Pour une ressource de culture numérique sur laquelle je suis en train de travailler (et que je pourrai bientôt vous partager, elle viendra notamment alimenter le parcours autonome de Numériquoi), je me suis replongé dans les transformations des pratiques culturelles à l’ère de notre société numérique.
Je cherchais à actualiser des vieux chiffres que je partage dans mes cours pour illustrer le fait qu’en ligne, une majorité écrasante d’internaute consomme, alors qu’une petite minorité contribue et partage son propre contenu. Avec évidemment des disparités sociales très importantes, les hommes blancs CSP+ étant les plus susceptibles de partager du contenu, plus que les femmes, et beaucoup plus que les personnes de couleur et les personnes issues des classes populaires. Ce décrochage total entre consommation et contribution, qui s’est creusé avec la massification (et non la démocratisation) d’internet, constitue selon moi un de nos plus grands échecs en matière d’éducation (politique, technocritique et émancipatrice) au numérique.
Quelle ne fut donc pas ma surprise en consultant le baromètre de la consommation des biens culturels dématéralisés 2022 et l’étude Cinquante ans de pratiques culturelles en France, et en constatant que ces deux études, pourtant de nature différente, ne traitaient les pratiques culturelles numériques que sous le prisme de la consommation. Et ne s’intéressaient aucunement à la création et au partage de contenus culturels en ligne. Quelle tristesse, et quelle étroitesse ! Au prisme de ces études, il est donc presque acté qu’Internet et le web ne sont plus que des espaces de consommation (culturelle ou commerciale, peu importe), et plus les espaces de partage qu’ils promettaient d’être. C’est très regrettable, alors qu’on constate depuis un moment (de manière empirique, précisément parce que trop peu d’études s’intéressent à la création et au partage de contenus culturels en ligne) que le web du partage (celui des blogs, de Wikipedia1, des forums, des communautés de fans, des commoners) est presque mort, enseveli par le web commercial, social, privateur, éphémère, standardisé, algorithmisé, et déjà pollué par les IA génératives (sic).
Je pense qu’il nous faut un sursaut collectif pour ne pas laisser le web devenir un énième espace exclusivement privé, consumériste, marchand, publicitaire, surveillé. Il faut faire vivre le web communautaire, associatif, non-marchand, non lucratif, créatif, artistique. Aux acteur⋅ice⋅s de l’éducation au numérique, il faut développer les pratiques créatrices en lignes. À celles et ceux qui étudient les pratiques culturelles, il faut s’intéresser à ce que créent et partagent les gens en ligne, pas seulement à ce qu’ils consomment.
Avant Internet et le web, il fallait être quelqu’un d’important (ou avoir beaucoup de chance) pour espérer publier quoi que ce soit et dépasser sa sphère personnelle. Grâce au web, tout le monde peut créer et partager en ligne. C’est peut-être l’une des utopies qui nous restent, le reste étant largement déchu. À nous de faire vivre cette utopie, d’autant que techniquement, le web du partage n’a pas disparu, loin de là !
Photo à la une de Markus Spiske sur Unsplash
Cet article Le web n’est pas qu’un supermarché ! est apparu en premier sur Louis Derrac.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |