une démarche de sobriété numérique, c’est s’inscrire dans un numérique responsable. En effet, étymologiquement, la sobriété signifie la tempérance, la modération, la mesure. L’emploi de ce terme, réservé initialement à l’alimentation, s’est élargi à d’autres secteurs comme l’énergie ou le numérique.
Bordage (2008) est le premier à utiliser ce concept pour désigner une approche de conception de services numériques plus sobres et une modération quotidienne des usages. L’objectif de la sobriété numérique : la réduction de l’empreinte écologique des technologies de l’information et de la communication (TIC). En 2019, Bordage précise sa définition dans son ouvrage où il donne des clés pour agir dans le sens d’une sobriété numérique. Ainsi, il déclare qu’il s’agit d’un usage proportionné et raisonnable du numérique et met en avant la question de la nécessité. L’auteur introduit ainsi deux nouveaux sens à la sobriété : une utilisation du numérique dictée par la raison et lorsque c’est nécessaire. Toujours selon Bordage (2019), la sobriété numérique, c’est aussi prendre conscience des impacts de nos usages quotidiens en ayant un regard critique. Il s’agit de développer une posture globale de sobriété dans ses comportements et ses conceptions en mettant en place des gestes quotidiens. Déjà en 1979, le philosophe Hans Jonas interrogeait le principe de responsabilité sous le prisme de la pensée écologique et du progrès technologique. Selon lui, l’humain doit faire preuve de responsabilité pour reprendre de manière raisonnée le contrôle des technologies. Pour le philosophe, nous avons aujourd’hui à gérer une emprise technoscientifique. L’humanité perdurera si elle effectue un changement de posture et si elle fait progresser les technologies pour qu’elles deviennent des solutions et non des obstacles.
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5 La souveraineté se définit comme un ensemble de lois communes sur un territoire donné, dont l’objec (...)
8Vidalenc (2019) utilise quant à lui un autre concept, celui d’« écologie numérique » qui se situe au croisement de la transition écologique et la transition numérique. Deux transitions qui ont en commun leur processus de « transformation au cours duquel un système passe d’un régime d’équilibre à un autre » (Bourg et Papaux 2015, cités par Monnoyer-Smith 2017). Cette idée de convergence entre ces deux transitions est soulignée dans la feuille de route Numérique et environnement du gouvernement français [4] (Flipo 2021) qui a pour volonté de remettre le numérique à sa place en le sortant des espaces où il est inutile et en établissant les limites d’utilisation. Selon Vidalenc (2019), un changement peut s’opérer en réfléchissant aux usages, en apprenant à se passer des technologies, en sortant de la course du « toujours plus » et en adaptant les pratiques. En tirant profit des avantages des TIC et en développant une souveraineté numérique [5], nous apprivoiserons la transition numérique. Une souveraineté numérique rendrait possible une gestion du numérique plus respectueuse de nos lois nationales et européennes.
Green IT, low-tech, écoconception : des concepts associés à la sobriété numérique
De nombreux concepts gravitant autour de la sobriété numérique et du numérique responsable ont été définis par différents experts (Bordage 2019 ; Vidalenc 2019 ; Martin-Pascual 2020 ; Courboulay 2021). Ainsi, le terme anglophone, Green IT, ou encore l’informatique verte, désigne les techniques dont l’objectif est de réduire l’empreinte du numérique aussi bien sur l’environnement, l’économie et la dimension sociale (Dignocourt 2019).
Les démarches Green IT s’intègrent dans les 17 Objectifs de développement durable (ODD) [6] établis par l’Organisation des Nations unies. Ces objectifs, à atteindre en 2030, doivent assurer à tous un développement inclusif, durable et juste. Parmi les cibles des ODD associées au numérique responsable, il y a le recours à des énergies renouvelables, la lutte contre le changement climatique ou encore l’organisation d’une consommation et d’une production responsable.
Toujours en rapport avec le développement durable et sa dimension citoyenne, on trouve d’autres termes anglo-saxons comme le tech for good qui se traduit par un numérique pour le bien collectif, ou encore le civic tech qui a pour but d’améliorer la transparence et le système démocratique à l’aide des technologies.
Une posture de sobriété numérique peut également s’exprimer dans l’écoconception ou ecodesign, c’est-à-dire une démarche de conception d’un produit ou d’un service qui prend en compte les aspects environnementaux du numérique (Bordage 2019). Ainsi, les concepteurs ciblent les besoins majeurs des utilisateurs et suppriment le superflu (Bordage, Bordage et Chatard 2019). À ce sujet, la Commission européenne a d’ailleurs mis en place une directive en matière d’écoconception en 2009 [7] et un label énergétique en 2017. En accord avec cette idée d’écoconception, les low-tech sont régulièrement mises en avant (Bordage 2019 ; Vidalenc 2019 ; Courboulay 2021). Contrairement aux high-tech trop complexes et grandes consommatrices d’énergie, elles se distinguent par leur simplicité, mais aussi leur solidité et leur efficacité. Bordage (2019) donne un exemple très parlant pour expliquer que les low-tech sont tout aussi efficaces que les high-tech : en 1969, lors de la mission Apollo 11, les données de l’ordinateur ne faisaient que 70 ko, l’équivalent d’un courriel. Preuve que l’instauration de la sobriété numérique est possible et ne diminuera pas notre confort de vie.
Les raisons d’établir une éducation à la sobriété numérique
Le contexte d’émergence : urgence climatique et accélération de l’impact du numérique sur l’environnement
Tout d’abord, il existe une urgence climatique à s’intéresser à la sobriété numérique. En effet, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME 2019a), 4 % des gaz à effet de serre sont engendrés par les technologies informatiques et d’ici 2023, ce pourcentage devrait doubler. En outre, le rapport Pour une sobriété numérique de The Shift Project (Ferreboeuf 2018) stipule que notre consommation énergétique augmente de 9 % chaque année. Mais, en s’inscrivant dans une démarche de modération, ce chiffre pourrait diminuer en atteignant 1,5 % par an selon ce même rapport. Signe de la multiplication de nos usages numériques, selon le rapport Digital 2021, l’internaute passe en moyenne 6 heures et 54 minutes par jour à utiliser Internet, c’est-à-dire environ 42 % de sa vie éveillée (Kemp 2021).
Par ailleurs, selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) (IPCC 2021), il est encore possible de limiter l’augmentation de la température moyenne planétaire à 2 °C si notre société s’inscrit dans un processus de forte décarbonisation, c’est-à-dire de réduction de sa consommation d’énergies émettrices de gaz à effet de serre. Cependant, pour le moment, l’essor des TIC ne favorise pas cette décarbonisation. De surcroît, comme le stipule Massé (2020), notre passage au « tout numérique » pendant la crise de Covid-19, notamment via le télétravail ou l’enseignement à distance, indique que l’environnement est le grand oublié de cette épidémie.
Comme le déclare Bordage (2019, 9) : « Il y a urgence : tous les signaux montrent qu’Homo numericus est littéralement hypnotisé par sa découverte. […] Cette prise de recul est indispensable, car, tandis que les écosystèmes terrestres s’effondrent et que le dérèglement climatique s’amplifie chaque jour un peu plus, les décideurs des pays dits développés ne jurent plus que par le numérique et par la tech pour sauver la planète. » À ce sujet, Gibert (2020) invoque une éducation à l’urgence climatique pour enseigner les enjeux du climat et de l’écocitoyenneté. Selon elle, cette éducation s’affirme par une littératie climatique et une identification des défis du changement climatique, car il est urgent de réagir.
La sobriété numérique, un sujet émergent dans l’actualité mais pas encore dans l’enseignement
Comme le révèle la littérature scientifique récente (Ferreboeuf 2018 ; Bordage 2019 ; Dignocourt 2019 ; Vidalenc 2019 ; Martin-Pascual 2020 ; ADEME 2019a ; Courboulay 2021), la sobriété numérique est un enjeu émergent dans les recherches. L’enjeu éducatif est d’autant plus important qu’il y a souvent un décalage d’une dizaine d’années entre l’apparition d’une thématique dans la sphère politique et scientifique et son arrivée effective dans le milieu scolaire (curricula, séquences d’apprentissage, etc.). En effet, l’éducation relative à l’environnement, comme domaine de recherche, est née dans les années 1970 et l’éducation au développement durable, à la fin des années 1980 (Gibert 2020). Or, leur intégration dans les programmes scolaires et dans les séquences d’apprentissage par les acteurs éducatifs est relativement récente. Il est donc fondamental que l’enseignement s’empare de la thématique de sobriété numérique. Courboulay (2021, 18) le souligne : « Sa nature oblige plus que jamais à comprendre le numérique. Il faut savoir ce que l’on doit garder, ce que l’on doit faire évoluer et ce à quoi il faut renoncer. C’est une nécessité démocratique, environnementale, sociétale. » C’est donc cela qu’il faut enseigner.
Par ailleurs, il est conseillé que l’éducation au développement durable et à la citoyenneté s’instaure en prenant en compte l’actualité (Albe 2011). Pourtant, la sobriété numérique n’est pas encore intégrée, ou très peu, en contexte scolaire et dans les nouveaux référentiels francophones relatifs aux compétences numériques dans l’enseignement obligatoire. De même, dans l’enseignement supérieur, selon un des rapports publié par The Shift Project, seulement 35 % des formations françaises abordent les enjeux environnementaux des technologies (Amichaud 2021).
Éduquer les citoyens de demain
La sensibilisation aux impacts environnementaux du numérique passe par une éducation et une responsabilisation des digital natives, cette génération née dans un monde numérique. Comme en témoignent les nombreux synonymes pour nommer ces jeunes, génération Google, Net generation, smartphone natives, il est suggéré que tous vivent avec les TIC. L’essor technologique a provoqué un changement en matière de comportement et de communication en comparaison à la génération précédente (Plantard et Le Boucher 2020). Cependant, il est trompeur de penser que les jeunes ont tous les mêmes pratiques numériques (Balleys 2017). Il est donc nécessaire de considérer le rôle de l’enseignant dans l’apprentissage d’une digital culture (Fluckiger 2008). C’est pourquoi de nombreux pays occidentaux ont réfléchi à des stratégies pour promouvoir ces nouvelles compétences du xxie siècle en concevant des référentiels et en formant les enseignants à l’intégration des technologies dans leurs pratiques pédagogiques (Fourgous 2011). Comme pour la culture numérique ou l’éducation aux médias (Lehmans 2019), l’éducation à la sobriété numérique n’est pas spontanée chez les digital natives et s’effectue en repensant la posture des enseignants.
Une instruction à la sobriété numérique est rare (Amichaud 2021). Pour le moment, à notre connaissance, aucune étude n’a interrogé les citoyens au sujet de la sobriété numérique et des impacts environnementaux des TIC. En revanche, des recherches (DeWaters et Powers 2013 ; Gibert 2020) révèlent que les jeunes n’ont qu’une faible connaissance en matière de littératie énergétique et par conséquent du coût énergétique de leurs usages numériques. Pourtant, les digital natives (15 à 24 ans) sont de grands consommateurs. « [Ils] constituent la tranche d’âge la plus connectée. À l’échelle mondiale, 71 % d’entre eux utilisent Internet, contre 48 % pour la population totale. [De plus], un internaute sur trois dans le monde est un enfant ou un adolescent de moins de 18 ans » (UNICEF 2017, 1). Ce même rapport de l’UNICEF met également en lumière que les jeunes pensent que les TIC peuvent contribuer à un changement social et climatique.
Pour The Shift Project (Ferreboeuf 2018), la conscientisation des citoyens à la sobriété numérique doit devenir une priorité. En introduisant cette thématique dans l’éducation dès aujourd’hui, les futurs consommateurs auront des gestes plus responsables dans leurs achats, dans leurs comportements et dans leurs conceptions, car comme l’exprime Perrenoud (2003, 5) : « Apprendre, c’est changer ! »
L’éducation est vectrice de changement, mais pas uniquement chez les apprenants (Perrenoud 2003). Les premiers bénéficiaires, après les jeunes, seront les enseignants, car qui enseigne, s’enseigne. Dans un principe d’isomorphisme, [8]en formant les enseignants à intégrer le numérique responsable à leur pratique éducative, par une écoconception lors de la création de documents pédagogiques par exemple, il est possible de provoquer un effet « boule de neige » en déployant des gestes collectifs, et non individuels, de sobriété numérique.
Ensuite, former les élèves, c’est aussi sensibiliser les familles. En effet, les gestes du quotidien installés à l’école pourront être développés à la maison. On a d’ailleurs déjà vu ce type de phénomène en enseignant aux enfants le recyclage ; une fois de retour chez eux, les enfants sensibilisent leurs parents (Gottesdiener et Davallon 1999). Une hypothèse est de voir se répéter ce phénomène avec des gestes numériques écoresponsables. Enfin, en faisant de cette problématique une priorité éducative, ce sont tous les acteurs gravitant autour de l’école qui pourraient être sensibilisés.
Vers une littératie de la sobriété numérique : théorie et pratique
Les transformations apportées par le numérique ont changé notre rapport au savoir et comme le souligne Doueihi (2011), le défi est de développer une digital literacy. Gibert définit la littératie comme étant « l’aptitude à lire, comprendre et utiliser l’information écrite au quotidien, pour rendre capables les individus de participer pleinement à la société, en lien avec des valeurs » (2020, 2). On peut d’ailleurs distinguer différentes formes de littératie. Le Deuff (2012, 14) le dit : « La littératie médiatique est [quant à elle] la capacité à accéder, analyser, évaluer et à créer des médias dans une variété de formes. » La littératie numérique se compose, selon Newman (2009), de la conscience sociale, la pensée critique et la connaissance des outils numériques. « La littératie écologique est […] une façon de penser tout en prenant en considération les répercussions de l’activité humaine sur les milieux naturels et les interactions avec ces milieux » (CPE Joli-Cœur 2018). La littératie climatique se distingue en répondant « à l’urgence de relever les défis du changement climatique » (Gibert 2020, 2). La littératie énergétique, quant à elle, reprend les connaissances et comportements permettant « de faire des choix appropriés et d’adopter des changements dans la façon de produire et consommer l’énergie » (DeWaters et Powers 2011 cités par Gibert 2020, 4). En croisant ces différentes formes de littératies avec la littérature du numérique responsable, l’objectif de cette contribution est de proposer une littératie de la sobriété numérique.
Les trois composantes d’une littératie de la sobriété numérique
Plusieurs acteurs du numérique responsable s’accordent pour dire qu’il est incontournable que l’éducation s’empare de la sobriété numérique (Faucheux, Hue et Nicolaï 2015 ; Bordage 2019 ; Puyou 2019 ; Vorreux, Berthault et Renaudin 2019 ; Cauche 2020 ; Boulet et al. 2020 ; Amichaud 2021). Selon Bordage (2019), les formations accélèrent le changement et il est essentiel d’instruire dès aujourd’hui les enseignants sur cette thématique. Cette éducation passe, certes, par une diffusion des connaissances, mais également par un développement de compétences environnementales et une prise de conscience générale (Faucheux, Hue et Nicolaï 2015). Nous décrivons dans la suite de ce texte les trois composantes de cette nouvelle compétence (Carretero, Vuorikari et Punie 2017) qu’est la sobriété numérique.
Axe 1 : analyser l’impact de nos modes de vie numériques sur l’environnement
Une sensibilisation au numérique responsable s’opère par une compréhension des impacts environnementaux des TIC (Boulet et al. 2020). En effet, le numérique représente 4 % des gaz à effet de serre (Bordage 2019) et, selon l’étude de The Shift Project, la croissance annuelle de l’empreinte énergétique des technologies est de 9 à 10 % (Ferreboeuf 2018).
Pour comprendre ce phénomène, The Shift Project (Ferreboeuf 2018) a mis en lumière quatre sources principales de l’augmentation de l’empreinte numérique :
- le phénomène smartphone qui s’explique par une croissance du parc d’appareils. Depuis 2007, 10 milliards de téléphones portables ont été achetés dans le monde (ADEME 2019b) ;
- la multiplication des périphériques de la vie quotidienne, comme les montres connectées ou encore les écouteurs sans fil ;
- l’essor de l’Internet des objets industriels qui pousse les entreprises à investir davantage dans des technologies communicantes collectant facilement des informations sur les consommateurs ;
- l’explosion du trafic de données qui a été engendrée par une hausse des utilisateurs équipés, du nombre de terminaux connectés entre eux, du visionnage de vidéos en ligne de plus grande qualité.
Nos modes de vie numériques ont des conséquences, directes ou indirectes, sur le changement climatique : 47 % des gaz à effet de serre produits par les technologies sont dus aux équipements des consommateurs (ADEME 2019a). À titre d’exemple, le visionnage d’une vidéo en haute définition consomme plus qu’un four électrique (Ferreboeuf 2018) et une recherche sur Google produit 5 à 7 g de CO2 (Bordage 2019). Cependant, la complexité de la conscientisation à la pollution numérique se situe dans le fait que cette pollution n’est pas visible à l’œil nu (Vidalenc, 2019). Un consommateur peut se rendre compte facilement qu’il possède de nombreux emballages plastiques, mais il ne verra pas la multitude de données transportées pour lui permettre de visionner un film sur Netflix. Pourtant, selon Efoui-Hess (2019, 14), « le recours à des services de VoD [9] […] engendre autant d’émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale que […] le Chili. »
Afin d’examiner l’empreinte numérique, de nombreux auteurs (Caillet 2003 ; Berthoud 2017 ; Bordage 2019 ; Boulet et al. 2020 ; ADEME 2019a ; Courboulay 2021) proposent d’utiliser l’analyse du cycle de vie (ACV). Courboulay (2021, 33) va même jusqu’à écrire qu’il s’agit de l’« outil le plus abouti en matière d’évaluation globale et multicritère des impacts environnementaux ». Ainsi, cet outil d’analyse prend en compte les retombées sur l’ensemble des composantes de notre écosystème.
Figure 1. Représentation de l’analyse du cycle de vie
Image produite par les auteurs
En croisant les différentes approches des analyses du cycle de vie, il est possible d’identifier trois moments pour comprendre l’impact de nos modes de vie numériques.
- La naissance est la première phase de l’ACV. L’empreinte numérique débute bien avant l’utilisation des objets numériques (Courboulay 2021). Le premier impact est l’extraction de matières premières. En effet, les appareils numériques ont besoin de métaux rares (le tantale, le cobalt ou encore le lithium) dont les mines sont situées dans des pays en voie de développement comme le Congo (Bordage 2019). L’extraction de ces métaux a des conséquences néfastes aussi bien sur les populations locales que sur l’environnement : pollution de l’eau, des sols et de l’air. Après l’extraction, il y a les étapes de production : le transport des matières premières ; la production des composants ; l’assemblage et aussi l’emballage. À titre d’exemple, 600 kg de matières premières sont utilisés pour produire un ordinateur de 2 kg (ADEME 2019a). Cette phase de production des équipements « occupe une part très significative, environ 45 % en 2020, dans l’empreinte énergétique totale du numérique » (Vorreux, Berthault et Renaudin 2019, 19). Prenons l’exemple des smartphones, 90 % de leur empreinte environnementale se situe durant la production. Courboulay (2021, 40) signale également que la fabrication est étrangère et s’effectue « presque toujours en Asie du Sud-Est où les normes sanitaires et sociales sont encore trop souvent ignorées ». Enfin, avant l’utilisation, une dernière étape est à prendre en compte : le transport et la distribution de ces technologies.
- La phase de vie est celle de l’utilisation par le consommateur. En effet, de l’électricité est produite afin d’assurer l’usage des appareils, le fonctionnement des réseaux (la fibre optique, la 3G ou encore la 4G), l’alimentation des centres de données et leurs refroidissements. D’ailleurs, « les internautes représentent environ 50 % de l’électricité consommée sur la phase d’utilisation » (Bordage, Bordage et Chatard 2019, 21). Cette phase d’utilisation recouvre aussi la conception des services numériques, leurs déploiements, leur administration ou encore leur maintenance. Plus de la moitié des gaz à effet de serre est due aux flux et aux stockages des données (ADEME 2019a). L’utilisation d’un cloud, l’envoi d’un courriel, une recherche sur Internet, le visionnage d’une vidéo en streaming ou encore le téléchargement d’un jeu vidéo engendrent un transit de données et donc une pollution numérique. L’ACV prend en compte les data centers qui, outre leur consommation énergétique, ont besoin d’une autre ressource naturelle, l’eau, pour leur refroidissement (Courboulay 2021).
- La mort, comme son nom l’indique, est le dernier stade du cycle de vie d’un appareil numérique. Durant cette étape, les ressources consommées lors de la collecte et du transport sont prises en compte. Quand un objet « tech » n’est plus utilisable, deux trajectoires s’offrent à lui : soit il est valorisé, soit il est abandonné. Bordage (2019) identifie différents types de valorisation et de recyclage (phase de renaissance dans la figure 1) : la réutilisation de l’équipement, la réutilisation d’un ou de plusieurs composants, le recyclage matière (récupération de certaines matières premières), ou encore la valorisation énergétique (incinération). Cependant, la renaissance est rare à cause des difficultés de recyclage qui peut être coûteux et dangereux (ADEME 2019a). En outre, le nombre de déchets numériques augmente chaque année (Vidalenc 2019) et les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) sont bien souvent envoyés à l’étranger. C’est ainsi que Agbogbloshie, au Ghana, avec ses 40 000 tonnes d [10]e DEEE par an, est devenu « le lieu le plus pollué au monde, devant Tchernobyl » (Courboulay 2021, 59). Seulement 20 % des déchets numériques sont recyclés. Par ailleurs, le phénomène d’obsolescence programmée raccourcit la durée de vie des appareils (Courboulay 2021). Pour le consommateur, il est souvent moins coûteux d’acheter un nouvel appareil que de le faire réparer.
Axe 2 : rechercher des solutions numériques pour protéger l’environnement
Comme le souligne Soares (2013), une sensibilisation des jeunes à l’écologie s’opère aussi en montrant que des solutions existent. En effet, l’objectif n’est pas de les culpabiliser ou de créer un climat anxiogène, défavorable à l’apprentissage. Il est possible d’apprendre aux jeunes à trouver des solutions numériques pour protéger l’environnement (Clifford et al. 2020). Par exemple, le développement des médias sociaux a permis l’essor de réseaux qui œuvrent pour la transition écologique, comme les réseaux de producteurs locaux. Les réseaux sociaux et les plateformes de vidéos peuvent être des outils de mobilisation. Ainsi, en 2018, des youtubeurs, avec le mouvement On est prêt [11], se sont rassemblés pour appeler les jeunes à manifester et mettre en place des actions pour le climat.
L’utilisation des TIC peut servir des initiatives qui s’inscrivent dans une démarche de développement durable, « en témoigne l’émergence des plateformes de financement participatif [ou] l’invention des nouvelles formes de transport partagées » (Monnoyer-Smith 2017, 6). De même, Vidalenc (2019) a listé une série d’usages numériques qui favorisent l’optimisation des systèmes énergétiques :
- les maisons intelligentes qui, grâce aux thermostats, aux éclairages ou aux objets connectés, offrent 15 % d’économie d’énergie
- les réseaux communicants, qui rendent possible la vente de production solaire
- l’industrie 4.0 qui, par son système du « sur-mesure » et l’essor des imprimantes 3D, favorise une production sur commande
- les champs numériques et l’alimentation connectée, qui, par une analyse des données et l’intelligence artificielle (IA), aident à optimiser les exploitations agricoles, à répondre aux besoins des sols, à réduire le gaspillage, à identifier les dégâts environnementaux provoqués par le secteur agroalimentaire
- les villes smart qui tirent profit des technologies et de l’exploitation des données pour optimiser les services urbains : une diminution des coûts énergétiques, une gestion appropriée des déchets, de la mobilité et de la sécurité
- les voitures branchées et les véhicules électriques, qui permettent, par l’écoconduite ou la suggestion d’itinéraires, d’économiser 10 %, de la consommation énergétique. L’essor de l’électronique dans l’automobile a également rendu possibles les véhicules en libre-service, réduisant ainsi les achats de voitures en tant que biens personnels.
Cependant, pour un essor du numérique responsable, il est essentiel d’être vigilant au greenwashing [12], car les technologies ont aussi fait miroiter des opportunités (Vidalenc 2019). Reprenons l’exemple des voitures connectées et électriques, même si elles ne consomment pas de carburant, elles ont un impact environnemental par leur consommation énergétique, par leur production et par la difficulté de recyclage des batteries. De nombreuses entreprises peuvent utiliser cette méthode de communication afin de tromper les consommateurs, en focalisant leur discours sur leurs activités en faveur de la protection de la planète et en passant sous silence les autres activités préjudiciables à l’environnement (Bordage 2019).
Axe 3 : utiliser les technologies de manière responsable et agir collectivement pour une sobriété numérique
Vidalenc (2019) précise qu’il ne faut pas voir le numérique comme l’unique solution pour réussir la transition écologique. Comme l’écrivait Bordage (2019, 9) : « Nous ne devons pas nous laisser dominer par [la transformation numérique], mais plutôt en tirer le meilleur. Il s’agit de comprendre en quoi et comment un usage raisonné du numérique peut-être bénéfique. » Selon les recherches effectuées par l’European Digital Competence Framework for Citizens (DigComp) (Clifford et al. 2020), il y a des comportements verts lors de l’achat ou de l’utilisation d’appareils technologiques à développer chez les citoyens. Afin d’y parvenir, Bordage (2019) invoque la règle des 4R (réduire, réparer, réemployer, recycler) auxquels Courboulay (2021) y ajoute un « R » supplémentaire : refuser. Ces recommandations pour assurer une transition écologique s’appliquent à l’ensemble de nos usages, notamment à nos modes de vie numériques.
– « Refusez l’achat de matériel ou de service numérique quand vous le pouvez » (Courboulay 2021, 188). Ce commandement se traduit par la mise en place d’usages numériques dans des proportions raisonnables, ainsi que par une réflexion sur la nécessité de posséder des outils techs, car en n’achetant pas, on ne produit pas. Le consommateur peut se poser la question suivante : en ai-je besoin ? Cependant, cette préconisation est difficile à instaurer chez le consommateur comme en témoignent les 88 % de Français qui achètent un nouveau téléphone alors que l’ancien est encore utilisable (ADEME 2019b).
– Afin d’amoindrir son impact sur l’environnement, un citoyen responsable réduit sa « consommation de biens digitaux au strict minimum » (Courboulay 2021, 188). Selon l’ADEME (2019a), les Européens occidentaux possèdent en moyenne 9 équipements. Pourtant, il est possible de privilégier les appareils multifonctions, l’achat d’appareils plus résistants ou encore la location. Ce concept de réduction inclut aussi la diminution de la consommation énergétique personnelle en éteignant les appareils inutilisés ou en privilégiant les modes d’économie d’énergie.
– « Réparez vos équipements en priorisant les artisans de proximité » (Courboulay 2021, 188). Même si la réparation personnelle des appareils peut être difficile, souvent à cause des constructeurs, il s’agit comme le stipule Bordage (2019) d’un geste fondamental. D’ailleurs, cette pratique se développe d’une manière prometteuse comme en atteste l’essor des repair cafés [13]. Pour avertir les consommateurs, Courboulay (2021) annonce qu’un indice de réparabilité a été instauré en 2021 en France pour un certain nombre de produits (smartphones, ordinateurs…), ce qui permet de privilégier l’achat d’équipements réparables. Outre la réduction des impacts environnementaux, la réparation s’inscrit dans une démarche de développement durable. En effet, elle fait aussi fonctionner des emplois locaux.
- Lié à la recommandation précédente, il y a le réemploi : « réutilisez tout ce qui peut l’être » (Courboulay 2021, 188). Ces dernières années, en particulier durant la crise sanitaire du Covid-19, le marché de l’occasion et du reconditionnement a progressé. Ce phénomène permet, d’une part, de prolonger la durée de vie d’un équipement et, d’autre part, d’éviter l’ensemble des impacts liés à la naissance, comme l’extraction de nouveaux minerais et la phase de fabrication. Selon Bordage (2019), 100 millions de téléphones sont ainsi inutilisés au fond d’un placard. La réutilisation participe à une économie solidaire et réduit une fracture numérique liée aux aspects financiers.
– Si la prescription antérieure n’a pu être mise en place, alors « recyclez correctement ce qui ne peut pas être réutilisé » (Courboulay 2021, 188). Comme nous l’avons déjà abordé dans la partie sur l’ACV, le recyclage reste difficile et rare. Cependant, il est possible de recycler les matériaux précieux présents dans les équipements électroniques et de réduire ainsi l’impact de l’extraction de nouvelles ressources (Bordage 2019).
Dans les ouvrages ou guides cités précédemment (Ferreboeuf 2018 ; Bordage 2019 ; Vidalenc 2019 ; ADEME 2019a ; Courboulay 2021), les auteurs proposent également des gestes simples, quotidiens et faciles à appliquer en fonction de nos usages. En voici quelques-uns.
- Lors de la navigation sur Internet, certains comportements peuvent réduire l’empreinte numérique : l’utilisation d’un moteur de recherche responsable comme Ecosia ou Lilo, le recours aux favoris ou le choix de mots-clés plus précis pour une recherche plus rapide permettent de diminuer le flux de données.
- Lors de la gestion de sa messagerie électronique, il est conseillé de se désabonner des newsletters, de ne pas joindre de gros fichiers mais de les transférer par des services en ligne ou encore de vider régulièrement sa boîte. Cependant, concernant ce dernier point, Bordage (2019) apporte une nuance. L’empreinte numérique des courriels se situe davantage dans le flux d’informations, donc dans les échanges de courriels et la quantité de données transférées, plutôt que dans leur stockage.
- Enfin, certains gestes, qui pourraient en particulier toucher les jeunes, sont à envisager lors des moments de divertissement : écouter de la musique en streaming au lieu de regarder un clip vidéo et diminuer la qualité d’une vidéo atténuent de manière significative la quantité de flux de données.
Des pistes pour enseigner cette compétence
L’éducation à la sobriété numérique ne peut être abordée sans s’intéresser à la question de « comment enseigner ? ». Commençons par mettre en évidence des pistes pédagogiques qui s’articulent autour des trois dimensions de la littératie de la sobriété numérique citées précédemment.
- Pour comprendre et analyser l’impact de nos modes de vie numériques sur l’environnement, l’analyse du cycle de vie est un outil permettant à l’enseignant de donner une lecture complète des impacts environnementaux. Il est également conseillé de partir des usages des élèves (les smartphones, le visionnage de vidéos, les réseaux sociaux).
- Pour identifier des solutions numériques pour protéger l’environnement, l’enseignant a la possibilité de demander à ses élèves de réaliser une recherche d’informations. Afin d’exercer leur esprit critique, les élèves peuvent travailler sur une solution, comme les maisons intelligentes, et identifier les incidences environnementales positives et négatives.
- Pour utiliser de manière responsable les technologies et agir collectivement pour une sobriété numérique, le groupe classe peut mettre en place une campagne pour sensibiliser l’ensemble de la communauté éducative. Ce type de projet pédagogique demande d’identifier en amont les usages responsables que l’on souhaite diffuser et élabore la citoyenneté de chaque élève.
Ne pas oublier les principes de l’éducation relative à l’environnement
Lorsque l’on identifie la protection de l’environnement comme une compétence numérique, l’ensemble des travaux qui ont été réalisés en matière d’éducation relative à l’environnement sont à prendre en compte. Même si cette compétence est nouvelle, la sensibilisation aux enjeux du réchauffement climatique ne l’est pas. Dès 1972, la Charte de Belgrade promeut une éducation relative à l’environnement (ERE) et dans les années 1980, une dimension de développement durable (EDD) y est ajoutée. Cette dernière se situe au croisement de l’ERE et de l’éducation à la citoyenneté. Le développement durable est composé de trois piliers : l’écologie, le social et l’économie (Lange 2014). Lorsqu’on aborde l’environnement avec les jeunes, il est donc primordial de prendre en compte les relations qui existent entre ces trois piliers.
Aujourd’hui, nous connaissons également l’essor de l’éducation au changement climatique qui est un « domaine spécifique de l’éducation à l’environnement visant à concevoir et à développer des réponses éducatives cohérentes avec les objectifs d’atténuation des gaz à effet de serre et avec la nécessité de s’adapter aux conséquences inévitables d’un changement climatique » (Meira Cartea 2019, cité par Gibert 2020). D’autres formes d’éducation gravitent pareillement autour de cette problématique comme apprendre l’urgence climatique (Gibert 2020), la conscientisation écologique (Legros, Delplanque et Latouche 2009), l’écocitoyenneté (Soares 2013) ou encore l’éducation à l’énergie (DeWaters et Powers 2013).
Dans son modèle, Sauvé (1994, 42) identifie trois dimensions à l’ERE :
- « l’éducation au sujet de l’environnement », quand le concept d’environnement est étudié afin d’acquérir des connaissances sur le sujet
- « l’éducation par l’environnement » quand l’environnement, en tant que thème transversal, est une ressource et un milieu d’apprentissage qui permet d’aborder différentes matières
- « l’éducation pour l’environnement » qui requiert une responsabilisation, un engagement et une adoption de comportements vis-à-vis de l’environnement
Figure 2. Adaptation de l’éducation relative à l’environnement de Sauvé (1994) pour concevoir une éducation relative à la sobriété numérique
Image produite par les auteurs
En s’appuyant sur la littérature de la sobriété numérique, il est possible d’adapter ce modèle à notre thématique (figure 2). Ainsi l’ajustement de ce modèle s’articule autour des trois dimensions suivantes.
- « L’éducation au sujet de l’empreinte numérique » : derrière cette dimension, il est question de comprendre l’impact environnemental des technologies, notamment en utilisant l’ACV.
- Ensuite, une composante numérique est ajoutée à l’éducation par l’environnement. En effet, comme nous l’avons déjà spécifié, les TIC peuvent être au service d’une éducation au changement climatique (UNICEF 2017). De plus, des environnements numériques, comme la réalité augmentée, apportent une réelle plus-value (Piot et al. 2018). L’immersive learning peut faire tomber les limites de la pratique du terrain. Ainsi, il est possible pour des élèves d’analyser directement en classe un environnement fragile et inaccessible.
- Enfin, dans la dernière dimension, il s’agit de développer des comportements, des gestes, une charte écoresponsable pour une sobriété numérique.
Un carrefour de disciplines et de didactiques
Dacos (2011, 2) le déclare : « Les digital humanities désignent une transdiscipline. » Il est donc cohérent d’appliquer cette transdisciplinarité pour éduquer à une thématique qui découle des humanités numériques et donc de croiser les formes didactiques. Comme déjà exposé, il y a d’abord toutes les dimensions de l’éducation relative à l’environnement et au développement durable qui s’inscrivent dans une démarche d’éducation à la citoyenneté (Glomeron et al. 2017). Ensuite, l’expansion des gestes écoresponsables en matière de technologies se manifestera chez les élèves par une compréhension de leur propre consommation énergétique et de l’impact des gaz à effet de serre sur le réchauffement climatique, des concepts déjà enseignés dans les cours de sciences, mais dont les élèves ont encore trop peu de connaissances opérationnelles (Gibert 2020).
Les humanités numériques se situent au croisement des sciences humaines et des TIC. Ainsi, l’enseignement des sciences humaines se retranscrit par des problématiques faites d’enjeux et de tensions qui se travaillent et se questionnent en classes du primaire et du secondaire (Ravez 2020). Pour The Shift Project (Efoui-Hess 2019), chacun de nos usages numériques doit être bien analysé pour pouvoir nuancer ses impacts. Par exemple, la numérisation permet de réduire la production de papier, mais engendre une pollution invisible. Il y a des arguments favorables et défavorables à l’utilisation des technologies. D’ailleurs, cette problématique se prête à l’exercice du débat et au développement de l’esprit critique. Il s’agit d’installer une pensée nuancée chez les jeunes, en particulier avec l’essor du greenwashing.
Enfin, la protection de l’environnement doit être perçue comme une compétence numérique. Pour une implémentation de gestes écoresponsables optimaux et durables, il faut qu’elle soit déployée dans l’exercice des autres compétences numériques. En fonction des axes du DigComp (Carretero, Vuorikari et Punie 2017, 11), on peut mettre en évidence différents gestes efficaces.
- Information and data literacy : lors d’une recherche d’informations en ligne par l’utilisation d’un moteur de recherche responsable et l’utilisation des favoris
- Communication and collaboration : par une gestion responsable des courriels en privilégiant l’utilisation d’un service en ligne pour partager des documents
- Digital content creation : par une application des principes d’écoconception en évitant les données superflues
- Safety et problem solving : en protégeant son ordinateur et en résolvant les problèmes techniques pour garder son matériel informatique le plus longtemps possible
Conclusion
L’essor des usages numériques, en particulier chez les jeunes, et l’urgence climatique ont donné naissance à un nouvel enjeu éducatif : la sobriété numérique. Cette problématique est au carrefour des humanités numériques et de l’écologie. L’objectif de cette contribution a été de développer une littératie de la sobriété numérique et de donner ainsi des pistes pédagogiques pour traiter cette thématique.
Nous posons qu’il existe trois dimensions de l’éducation à la sobriété numérique. La première porte sur la compréhension et l’analyse de l’impact du numérique. Elles peuvent s’effectuer en prenant en main une méthode complète et visuelle telle que l’analyse du cycle de vie. Concernant la deuxième dimension, l’identification de solutions numériques pour l’environnement doit se traduire par une conscientisation du greenwashing, un aiguisement de l’esprit critique et une analyse nuancée des impacts du numérique. Enfin, le troisième axe consiste à utiliser les technologies et à agir collectivement en appliquant par exemple la règle dite des 5 R : refuser, réduire, réparer, réutiliser, recycler.
Bibliographie
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Vos commentaires
# Le 26 juin à 11:54, par Guillaume En réponse à : Vers une éducation à la sobriété numérique
Merci beaucoup pour cet article, dense et riche en contenu, et écrit avec la plus grande clarté !
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